Barbara Witkowska Journaliste

Porte-bonheur, breloques, babioles, amulettes et autres attrape-chance déferlent sur la mode, les accessoires, les bijoux, voire la déco… Un joli petit supplément d’âme à notre univers high-tech et rationnel.

Comme toujours, les grandes maisons de luxe et plus particulièrement les grands couturiers donnent le ton. Christian Dior, notamment, dont nous fêtons cette année le centième anniversaire de la naissance. Sans sa passion pour les grigris, sa maison de couture, inaugurée fin 1946 et propulsée sur la scène mondiale le 12 février 1947, grâce au concept du  » new-look « , n’aurait peut-être jamais existé. A l’époque, Christian Dior travaille chez le couturier Lelong, à Paris, lorsque Marcel Boussac, un industriel textile richissime, lui propose de sponsoriser sa propre maison de couture. Le jeune homme hésite beaucoup. Le 18 avril 1946, en se dirigeant vers les ateliers Lelong, il trouve sur le sol, rue du Faubourg-Saint-Honoré, une pièce métallique rouillée, en forme d’étoile percée et de provenance incertaine. S’agit-il d’une pièce d’essieu d’une carriole ? Peu importe. Pour Christian Dior c’est un signe du ciel. L’objet ressemble étrangement à cette étoile marine qui décorait le sol en carrelages de sa villa natale à Grandville, en Normandie, appelée du nom  » Rhumbs  » (rose des vents). Il le ramasse, le glisse dans sa poche, en fait son porte-bonheur et… dit  » oui  » à Marcel Boussac. L’étoile en fer ne le quittera jamais et inspirera, à nombreuses reprises, son travail. En 1956, par exemple, pour fêter le dixième anniversaire de sa jeune maison de couture, il la fait reproduire en or et offre ce  » bijou  » à toutes les filles de l’atelier. La même étoile va décorer le dessus de l’amphore en cristal de Baccarat, la toute première édition du parfum Miss Dior, présenté en 1947, en édition limitée de 283 exemplaires.

L’étoile toujours star

Après la mort du couturier, survenue brutalement en 1957, l’étoile s’éclipse, pour refaire une apparition flamboyante dans les dernières collections griffées Dior. Elle se pose sur les lunettes solaires, s’associe à une chaîne qui orne le sac polochon  » Dior Star « , s’imprime sur les fards de la palette de maquillage automne-hiver 05-06… Mais l’étoile n’est pas la seule à  » veiller  » sur la vie et la carrière de Christian Dior. Superstitieux, fétichiste, le grand créateur se raccroche aux objets et aux images qui ont marqué ses jeunes années. Les tons prédominants de la villa de Grandville étaient le rose et le gris ? Il en fait ses couleurs de prédilection dans la couture, ne cessant de les affiner et de les raffiner. De les sublimer. Le mobilier est une source d’inspiration importante. Lorsque ses parents, après avoir quitté définitivement Grandville, s’installent à Paris, ils décorent leur appartement avec du mobilier Louis XVI, dont les fameuses chaises avec dossiers ovales. La forme ovale est reprise régulièrement, elle s’intègre dans l’architecture des boutiques Dior, décore les emballages de parfums.  » L’Ovale  » sera même le nom clin-d’£il d’une silhouette, présentée lors d’un défilé haute couture. Le cannage, inspiré des chaises Napoléon III sur lesquelles s’asseyaient les clientes lors des défilés, apparaît régulièrement dans les collections. Les versions les plus connues et les plus fashion habillent les sacs, le  » D’Dior  » ou le célèbre  » Lady Dior « .

Le n£ud, évoquant la tradition esthétique du xviiie siècle, si chère à Christian Dior, est admirablement interprété, encore aujourd’hui, dans les collections de chaussures ou de la joaillerie. Il se joint aussi à l’ovale, apportant une touche délicate et féminine sur les emballages de nombreux parfums de la maison. Le motif pied-de-poule trouve sa source dans les tissus masculins remis à la mode par le prince de Galles dans les années 1920. Christian Dior l’adore. Dès 1938, il crée sa première robe en tissu pied-de-poule, baptisée  » Café Anglais « . Après l’ouverture de sa propre maison, ce motif sera utilisé de façon récurrente. Créée pour la saison printemps-été 1948, la veste  » Aventure  » en est une interprétation époustouflante. Moins présent ces dernières années dans la couture, le motif pied-de-poule habille fidèlement les emballages des parfums, à commencer par Miss Dior et, dernièrement, Miss Dior Chérie, une nouvelle interprétation du jus mythique, dont la sortie est prévue au mois d’avril.

Les merveilles de la nature

Les jardins, enfin. Après la couture, c’est sans doute la plus grande passion de Christian Dior. Les fleurs, les plantes et les végétaux n’ont aucun secret pour ce jardinier chevronné et talentueux. Le muguet est sa fleur fétiche. Ce porte-bonheur est décidément partout : sur les robes, sur la porcelaine, sur les verres, sur les accessoires, et, aussi, au c£ur d’un parfum soliflore, Diorissimo. On raconte que les couturières de son atelier, connaissant cette passion, glissaient un brin de muguet séché dans les ourlets des robes, pour qu’il porte bonheur à des clientes privilégiées. L’amour de Christian Dior pour la nature englobe tous les petits insectes qui viennent butiner sur ses plantations et les petits animaux qui déambulent à travers le jardin. Victoire de Castellane, la créatrice de la joaillerie de la maison continue à cultiver ce jardin secret, en dessinant de ravissantes bagues et boucles d’oreille à l’image de roses, de brins ou de clochettes de muguet ou encore de libellules, coccinelles et abeilles.

Un brin de magie

Les fétiches, les porte-bonheur, les chiffres… Coco Chanel est une autre grande figure de la couture dont les symboles chargés de mystère rythmaient la vie et les créations. Orpheline, sa vie a commencé dans la solitude et l’austérité. Mais Gabrielle Chanel a toujours fait confiance à sa  » bonne étoile « , elle croyait à la chance et surtout, à  » sa  » chance. Le soleil et le lion, évoquant son signe astrologique, la tortue, le trèfle à quatre feuilles, le camélia les épis de blé, le cinq… ses attrape-chance qui ne la quittaient jamais. Aujourd’hui, ils continuent à porter bonheur à toutes celles qui comme Coco Chanel, avancent dans la vie l’esprit libre et indépendant. Les codes de la maison s’affichent sur les collections de la haute couture et du prêt-à-porter, le double  » C « , le chiffre cinq ou le camélia se balancent, sous forme de breloques, sur des souliers et des sacs, sur des bracelets, des boucles d’oreille, les ceintures et les colliers.

Du coup, toutes les marques haut de gamme lancent des accessoires ou des bijoux  » customisés « . Pompons, chaînettes, petits personnages, plumes, pierres, c£urs s’accrochent absolument partout, même sur les téléphones portables. Que signifie cet engouement et cet amour de  » doudous « , de breloques et de babioles ?  » Nous vivons dans un environnement trop technique, trop ergonomique et trop rationnel, commente Vincent Grégoire, du bureau de style parisien Nelly Rodi. La tendance des grigris correspond à nos envies de l’extraordinaire et du magique qui vont amener une valeur ajoutée, presque irrationnelle. Il y a moins de monde dans les églises… Cela dit, nous avons besoin de mettre un peu de spiritualité dans nos vies, alors on se bricole de petites religions. Au-delà de ce supplément d’âme, il y a aussi la dimension d’un objet réalisé par nous-mêmes. Les ôcharmsô en sont le meilleur exemple. On choisit des petites choses, on les accroche selon ses envies, on les bidouille soi-même, on devient acteur, on ne subit plus.  »

Au bonheur des charms

Les charms, donc. Chez Cartier, les breloques interprètent les grands mythes du bestiaire de la Maison tels la panthère, le panda, le faucon, l’éléphant, ou encore célèbrent le c£ur sous toutes ses formes, en or gris ou en or jaune, éventuellement pavés de diamants. A accrocher sur un bracelet en box noir, sur une épingle à nourrice ou au bout d’une chaîne. Louis Vuitton décline son Charm Bracelet en or jaune ou en or blanc. Pour l’habiller, les possibilités sont infinies. Selon sa personnalité, on choisit une enveloppe en or, une Citroën 2C, une mini-valise en or, la tour Eiffel, le globe terrestre ou l’un des modèles de bagagerie fétiches, le sac Keepall ou le sac Steamer en miniature. La ligne DoDo de Pomellato collectionne une étoile de mer, un poulpe, un serpent et une hirondelle, réunis dans un pendentif précieux en or blanc et diamants. Dans sa collection  » Toi je t’aime « , Chaumet associe amoureusement l’or et le bois d’amourette, sous forme d’un totem précieux qui fait rimer amour avec toujours. Disponible en pendentif, en boucles d’oreille ou en colliers. Chez Prada, la collection de breloques s’appelle  » Tricks « . Pour customiser son sac, sa ceinture ou son porte-clés, chacune trouvera son bonheur parmi les papillons, les roses, les c£urs, les nounours, mais aussi les drôles de petits robots, les têtes de mort, les revolvers ou les escarpins  » stiletto « .

Pour Estelle Le Moing du bureau de style Peclers, ce  » nouveau fétichisme  » va plus loin :  » Après la tendance de croisement de valeurs, de métissage, puis la phase régressive, à la limite mièvre, la démarche d’aujourd’hui est intello-créative, explique-t-elle. On a envie de choses liées à l’imaginaire, au charme dissonant et étonnant où se mêlent l’humour et l’anarchie.  » La décoration n’échappe pas à la tendance. L’univers de la maison se rapproche de la mode et  » doit être le miroir des nouveaux codes socioculturels de notre époque tels que le tatouage, le morphing ou le piercing « , dixit Gilles Nouailhac, créateur parisien de canapés. Pour preuve, ce canapé  » Blouson noir « , customisé, personnalisé, voire réinventé avec de multiples piercings.

Barbara Witkowska

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