Enfant turbulent de l’île d’Islay, ce whisky d’exception tient une place

à part chez les fans de single malt. Grâce à un climat sur mesure,

un indéniable savoir-faire et un sens musclé du marketing, ce scotch racé

est occupé à écrire sa propre légende.

Si Ardbeg a de la gueule, c’est d’abord une question d’atmosphère. Celle de son biotope, l’île d’Islay, qu’on prononcera  » aïlah « , à la locale, pour se faire le palais. Avec ses 3 000 habitants débonnaires, ses vaches rousses et moutons pantouflards, ses bicoques blanches et ses pubs à marins, ce bout de terre des Hébrides battu par les vents de l’Atlantique appelle en effet les envolées poétiques tendance romantique échevelé, dépoussière les imaginations les plus rabougries, donne envie d’apprendre le gaélique.

Ce petit monde sauvage où les moines irlandais importèrent il y a quinze siècles l’art de la distillation et, par ricochet, donnèrent à l’Écosse sa réputation de mère patrie du whisky, est encore peu connu des touristes. En revanche, il s’apparente carrément à la Mecque pour les amateurs de single malt, le summum dans la hiérarchie des scotchs. Ces nectars non seulement pur malt, contrairement aux plus communs blends (mélanges d’orge maltée et de grains), sont issus des fûts d’une seule et même distillerie : le top.

Sur Islay, elles sont huit à revendiquer ce processus valant label d’authenticité, force d’identité et recherche de qualité. Leurs noms résonnent aujourd’hui aux oreilles des fous de whiskar comme autant de promesses d’un voyage 5-étoiles au centre de la tourbe, signature aromatique des whiskies de l’île : Ardbeg, donc, mais aussi Lagavulin, Laphroaig, Bowmore, Caol Ila, Bunnahabnain, Bruichladdich. Des patronymes qu’on apprend à prononcer avec le même laps de temps qu’il faut à un scotch pour bien vieillir : compter dix ans minimum.

La mode de ces whiskies très  » château  » n’a pas 30 ans. Une tendance empruntée au monde vinicole qui consiste à vanter le pedigree et la race. Tendance qui n’est du reste pas étrangère au désir grandissant des consommateurs à goûter des produits gorgés de l’âme, sinon d’un terroir, du moins d’un territoire. C’est toute une culture qu’on désire désormais avaler. Et cela, la distillerie Ardbeg l’a particulièrement bien compris.

Donnée pour morte dans les années 90, l’entreprise fondée au XIXe siècle sommeillait dans ses lauriers fanés. Elle est reprise par le groupe Glenmorangie, conscient de son potentiel sur le marché haut de gamme en pleine explosion. Dans le giron du géant LVMH depuis 2005, le single malt estampillé Ardbeg s’est plutôt bien relevé. Comme Lazare, ça marche pas mal pour lui puisqu’il lui a fallu à peine plus de dix ans pour allier succès public et critique avec insolence.

Près de 65 000 personnes provenant de 120 pays ont rejoint son fan club créé sur le Web en 2000 pour que  » plus jamais Ardbeg ne disparaisse « . Les plus zélés d’entre eux y exhibent leur tatouage à l’effigie du logo celtique. Un fort sentiment d’appartenance entretenu par le marketing qui propose par exemple aux membres de goûter aux éditions limitées en avant-première.

Du côté de la fortune critique, pas à se plaindre non plus : Jim Murray, auteur de la très respectable bible du whisky, vient de décerner trois années consécutives le titre pompeusement arbitraire mais forcément bankable de  » meilleur whisky du monde  » à Ardbeg. Un chef comme Olivier Roellinger ne se prive pas de déclarer en interview que s’il devait partir sur une île déserte il emporterait une flasque d’Ardbeg  » la seule distillerie qui réussit à associer, avec un équilibre parfait, le sel, l’iode et la tourbe  » (1).

Martine Nouet, ex-rédactrice en chef de Whisky Magazine a quitté Paris pour le vent d’Islay :  » Il y a quinze ans, Ardbeg était peu connu, dit-elle. Aujourd’hui, l’équipe est occupée à en faire une légende. Tout ce que je sais, c’est qu’il s’agit d’un excellent whisky, typé, vigoureux, plein de caractère. Bien que son c£ur soit très doux. Je le présente toujours comme  » a tough guy with a tender heart « . « . Le paradoxe d’Ardbeg, disent les spécialistes. On ne sera pas étonné d’apprendre que ce turbulent nectar est composé par une femme : Rachel Barrie, une des seules master blenders à officier dans ce monde encore très largement dominé par les hommes, les vrais, enfin croient-ils. Bonne fête des Pères.

(1) Paris Match, novembre 2009.

BAUDOUIN GALLER n

 » Le sel, l’iode et la tourbe. « 

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