Barbara Witkowska Journaliste

Le plus artisanal des couturiers, l’Iranien Morteza Pashaï, réalise ses vêtements lui-même de A à Z. Tout seul dans son appartement. Ses coupes parfaites, ses plissés délicats, ses découpes savantes attirent tous les suffrages.

En 2001, il a fait beaucoup parler de lui lors des défilés de haute couture. La presse l’a encensé, les professionnels de la mode tels Marylin Vigouroux de l’Institut Mode Méditerranée de Marseille ou encore Jean-Jacques Picart (l’ex-associé de Christian Lacroix, directeur de sa propre société de conseil) l’ont repéré et encouragé, des clientes prestigieuses ont afflué. Morteza Pashaï est le premier Iranien qui défile à Paris comme « membre invité » de la Fédération de la haute couture. Pourtant, en franchissant la porte, on est surpris par le calme olympien. Point d’ambiance fébrile, agitée et survoltée, caractéristique des ateliers de haute couture. Et pour cause.

Morteza travaille pour l’instant tout seul, sans assistante, sans couturière, sans « petite main ». Il coupe, il coud, point par point, tous ses vêtements entièrement seul, au sixième étage de son appartement-atelier-show-room. Ils sont tous là, les mousselines, les velours, les soies, les crêpes marocains. Les silhouettes sont classiques et rigoureusement construites, les lignes, belles et fluides. Les détails, découpés au laser, innovent et surprennent. Les lacets dévoilent les seins, les falbalas effleurent le dos nu. Le noir prédomine, mais il y a aussi des beiges, de belles nuances de rouge et de bleu. C’est, tout simplement, chic, féminin et subtilement sexy.

Morteza Pashaï est né, il y a quarante ans, à Meched, l’une des deux  » villes saintes  » (l’autre étant Qom), située dans le nord-est de l’Iran, non loin de la frontière afghane. Elevé au sein d’une famille aisée, il passe, comme on dit, une enfance heureuse et sans histoires, ponctuée par quelques inévitables rébellions. La couture ? Il la découvre tout seul, comme une évidence.  » Ma mère n’a jamais acheté du prêt-à-porter, raconte Morteza. Tout le monde, chez nous, moi y compris, s’habillait sur mesure. Ce n’était pas vraiment un luxe. Comme tous les jeunes, je voulais porter un pantalon pattes d’eph’. Mon père s’y est opposé, mon tailleur forcément aussi. De guerre lasse, j’ai décidé de le faire moi-même. J’ai étalé le tissu au sol, j’ai coupé, sans patron, et je me suis mis à la machine. Le résultat était relativement réussi, alors j’ai poursuivi dans cette voie, en réalisant des vêtements pour moi et pour mes soeurs. Sans cesse, je devais corriger mon travail, tout seul. Ainsi, j’ai maîtrisé la coupe en profondeur. Aujourd’hui, c’est ma force « .

Morteza passe le bac en 1979. La révolution islamique éclate. Pour lui et sa famille, la vie de tous les jours ne change pas tellement. Certes, toutes les boîtes ont été fermées, mais on s’amuse très bien chez soi.  » L’accès à l’université est devenu difficile, il fallait être religieux, donc j’ai laissé tomber. Je voulais me consacrer à la mode, découvrir le monde « . N’ayant pas fait son service militaire, le jeune homme ne peut pas quitter le pays. Il le fera pourtant, à pied, en franchissant clandestinement la frontière turque.  » Quel périple, se souvient-il. Nous étions quatre, accompagnés de deux guides. C’était comme dans un film. Pendant la journée, on se cachait dans les montagnes. La nuit, il fallait avancer prudemment, les chiens sauvages étaient constamment à nos trousses. Pendant dix-huit jours, nous avons été obligés de rester enfermés dans un village turc. Au bout de trois mois, je suis arrivé à Stockholm, où vivait un de mes frères. J’avais tellement souffert pendant cette fuite et tellement vieilli que mon frère ne m’a pas reconnu ! ».

A Stockholm, Morteza commence une formation en couture et en patronnage à plat, l’abandonne rapidement, part à Londres, fréquente deux écoles de mode, sans les finir, tente sa chance à Milan, en travaillant pour une clientèle privée. Sans beaucoup de conviction, car  » Milan est une ville très dure « . En 1992, après plusieurs années d’errance, il décide de s’établir à Paris. Pour un passionné de couture, le choix est judicieux. Morteza s’inscrit à l’Ecole de la chambre syndicale du patronnage et du moulage, se découvre une fibre pour le modélisme. Puis se lance dans la vie professionnelle, en commençant par ce qu’on appelle des  » petits boulots « . La taille des sociétés pour lesquelles il travaille s’agrandit, ses responsabilités aussi. Et il bosse dur.  » Contrairement aux idées reçues, dans ma famille, par exemple, je suis très travailleur, sourit Morteza. A l’époque, je travaillais 450 heures par mois « .

Un jour, des amis lui soufflent une bonne idée. Il connaît le métier sur le bout des doigts, il a de l’expérience, alors, pourquoi travailler toujours pour les autres, pourquoi ne pas lancer sa propre griffe ?  » Je me suis laissé convaincre et j’ai lancé ma première collection. Juste pour voir si j’étais capable d’assumer tout, tout seul. Jusque-là, j’ai toujours travaillé en équipe. A l’issue de la collection, on m’a beaucoup encouragé, me trouvant un esprit couture et on m’a poussé à travailler dans cette direction.  » Morteza persévère donc et prépare consécutivement, toujours tout seul, trois défilés, en juillet 2000, puis en janvier et en juillet 2001.  » Pendant deux ans, j’ai travaillé 18 heures par jour. Physiquement, il m’est impossible d’aller, pour l’instant, plus loin. Je dois me reposer, faire le point. C’est la raison pour laquelle j’ai « sauté » la saison de janvier et me prépare pour le défilé de juillet 2002.  » En attendant, il ne chôme pas, car il faut assumer les commandes des clientes prestigieuses, les femmes des grands patrons en France, sans oublier l’ex-impératrice d’Iran.  » Un jour, raconte Morteza, j’étais à ma machine, crevé, déprimé. Le téléphone a sonné. C’était Farah Pahlavi. Elle avait entendu parler de moi. Heureuse et fière d’apprendre l’existence d’un couturier iranien, elle voulait me rencontrer. Aujourd’hui, nous nous voyons régulièrement, Farah Pahlavi partageant son temps entre les Etats-Unis et Paris. On se voit aussi en dehors de la mode, au sein de la communauté iranienne « .

L’avenir ? Morteza est confiant. Il croit à la couture  » d’aujourd’hui « . Il faut oublier les robes de princesse avec des falbalas. En revanche, arborer un tailleur haute couture pendant la journée, pourquoi pas ?  » Pour que la couture marche, il faut faire un pas vers la cliente. Chez moi, les vêtements sont actuels, je ne crée que des pièces portables. Depuis que j’ai quitté mon pays, en vivant successivement à Stockholm, à Londres et à Milan, j’ai toujours été guidé vers la même direction, la mode. Aujourd’hui, je sais que j’ai des choses à dire dans la couture. Il faut que je fonce ! « 

Barbara Witkowska

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