Immortelle dans le premier volet du  » Seigneur des anneaux « , Liv Tyler évolue avec bonheur entre mythe et réalité. Rencontre avec une jeune actrice pleine de grâce et exigeante sur ses choix artistiques.

Certes,  » Le Seigneur des anneaux  » se conjugue avant toute chose au masculin. Dans la superbe et très spectaculaire adaptation cinématographique du Néo-Zélandais Peter Jackson, deux personnages féminins seulement viennent glisser leur grain de sel: deux elfes prénommés Galadriel et Arwen. La blonde Cate Blanchett incarne le premier, la brune Liv Tyler campe le second. Le physique longiligne et romantique de la fille de Steven (chanteur d’Aerosmith) convient à merveille à un personnage alliant sagesse, bravoure et passion amoureuse pour le bel Aragorn, un des héros de la saga imaginée par Tolkien. L’actrice remarquée par Bertolucci ( » Beauté volée « ) et reconnue par Altman ( » Cookie’s Fortune  » et plus récemment  » Dr. T and the Women « ) après un passage dans le très commercial  » Armageddon « , ne semble pas se presser dans un univers du cinéma où tant d’autres se précipitent sans trop réfléchir sur la première proposition venue. Exigeante, réfléchie, Liv veut poser des choix justifiables sur le plan artistique.  » La Communauté de l’Anneau « , premier épisode d’une trilogie déjà intégralement tournée et qui sortira au rythme d’un film par an d’ici à 2003, est bien de ceux-là. Tout le monde ne semble pas avoir compris la démarche de la jeune comédienne. Et à Londres où elle faisait l’autre jour la promotion du film, certains journalistes avaient oublié le respect. Jusqu’à faire fuir Miss Tyler sous l’impact détestable de questions intimes et inquisitoriales. C’est une jeune femme un peu effarouchée que nous avons retrouvée en tête à tête, quelques minutes après un incident où un intervieweur avait sorti un appareil photo pour la mitrailler et saisir son trouble suite à une rafale de questions insidieuses sur son père. Un grand châle mauve recouvrant ses épaules encore un peu tremblantes, Liv n’avait qu’une envie: revenir au plus vite au plaisir de se raconter sans contrainte, ni agressivité.

Weekend Le Vif/L’Express: La trilogie de Tolkien  » Le Seigneur des Anneaux  » faisait-elle partie de votre culture adolescente, comme pour beaucoup d’entre nous?

Liv Tyler: A vrai dire non. Je l’ignorais même totalement (au point d’éprouver quelque honte lorsqu’on m’a proposé un rôle dans le film). Adolescente, je lisais beaucoup moins qu’aujourd’hui. Je baignais dans la musique et mes émotions artistiques venaient presque toutes de là. Mes mythologies aussi. J’admirais les chanteurs. J’étais convaincue d’avoir moi-même un futur de chanteuse. Comme on peut se tromper (sourire)!

Comment trouve-t-on en soi les éléments de nature à pouvoir incarner un elfe?

Il a fallu que je les trouve, c’est vrai, d’autant que mon personnage, Arwen, est à peine mentionné dans le livre, et qu’il m’a fallu le développer sans l’aide ou presque du texte de Tolkien. Eh bien, ce ne fut pas facile. Comment une jeune femme de 25 ans, pleine de défauts, saurait-elle se sentir proche d’un être immaculé, parfait, empreint de sagesse, et qui – immortel – est déjà âgé de presque 3 000 ans? J’envie la sagesse des elfes, leur force aussi. Pas leur perfection. Je n’aime pas ce qui est trop lisse. Les points communs avec Arwen, je les ai trouvés dans l’élan qui le porte vers l’amour, l’amour d’un humain. Et, aussi, dans cette idée de beauté intérieure, qui vient d’une harmonie en soi et remonte jusqu’aux yeux pour s’offrir au regard des autres. Je crois beaucoup moins à la beauté physique, plastique, qu’à cette harmonie intérieure, cet équilibre fragile et d’autant plus précieux que nous ne sommes… ni parfaits ni immortels (sourire).

Vous y pensez, à la mort? On associe souvent jeunesse et sentiment d’immortalité. On vit comme si on ne devait jamais mourir.

Si c’est l’apanage de la jeunesse, alors je ne suis plus si jeune (rire). Parce que j’y pense, à la mort. Pas de manière obsessionnelle, mais de temps à autre, comme à quelque chose d’évident, qui met en perspective plein d’éléments de notre existence, de choix que nous faisons ou ne faisons pas. En même temps, la mort n’a jamais pris pour moi une réalité concrète, dans mon univers proche. Je n’ai encore perdu aucun être cher. Je ne connais pas encore les sentiments qu’un tel deuil éveille en nous… Pour moi, jusqu’ici, savoir que je vais mourir rend simplement plus intense encore la beauté d’être en vie, de ressentir, de vibrer.

Pas de peur de vieillir, donc?

Non. J’ai la chance d’avoir un père et une mère qui ont su rester très jeunes dans leur manière de vivre et de communiquer. Mon père a encore des allures de jeune homme. Il m’a dit que ses articulations commençaient à se faire un peu raides, que les jointures se mettaient à grincer, mais qu’il ne se sentait pas différent dans sa tête (rire). Pour moi, mes parents incarnent ce pouvoir qu’a la jeunesse de durer. Moi-même, je me sens plus jeune que quand j’avais 15 ans. Travailler avec des adultes m’avait rendue plus sérieuse, plus mûre, plus consciente de mes responsabilités, à cette époque. J’avais tous ces plans, à 15 ans, quant à ce que j’allais faire plus tard, à 25 ans, lorsque je serais devenue adulte. Je les ai presque, ces 25 ans, et je ne me sens pas trop adulte encore. Je n’ai pas réalisé la majorité de ces plans que je traçais. En fait, je respire plus librement aujourd’hui, même si j’ai peut-être un peu régressé (rire).

Pour revenir un instant à la beauté extérieure, n’avez-vous pas l’impression que beaucoup de gens se fixent sur votre image comme sur une icône, sans souci de savoir par ailleurs ce que vous savez faire?

Evidemment, oui. C’est une réalité, que vous le vouliez ou non. Et c’est logique, normal même jusqu’à un certain point. Adolescents, nous projetons tous nos fantasmes sur des images de vedettes. Je le faisais certainement quand j’étais gamine. Et cela m’a probablement inspirée, aidée d’une certaine façon à devenir moi-même. Alors, je n’ai pas de problème avec ça. Je regrette seulement le tour extrême que ce phénomène prend parfois, lorsque le respect fiche le camp. Plus globalement, je pense qu’il est important de célébrer non seulement l’image physique (s’il y a lieu) mais aussi comme vous dites ce que la personne concernée accomplit. Dans le cas d’Arwen, mon personnage dans  » Le Seigneur des Anneaux « , nous avons ajouté une scène d’action – la chevauchée mouvementée où il sauve Frodo des griffes des méchants – qui était le fait, dans le roman, d’un autre elfe. Nous avons ressenti le besoin de ne pas se limiter à une image sereine, amoureuse, mais somme toute passive.

Vous avez eu le bonheur de jouer pour des cinéastes qui, tels Robert Altman, aiment montrer des femmes de caractère. On ne peut en dire autant de la vaste majorité des réalisateurs américains…

Certes. Et c’est pour cela, notamment, que je n’ai aucun nouveau film à mon agenda depuis la fin du tournage du  » Seigneur des Anneaux « . Hier encore, on m’a appelée pour me proposer un rôle dans un très gros film, avec à la clé un cachet mirobolant. Il ne m’a pas fallu longtemps pour le refuser. J’ai de l’argent, j’ai de quoi voir venir. A même pas 25 ans, j’ai conscience qu’il s’agit d’un luxe. Mais je le mets à profit pour me montrer exigeante, pour ne vouloir jouer que des femmes qui existent par elles-mêmes et pas seulement comme accessoires d’un homme.

Dans les années 1940-1950, Hollywood faisait la part plus belle aux femmes fortes et décidées.

Oui, mais il leur a fallu se battre, s’imposer. Avec de la souffrance en chemin. Quand je lis le récit de la vie d’une Marilyn Monroe, d’une Bette Davis, d’une Barbara Stanwick, d’une Joanne Crawford, je vois beaucoup de peine et d’injustice. Ces femmes doivent être des modèles pour ma génération. Au nom de ce qu’elles ont obtenu mais aussi enduré, nous ne pouvons nous permettre d’accepter n’importe quoi. Je sais que la liberté réside souvent dans le pouvoir de dire non. Même si cela signifie ne pas travailler pendant un certain temps…

On vous dit très  » famille « .

Immensément  » famille « , oui. Partout où je vais (et je voyage beaucoup) j’emporte des photos encadrées que je pose sur les meubles de ma chambre d’hôtel, en plus des objets familiers que j’emmène aussi partout et qui alourdissent mes valises. J’ai toujours été comme ça: il me faut autour de moi plein de choses qui me rappellent la maison. Certains acteurs s’immergent tellement dans leur travail qu’ils en oublient leur propre vie. Moi, il me faut un équilibre entre les deux. Je ne pourrais pas survivre une minute sans l’amour de ma famille. Et l’amour que je lui rend.

Propos recueillis par Louis Danvers

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