Pendant deux ans, le photojournaliste belge Roger Job s’est glissé dans les pas des Turkanas, peuple de pasteurs nomades du Kenya dont le mode de vie ancestral est menacé par les dérèglements climatiques. Un travail sensible et alarmant à voir au musée de la Photographie, à Charleroi.

C’est l’histoire d’une dégringolade. Nous sommes à la fin des années 90, Roger Job découvre le monde du pastoralisme, au nord du Kenya. Première rencontre avec les nomades Turkanas, un peuple drapé de fierté, le port de tête altier, perpétuant depuis des lustres un mode de vie autarcique tout entier tourné vers le bétail et la nature, loin des codes consuméristes partagés par la majorité des êtres humains. Une bulle idyllique, où l’on semble heureux de vivre de peu : suffit l’eau pour nourrir les bêtes qui donneront du lait et de la viande, l’extrême simplicité n’est pas ici un frein au bonheur.

Dix ans plus tard, à l’occasion d’un autre reportage, le photojournaliste se pince : où sont les hommes imperturbablement libres dont il avait gardé le souvenir ? Ils ont aujourd’hui le regard abîmé, le moral terrassé. Une sécheresse sans précédent, directement due aux changements climatiques qu’on connaît, accable la région depuis plusieurs années et s’apprête à saccager tout un peuple et sa culture. En deux ans, Roger Job va assister en direct aux conséquences désastreuses de la pénurie de pluie sur cette civilisation déboussolée trouvant difficilement des solutions pour s’adapter à cette situation inédite, mais luttant coûte que coûte pour la survie de sa spécificité.

Admiratif de  » toutes les formes de résistance  » comme il l’avait déjà illustré à la faveur d’un travail sur les débardeurs wallons (Luc Pire, 2003), le photojournaliste ardennais s’est donc engagé à mettre en image cette réalité profondément mélancolique au fil de huit voyages extrêmement rudes. Car, pour approcher le c£ur des Turkanas, il faut apprendre à user ses semelles.  » J’ai pensé parfois arrêter tellement c’était éreintant, avoue l’homme, pourtant bâti comme Depardieu. Mais c’est aussi grâce à la marche qu’une amitié a pu s’amorcer. Ils n’en revenaient pas que je les accompagne des journées durant sans 4×4.  » Butin, un surnom : Ekakwangan Lokaloton,  » Le Blanc qui marche « .

Il faut lire le carnet de bord très personnel du  » Blanc qui marche  » publié dans le catalogue de l’exposition que le musée de la Photographie, à Charleroi, consacre actuellement à son projet. On y suit pas à pas un gars témoignant avec sincérité de sa démarche, loin de toute culpabilité stérile, ou charité chrétienne indécente, avec juste en tête – et c’est beaucoup, le devoir de dénoncer une situation alarmante qui embue son regard d’homme.

Par Baudouin Galler

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