Son parcours de mode approche les trente ans mais Michel Klein n’a pas pris une ride. Rencontre avec un éternel jeune homme qui place son métier

sous le signe du plaisir et du renouvellement.

Michel Klein (48 ans) n’a jamais attendu le nombre des années pour avoir de la valeur : à 15 ans, ses croquis sous le bras, il pousse la porte d’Yves Saint Laurent et reçoit un accueil favorable. Un an plus tard, le soir après l’école, le voilà en train de dessiner des chaussures pour Maud Frizon. Ensuite, il créera des modèles en maille pour la marque Dorothée Bis et à 19 ans à peine, il ouvre une première boutique û Toiles û où le sur-mesure côtoie le prêt-à-porter, à une époque où la notion de créateur de mode prend enfin tout son sens. Un séjour outre-Atlantique lui permet de concevoir des costumes de théâtre. En 1981, en partenariat avec Charles Jourdan, il fonde sa propre griffe et cinq ans après, fait cavalier seul. En 1989, il signe un très gros contrat de licences avec le Japon qui demeure, aujourd’hui encore, son plus gros marché (800 points de vente), avec quantité de lignes uniquement développées sur l’Asie. La même année sort  » la veste chinoise « , son best-seller, et en 1991, une ligne bis baptisée MK. Touche-à-tout talentueux, Michel Klein £uvrera aussi, de 1994 à 1997, pour Guy Laroche haute couture avant de reprendre les rênes de son business perso. Plusieurs parfums plus tard, une présence dans plus de quinze pays différents et une ouverture de boutique rue Saint-Honoré à Paris, Michel Klein décide de (re)pousser sur le champignon de la créativité pointue avec Cher Michel Klein, une collection de luxe traversée par la colonne vertébrale d’une féminité exquise et raffinée. Parsemée de gestes haute couture, Cher a le détail monté en épingle et le tissu raffiné tandis que les coupes de chaque vêtement expriment une individualité délicate, proche de l’exclusivité. Cette collection, articulée autour de l’automne prochain, remplacera donc la première ligne, MK Michel Klein, dont les vêtements, rafraîchissants comme des bonbons menthe, parsèment ce printemps de leurs imprimés joyeux et de leurs tons toniques. Aux regrets, Michel Klein préfère les raisons d’aller de l’avant et, sur ces bases nouvelles, voit vraiment l’avenir en rose. Rencontre.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi et pour qui, votre nouvelle ligne Cher Michel Klein ?

Michel Klein : Avec Cher Michel Klein, ligne de prêt-à-porter de luxe, j’ai renoué avec la tradition des défilés ( NDLR : Michel Klein ne défilait plus depuis cinq ans, primo pour raison financière et secundo, parce que les collections réalisées jusqu’alors ne se prêtaient pas à ce genre d’événement) où j’ai pu présenter quelque chose de manière optimale, avec les plus beaux mannequins et des partenaires de premier choix comme le maquilleur Stéphane Marais et la coiffeuse Odile Gilbert. De plus, j’ai effectué un important repositionnement par rapport à MK, ma ligne bis, dont je me démarque nettement en remplaçant MK Michel Klein par une collection plus haut de gamme. La ligne bis et MK Michel Klein étaient trop proches, trop similaires et la clientèle ne comprenait pas très bien la différence entre les deux. Cher Michel Klein me permet de tisser des collaborations avec des artisans qui travaillent généralement pour la haute couture. Par cette ligne, j’ai voulu me faire plaisir et surtout, apporter quelque chose en plus aux gens qui portent mes créations.

Un nouveau parfum fin 2003, le rééquilibrage de vos lignes féminines vers le haut, une microcollection masculine, des envies de déménagement… Avez-vous la bougeotte ?

Pas tellement la bougeotte ; disons que je suis quelqu’un qui a envie de construire et tant qu’une chose n’est pas telle que je l’envisage, je fais tout pour y arriver. Parce que je pense que l’on tient à ce que sa marque et son histoire de mode reposent sur des bases cohérentes et pas floues. Appelez cela du perfectionnisme si vous voulez.

Etes-vous  » tombé  » dans la mode, vous qui, âgé de 15 ans à peine, présentiez déjà vos croquis chez Yves Saint Laurent ?

Rien ne destine personne à rien, d’une manière générale. Je pense que si on devient avocat ou médecin parce que ses parents le sont relève plutôt d’une culture bourgeoise que d’un choix personnel. Et depuis que les parents laissent leurs enfants libres de leur destin, tout destine tout le monde à tout ; il suffit simplement de le vouloir. Un environnement créatif ou artistique dans l’enfance peut évidemment vous donner plus vite envie d’aller vers ces métiers-là. C’était mon cas puisque mes parents avaient beaucoup d’amis issus des milieux de la mode, de la peinture, du cinéma et de l’art en général. En fait, j’ai choisi davantage un mode de vie qu’un métier, à voir tous ces gens occupés à des disciplines artistiques et qui avaient vraiment l’air de s’amuser. J’étais doué pour le dessin, j’étais passionné par les costumes et de fil en aiguille, j’ai rejoint le milieu de la mode.

Votre parcours est celui d’un pur autodidacte…

J’ai appris en m’abreuvant à la source de l’air du temps : j’ai regardé les journaux, les gens, les films. Vous savez, j’ai une grande ambiguïté par rapport aux écoles de mode : celles où l’on développe le geste technique qui est très important, ça va, mais la politique d’apprentissage menée par la plupart de ces écoles me semble étrange, dénuée de naturel. Je préfère la spontanéité à un excès de professionnalisme.

Quand vous débutez dans la mode, au milieu des années 1970, la notion de  » créateur de mode  » prend réellement son essor. Avez-vous des souvenirs particuliers de cette époque palpitante ?

J’ai débuté en compagnie de ceux et celles qui furent les catalyseurs de cette vague des créateurs et c’était vraiment excitant. Prenez, par exemple, la décoratrice Andrée Putman, Didier Grumbach ( NDLR : à présent président de la Fédération française de la couture et du prêt-à-porter) et Colombe Pringle ( NDLR : journaliste et rédacteur en chef pour divers magazines de premier plan) avec qui j’ai ouvert la boutique Toiles, en 1975 : grâce à eux, Issey Miyake est venu à Paris et Jean-Charles de Castelbajac, le  » Courrèges des seventies « , a connu le succès que l’on sait.

Pensez-vous qu’aujourd’hui, les créateurs peuvent encore révolutionner la mode ?

L’idée de révolution me paraît très démodée et désuète : les vêtements ne sont pas faits pour être des révolutions mais pour (pres)sentir l’air du temps. Les révolutions vestimentaires se sont souvent révélées fausses, comme quand on a imaginé l’an 2000 tout en métal et en plastique. On peut parler de véritables révolutions dans le cas de Chanel qui a libéré la femme du corset et utilisé le jersey ou quand on fait entrer le vestiaire masculin dans la garde-robe des femmes. Mais ce sont là des bouleversements auxquels surtout les gens de la mode ont été sensibles. D’une façon générale, je pense que les révolutions doivent être idéologiques plutôt qu’esthétiques. Cela dit, j’espère et je souhaite que les créateurs apportent une eau nouvelle au moulin de la mode. La répétition des influences est beaucoup plus rapide qu’avant où il y avait un espace de dix ans entre deux styles. Il n’y a plus de dictature de mode sur la longueur ou la couleur ; aujourd’hui, tout existe avec tout et plus les gens sont créatifs, moins la créativité a de limites. Prenez Karl Lagerfeld chez Chanel et dans son travail en général ; chaque saison, les collections qu’il crée exercent une influence marquante sur la mode et dégagent un style très précis et en même temps Lagerfeld évite de s’enfermer dans des schémas et des codes.

Cela fait presque trente ans que vous naviguez dans la mode. Quel bilan tirez-vous de votre parcours professionnel et de votre existence en général ?

Je constate que rien ne se passe comme on le prévoit ; c’est un métier à la fois difficile et excitant, que l’on ne fait pas en solitaire mais en groupe et en famille, si l’on veut que les choses se passent et surtout, qu’elles durent. Je m’en suis davantage rendu compte vu que j’ai eu un parcours en dents de scie. Si aujourd’hui la griffe Michel Klein est en bonne santé, c’est d’abord parce qu’elle s’appuie sur une équipe de qualité. Un vêtement sans mannequin, ni maquilleur, ni coiffeur, ni musique, ni ambiance particulière, ni presse n’a absolument aucun intérêt… Moi, ce qui m’amuse le plus dans ce métier, c’est la collaboration avec autrui. Au fond, je n’ai pas de regrets mais bien des envies d’aller de l’avant ; le succès qui est lié au lancement de ma nouvelle ligne Cher me donne du pep pour continuer, pour être encore plus exigeant envers moi-même.

Quelle est d’après vous la première mission de la mode ?

Elle consiste à rendre les femmes belles, plus sûres d’elles-mêmes. Elle les accompagne dans des moments importants qui vont changer leur vie ou la renforcer. C’est le même type de mission qu’aurait une maison qui doit servir de décor et d’environnement aux gens qui ont décidé de vivre dedans.

Avez-vous déjà eu des appels du pied pour rejoindre de grands groupes de luxe comme LVMH ou Gucci-Ppr ?

C’est une situation que je n’envisage absolument pas. Le jour où j’accepterai, c’est quand j’aurai décidé d’arrêter ce métier et de vendre ma marque. Par le passé, j’ai lié mon nom au groupe Bic à travers Guy Laroche mais je crois que ma manière de travailler n’est pas faite pour appartenir à une écurie. D’ailleurs, cela ne m’intéresse pas. Avoir des gens qui ont des participations dans la société c’est une chose, appartenir à un groupe en est une autre et je trouve cela très très dangereux pour la création.

La journaliste-écrivain Laurence Benaïm dit de vous :  » Ses vêtements n’ont pas d’âge, c’est ce qui le rend moderne . » Qu’est-ce que la modernité pour vous ?

Pour moi, être moderne ne signifie pas grand-chose ; en revanche, je suis plus interpellé par l’expression  » ne pas être démodé « . Laurence Benaïm pourrait dire la même chose d’un sac Hermès, d’un tailleur Chanel… C’est un énorme compliment et ce qui me fait le plus plaisir, c’est quand je vois des femmes continuer à porter des vêtements que j’ai réalisés il y a dix, voire quinze ans. D’une part, ce n’est pas très bon pour le business parce qu’il vaudrait mieux que les gens achètent des choses chaque saison et d’autre part c’est bien, car celles et ceux qui vivent plus longtemps avec leurs vêtements demeurent davantage fidèles à l’une ou l’autre marque et créateur.

A propos de vêtements à histoire et de pièces emblématiques, il y a votre fameuse veste chinoise…

C’est un vêtement emblématique, bien sûr, et en même temps, il m’énerve (rires). La première fois que je l’ai mis dans les collections, en été 1989, c’était lors du bicentenaire de la Révolution française. Cette veste ne s’inspirait en fait pas de la Chine mais faisait référence aux habits révolutionnaires, synonymes de mouvement et de liberté, que j’ai vus sur le dos de mes parents et de toute la profession libérale à la fin des années 1960. Cette veste, je l’ai incluse plusieurs fois de suite dans mes collections et c’est presque devenu un tic. En plus, elle s’est vendue comme des petits pains û c’est un énorme succès commercial que j’ai aussi bien exploité chez Guy Laroche quand j’y avais la couture en charge ou dans le catalogue 3 Suisses û et tout le monde a insisté pour que je continue à la garder au fil des saisons, à la manière du tailleur chez Chanel ou du smoking chez Yves Saint Laurent. Pour lui donner davantage d’étoffe, je m’en suis servi pour organiser des événements, monter des expositions où différents créateurs en donnaient leur interprétation personnelle, par exemple, etc. Mais à un moment, il y a eu saturation : les gens occultaient le reste de mon travail au profit de la veste chinoise, ce qui a presque engendré, chez moi, un rejet de cette pièce-là. Aujourd’hui, cependant, avec la ligne Cher qui pousse loin les potentiels créatifs, la veste chinoise devient un accessoire et non plus un focus. C’est mieux ainsi.

Comment se présente votre nouvelle collection masculine, MK Hommes ?

Il ne s’agit pas vraiment d’une collection masculine mais de quelques pièces ( NDLR : les premiers vêtements démarrent avec ce printemps-été 2004) parallèlement présentées à Cher et MK, et qui sont des vêtements que mes proches et moi avons toujours aimé porter. Ce sont des pièces simplissimes et que l’on a décidé de diffuser de manière très limitée, dans quelques points de vente seulement. C’est un peu comme si je mettais ma garde-robe à disposition des hommes… En fait, la création masculine n’est pas une obsession pour moi û hormis le travail de créateurs comme Hedi Slimane ou Helmut Lang û, et c’est pourquoi je n’y ai pas démarré plus tôt. Il y a plein de gens qui font cela nettement mieux que moi ; c’est d’ailleurs un métier à part entière. Je crois qu’il est plus aisé de faire de l’homme puis des collections femmes que le contraire.

Quel genre de créateur êtes-vous ?

Je suis un homme content, plus encore en tant que personne que comme créateur. J’ai des amis formidables, une vraie famille autour de moi, je m’amuse bien et j’exerce ce métier comme un plaisir au lieu d’une contrainte.

Propos recueillis par Marianne Hublet

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