Dans son livre  » Fashion Babylon « , Imogen Edwards-Jones dévoile les dessous pas toujours chics d’un art qui reste avant tout un business sans pitié. Weekend a recueilli les confidences de l’auteur, dans un club privé de Notting Hill, à Londres. Grand déballage.

Laissez-moi deviner. Cet été, vous allez flasher sur une petite robe trapèze, à l’imprimé résolument graphique. Elle n’est pas encore en rayon, mais depuis les défilés printemps-été 2007 qui se sont déroulés en septembre dernier, votre subconscient a déjà intégré qu’il vous faudrait ce  » must have  » à tout prix. Quelques dm2 de tissu dévoilés lors d’un show sublime. Et qui cachent, dans la doublure, des centaines d’heures de stress et de travail intenses.

Pour nous faire ressentir de l’intérieur le quotidien sans fards ni paillettes d’un styliste de mode, la romancière britannique Imogen Edwards-Jones a interrogé des dizaines de sources anonymes, à Londres, Milan, New York, Paris. Autant de témoignages piquants, parfois douloureux, qu’elle a mis bout à bout dans  » Fashion Babylon  » (1). Une brique qui retrace six mois de la vie d’une créatrice fictive, nous dévoilant les moindres étapes de l’élaboration d’une collection, depuis les premières esquisses sur papier, parfois un peu trop inspirées d’une merveille trouvée aux puces, les achats en gros de tissus au salon parisien première Vision jusqu’au catwalk avant l’arrivée en boutique et si possible sur la couverture d’un prestigieux magazine.

Ravie de commenter pour nous son docu-roman qui n’est, hélas, toujours pas disponible en français, Imogen Edwards-Jones nous a fixé rendez-vous à Londres, à l’Electric Brasserie, sur Portobello Road.  » Inutile de réserver, précise-t-elle. Nous déjeunerons au Club.  » Un lounge ultrasélect tenu par le patron de la Soho House à New York.  » C’est dans cet hôtel que séjournent mes deux héros lorsqu’ils présentent leur collection pour la première fois aux Etats-Unis, rappelle-t-elle. Depuis qu’une scène de la série  » Sex and the City  » y a été tournée, l’endroit n’a jamais désempli.  »

La référence au best-seller de l’Américaine Candace Bushnell n’est pas fortuite. Les deux anciennes journalistes sont amies depuis plus de dix ans.  » Candace est la marraine de ma fille, ajoute fièrement Imogen Edwards-Jones. On se connaissait déjà quand elle rédigeait ses chroniques hebdomadaires dans  » The New York Observer « . C’est elle qui m’a pilotée à New York pour mes recherches sur les coulisses de la Fashion Week. J’étais horriblement stressée. Pour la petite histoire, je venais d’accoucher et je laissais mon bébé de 3 mois pour la première fois. Je me sentais grosse et mal fagotée par rapport à toutes ces New-Yor- kaises en  » size 0  » (NDLR : l’équivalent d’une taille 34 en Europe). Surtout Candace, toute blonde, toute fine, à côté de moi ! Je me suis consolée de cette expérience traumatisante en achetant pour 1 000 dollars (environ 767 euros) de chaussures chez Manolo Blahnik. J’aime les comportements extrêmes « , s’empresse-t-elle d’ajouter à propos de ses sujets d’étude.

Avant d’écrire  » Fashion Babylon « , Imogen Edwards-Jones avait déjà mené l’enquête dans les coulisses d’un grand palace et les carlingues plutôt agitées des avions de ligne (2).  » Dans ces trois univers, les très riches côtoient les très pauvres, nous explique-t-elle. Des gens sont exploités. Le paradis de l’un est l’enfer de l’autre. Et il y circule quantités de ragots croustillants. Ce sont les ingrédients de base de mes romans.  »

Weekend Le Vif/L’Express : A ce propos, les professionnels de la mode ont-ils accepté de vous confier facilement toutes ces histoires un peu inavouables ?

Imogen Edwards-Jones : Non ! C’était un vrai cauchemar ! Surtout si je compare cette expérience avec mon premier livre,  » Hotel Babylon « , qui était basé sur le témoignage anonyme d’un directeur de palace. Cette fois, j’avais affaire à un business par essence international et surtout à des gens qui, a priori, n’avaient pas envie de parler. Il m’a fallu gagner leur confiance. J’ai convaincu un créateur, en lui garantissant, bien sûr, l’anonymat, et peu à peu d’autres ont suivi. J’ai aussi très vite compris que je devais m’intéresser à tous les autres métiers du secteur : j’ai interrogé des stylistes, des producteurs de défilés, des attachées de presse de stars. Sur la base de tous ces témoignages, j’ai ensuite créé un personnage pour chaque métier de la mode : Alexander, l’associé business et ami, gay bien sûr, de la créatrice, Mimy la styliste, Linda, la top-modèle muse, etc.

Vos interlocuteurs correspondaient-ils à l’image fantasque et capricieuse que le grand public a souvent d’eux ?

C’est vrai qu’ils ont un côté diva : ils étaient toujours en retard à nos rendez-vous, se disaient  » épuisés « ,  » débordés « , quand ils ne me posaient pas tout simplement un lapin, sans même trouver d’excuse. Ils avaient simplement changé d’avis ! En dépit de cela, je les adore. Ils sont drôles, divertissants. Certains passages du livre sont des retranscriptions mot à mot d’échanges animés et hilarants auxquels j’ai pu assister. Ils sont également bien plus intelligents et cultivés que je ne l’imaginais en démarrant cette enquête. Ils sont brillants et surtout, ils travaillent comme des fous. Car dans ce métier, il ne suffit pas d’avoir du talent, il faut être un artiste et un businessman en même temps.

Avant de plonger dans ce monde, la mode vous fascinait-elle déjà ?

J’ai toujours aimé la mode sans être une spécialiste du secteur. Mais, aujourd’hui, mon regard sur le vêtement a changé. Il est plus professionnel. Je connais mieux les marques. Qui fait quoi, qui appartient à qui. Et j’apprécie d’avantage tout le travail qui a été nécessaire pour créer une belle pièce. J’achète, par exemple, nettement moins d’accessoires. Je suis beaucoup plus sélective : l’hiver dernier, je n’ai acheté que trois pièces. Mais coupées magnifiquement. En ce sens, Alexander McQueen est un vrai génie…

A la simple lecture, on se sent déjà épuisé. Ces gens n’arrêtent jamais…

C’est terrible : vous venez de présenter une collection, vous essayez encore de la vendre et vous devez déjà trouver des idées pour la suivante. Pendant six mois, une deadline rattrape l’autre, c’est sans répits. Et ça recommence immédiatement la saison suivante.

Vous semblez dire aussi que Londres crée les talents mais ne sait pas les garder…

Nous sommes notre meilleur ennemi. Regardez John Galliano, Alexander McQueen, dès que les créateurs ont un peu de succès, ils quittent Londres pour défiler à Paris ou New York. La presse britannique a le talent de débusquer les jeunes pousses, mais elle s’en désintéresse très vite. Il lui faut sans cesse de la nouveauté.

A sa sortie, votre livre a-t-il été bien accueilli par le milieu ?

Au départ, il y a eu une petite chasse aux sorcières, les gens s’accusaient les uns les autres d’avoir parlé, d’avoir balancé. Ou bien ils avaient l’impression d’être visés par certains portraits. Pourtant, j’avais été très prudente… Mes avocats m’ont fait retirer 23 pages, par peur de procès. Des éléments que je n’avais pas pu recouper auprès des intéressés qui auraient été cités. Car dans le livre, toutes les anecdotes sont vraies, les lieux et les gens cités nommément existent vraiment.

Le livre sera adapté en série télévisée. Croyez-vous pouvoir convaincre les personnages réels dont vous parlez comme Tom Ford, Alexander McQueen ou Kate Moss… de jouer leur propre rôle ?

Pourquoi pas ? Toutefois je préfère créer des personnages de fiction et confier le rôle à des comédiens professionnels. Je suis très impliquée dans l’adaptation du livre. Je travaille moi-même sur le script. Si tout va bien, le tournage aura lieu durant la Fashion Week de Londres, en septembre prochain.

Les 7 pensées inavouables du designer angoissé, page 86. (1)  » Fashion Babylon « , par Imogen Edwards-Jones & Anonymous, Bantam Press, 330 pages.

(2)  » Hotel Babylon  » et  » Air Babylon « , par Imogen Edwards-Jones, Corgi, 352 et 416 pages.

Propos recueillis par Isabelle Willot

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