Boostée par les imprimantes 3D et le développement des fibres high-tech, une nouvelle génération de créateurs voit le jour. Ultra-connectée, celle-ci bouleverse la mode et ouvre le champ des possibles, comme le montre l’exposition The Future of Fashion is Now, à Rotterdam.

Lire ses e-mails sur un écran intégré à sa veste, surveiller la température de son bébé grâce à un body qui change de couleur, porter une robe qui disparaît quand on la plonge dans l’eau ou revêtir un pantalon à mémoire de forme qui s’adapte aux petites imperfections du corps… Tout cela ne relève désormais plus de la science-fiction. Avec la récente apparition d’une nouvelle génération de vêtements dits intelligents, la planète mode est en pleine mutation.

Le magazine anglais The Economist considère d’ailleurs qu’il s’agit là de la troisième révolution industrielle. Rien de moins. Après l’invention de la fileuse mécanique et l’arrivée de la production de masse, la donne est modifiée par l’apparition des imprimantes 3D et le développement de fibres high-tech. On estime que, dans une petite vingtaine d’années, 80 % des textiles seront techniques ou dotés de fonctionnalités, du type réception de SMS ou de données GPS.

Même si la sphère fashion n’est pas la plus avant-gardiste en la matière, la palme revenant plutôt à des secteurs comme le design ou l’aéronautique, ces innovations technologiques sont déjà concrètement visibles dans deux domaines en particulier.  » D’une part, dans tout ce qui a trait aux équipements de protection individuelle. Cela va des uniformes de l’armée aux tenues des travailleurs manuels, explique Evelyne Chaballier, directrice de l’Observatoire des textiles techniques, un organisme fondé en 2010 au sein de l’Institut Français de la Mode (IFM). D’autre part, on les retrouve dans l’outdoor et les vêtements de sport. Par exemple, les modèles thermorégulateurs ou qui permettent d’accroître les performances…  » Ces tissus se font plus résistants, plus confortables ou plus légers. Ils évacuent la transpiration et apportent un sentiment de fraîcheur, à l’instar de la ligne Océalis de Damart. Ou protègent du chaud, du froid ou de l’humidité, comme c’est le cas du Gore-Tex, notamment.

A noter que le domaine des cosméto- textiles est également en train de se développer sérieusement. Certaines toiles en denim sont dotées de principes actifs encapsulés, qui se libèrent au contact de la peau, pour une action anti-cellulite. Autres options possibles : redessiner la silhouette ou favoriser la circulation sanguine. Les dessous féminins ne sont pas non plus en reste, avec les collants amincissants, les brassières raffermissantes ou les gants hydratants à base de beurre de karité, d’huiles de salicorne et d’abricot.

CRÉATEURS 3.0

Depuis les années 60 déjà, la mode s’intéresse au futur. Cardin et sa robe Cardine, dont les fibres synthétiques épousent le corps ; Courrèges et son approche visionnaire qui se doit d’allier fonctionnalité et esthétisme ; Paco Rabanne, à l’origine de projets d’expérimentations de matériaux, comme la robe en papier, le jersey d’aluminium, le cuir fluorescent…

Plus récemment, ce sont les créateurs avant-gardistes Hussein Chalayan et Iris van Herpen qui cultivent un intérêt pour ces questions scientifiques. Le premier a notamment imaginé sa Remote Control Dress, qui change de forme grâce à une télécommande, tandis que la seconde conçoit des imprimés en 3D ou des tenues sculptures, réalisées dans des matériaux conçus en labo. Deux personnalités médiatisées, qui ne sont en fait que les figures de proue d’un mouvement bien plus étendu, perceptible aux quatre coins du monde. Considérés au départ comme de simples gadgets, les résultats de ces recherches connaissent depuis peu un essor sans précédent. Et ce, grâce à l’aide d’acteurs de poids (Philips, Dell…), qui investissent pour tenter de commercialiser ces idées innovantes.

 » Selon moi, l’utilisation de la technologie est la seule façon de faire progresser la mode et de produire quelque chose de neuf « , estime Pauline van Dongen, créatrice néerlandaise qui travaille avec un large spectre de nouvelles techniques, comme la découpe au laser, la soudure, l’impression 3D ou encore l’intégration de panneaux solaires à l’étoffe pour qu’elle devienne une source d’énergie durable.  » Ces approches ne proposent pas seulement une nouvelle esthétique. Elles permettent également de donner un caractère plus durable à l’industrie de la mode.  »

A l’ère de la fast fashion, les jeunes créateurs souhaitent en effet apporter leur pierre à l’édifice d’un monde meilleur. Tester et inventer des textiles ? Oui, mais à condition que cela soit pertinent.  » Ils adoptent un point de vue assez critique sur la mode, en tant que système, considère José Teunissen, la commissaire de l’exposition The Future of Fashion is Now(lire par ailleurs). Plutôt que de l’envisager de façon conceptuelle ou artistique, comme cela a souvent été le cas par le passé, ils préfèrent être connectés au monde qui les entoure, être en phase avec les enjeux actuels de la société.  »

Ces stylistes 2.0 se posent pas mal de questions : pourquoi portons-nous des vêtements ? Comment les consommons-nous ? Où placer les frontières entre intimité et vie publique, à l’heure des réseaux sociaux ? Comment personnaliser un modèle selon les besoins spécifiques du consommateur ?  » Nous ne sommes plus dans la performance stylistique, note José Teunissen. Il est parfois même davantage question de vêtement que de mode.  »

A l’image du secteur de l’agroalimentaire, qui a consommé à tout va avant une prise de conscience et un retour en arrière, les futurs Karl Lagerfeld et Giorgio Armani se soucient davantage du produit, de sa qualité et de son origine locale. Le Belge Bruno Pieters et son concept Honest by, qui prône une transparence totale sur ses collections, n’est qu’un exemple de cette tendance lourde, placée sous le signe de la durabilité.

INTERCONNEXIONS

Pour la commissaire de l’exposition The Future of Fashion is Now, c’est le déploiement des nouvelles technologies qui explique en partie cette approche différente du métier.  » Leur potentiel est énorme. Nous vivons dans une ère où n’importe quel habit ou accessoire peut être développé rapidement.  » Plus besoin, comme c’était le cas dans les années 90, d’appartenir au sérail ou de courir les salons pour se faire connaître. Superflue, l’idée d’acheter une foule de magazines pour capter l’air du temps. Ou de s’imposer du porte-à-porte afin de dégoter un investisseur pour une première collection.  » Actuellement, il est tout à fait possible de démarrer au bas de l’échelle, de façon confidentielle, en se contentant d’ouvrir un webshop et d’être présent sur les réseaux sociaux.  »

Avec Internet, cette génération a non seulement la possibilité de communiquer facilement en son sein mais aussi avec les autres, qu’il s’agisse de fabricants, d’ingénieurs ou de chimistes.  » C’est cette vision collaborative qui permettra de concevoir une invention qui soit à la fois technologique et désirable, estime Evelyne Chaballier. L’un ne va pas sans l’autre.  »

Il ne s’agit plus seulement de confectionner un vêtement, mais d’imaginer quelque chose d’inédit.  » En travaillant de manière interdisciplinaire, nous pouvons étendre la pratique de la mode à des considérations inattendues, se réjouit Pauline van Dongen. L’artisanat traditionnel trouve ainsi de nouvelles perspectives. Sa philosophie n’est d’ailleurs pas tellement éloignée de celle des scientifiques. Toutes deux impliquent des compétences et connaissances extraordinaires, qui ne peuvent être acquises qu’après des années de métier. Qualifiée à tort d’hostile, la technologie permet au contraire d’établir une relation plus intime et personnelle avec le monde qui nous entoure.  » Un dialogue entre deux disciplines qui ouvre magistralement le champ des possibles, pour les années à venir…

PAR CATHERINE PLEECK

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content