Au jardin de leur inspiration, les créateurs sont allés cueillir des fleurs, des fruits et des plantes. Virgiles du fil et de l’aiguille, ils ont semé sur leurs modèles toutes les merveilles de la nature, dans une floraison de couleurs vibrantes et de matières voluptueuses.

(1) Edition du 20 octobre 2003.

(2) et (3) Edition du 10 février 2003.

Ce sont des collections délicieuses, à déguster avec les yeux. Des vêtements rafraîchissants comme un bonbon-menthe. Des lignes aussi primesautières qu’une troupe d’enfants à la sortie de l’école un mercredi. Parce que les créateurs ont décidé de se la jouer botanique chic ce printemps, le style bourgeonne d’imprimés fruités, de fleurs et de feuilles tropicales tandis que s’enflamme la palette chromatique, avec une infinité de variations autour de cette couleur apaisante et vivifiante à la fois : le vert. Et l’on pense, à regarder leur démarche, aux vers de Victor Hugo dans  » Les Quatre Vents de l’esprit  » :  » La nature est l’encens, pur, éternel, sublime/ Moi je suis l’encensoir intelligent et doux.  »

Entre la Jane de Tarzan, les peintures de Renoir et la Brigitte Bardot des sixties, les héroïnes des podiums s’habillent de vergers, de jardins fleuris, de pois naïfs, de pétales évanescents ou d’une jungle de cinéma.  » Les femmes de l’été 2004 sont de fines sylphides, mystérieuses et graciles, qui s’enroulent dans l’esprit de la forêt avec des vêtements qui ressemblent à des songes, presque immatériels, dans de fausses couleurs, de make-up ou de nature sauvage « , souligne  » Le Journal du Textile  » (1).

On le sait, la mode est le miroir de notre société. Et si les motifs, en particuliers végétaux, la bonne santé de la couleur, les tissus mutins et le court comme proportion-repère règnent en maître dans les collections de la saison, c’est parce que, après une année 2003 plutôt sombre, l’économie veut voir la vie en (plus) rose, comptant sur une reprise lente mais certaine. Ce regain d’optimisme socioculturel se traduit, côté allure, par une gaieté et une vitalité qui redonnent du punch à la planète mode auparavant rangée sous la bannière d’impératifs commerciaux et de traditions  » maison  » censées ne froisser personne, sauf la concurrence. Succédant à un hiver  » de bon ton « , la mode printanière veut désormais s’éclater à fond, célébrant cette  » naturomanie  » tellement tendance, et multipliant par exemple les références à des périodes de prospérité économique caractérisée comme les Roaring Twenties, les années 1950, les Golden Sixties ou les clinquante années 1980. Cette montée de sève côté allure ne serait pas complète sans un retour à la nature, au paradis perdu, au jardin d’Eden et aux sources de l’origine de l’humanité. De la forme corolle des robes légères au décor organique imaginé par Dries Van Noten pour son défilé estival en passant par les larges jupes-pétales, les boutons de rose appliqués au corsage, les collants fantaisie parsemés de motifs bucoliques ou les cascades de fleurs et de gemmes appliqués en sous-impression chez Comme des Garçons, la saison a l’air de sortir du  » Jardin extraordinaire « .

Descendants spirituels de Louis Antoine de Bougainville, explorateur et amoureux de la nature des quatre coins du globe, les créateurs vont parfois chercher loin les idées que leur inspirent les richesses de l’environnement. Comme Michael Kors pour Céline, par exemple, qui ramène une abondance de palmiers et de plantes exotiques dans le giron de son avant-dernière collection pour la griffe, poussant même le  » vice végétal  » à épingler de vraies-fausses orchidées multicolores au cou et aux pieds de ses mannequins. Ou le label Chloé qui parsème de bananes et de feuilles stylisées ses petites robes sans prétention.

La Dolce Vita version fluo et flashy, c’est chez Versace qu’on la cueille, à travers des tenues moulantes, de belles plantes vertes dans le sens strict du terme et des robes plus fleuries que les serres de Laeken. A côté, les collections tout en nuance d’Alberta Ferretti et de sa ligne bis, Philosophy, offrent le contraste d’une délicate palette florale que l’on penserait appliquée du bout du pinceau. Et chez Armani, la pureté du noir et blanc permet l’éclosion discrète et raffinée de quelques fleurs ou d’une myriade de petits pois. Pour Ungaro, Giambattista Valli collectionne les silhouettes de liane croulant sous les motifs fleuris, alors que les créatures sexy-sauvages de Roberto Cavalli collectionnent plantes, plumes, fleurs et touches de vert vertigineux dans un capharnaüm coloré qui ne manque pas de charme. Chez ces écolos de Marithé & François Girbaud, on parsème de fleurs et de feuilles son futal de randonnée tandis que chez Strenesse, Gabriele Strehle s’en va jardiner dans les années 1970 en quelques modèles très très hippy chic. Au milieu de ces plantureuses idées, le vert pousse une note allègre, par exemple chez Giorgio Armani et chez Junko Shimada en robe bustier évoquant une gigantesque tige. Des pieds à la tête chez D & G, la petite s£ur de Dolce & Gabbana, fleurs, pois et pampilles tourbillonnent dans un plaisant méli-mélo de proportions, de textures et de teintes. Pour la créatrice française Stella Cadente, les jolies citadines s’en vont battre la campagne la fleur entre les dents et chez Jean-Charles de Castelbajac,  » Jungle Jane « , qui défile sur gazon, enfile ses plus beaux atours pour aller compter fleurette au coin de son bosquet. Poètes jusqu’au bout du pédoncule, Karl Lagerfeld pour Chanel sème des bouquets un peu partout, Paul Smith fait se rencontrer les fleurs et les papillons sur des silhouettes en forme de clin d’£il aux années 1950, tout comme Moschino Cheap & Chic d’ailleurs, et Cacharel opère un remake de  » Dans un grand vent de fleurs  » en  » botanisant  » quasi toute sa collection.

Les références, dans le contexte vestimentaire, aux éléments naturels, ont toujours inspiré l’homme. Preuves parmi bien d’autres, les dessins subtils sur les très anciens kimonos japonais, les broderies champêtres sur les pourpoints de la Renaissance, les paysages pastoraux figurant sur la toile de Jouy au xviiie siècle, les motifs Art déco voués à la nature ou la vogue des imprimés Liberty si bien véhiculés, aujourd’hui encore, par Cacharel. Très régulièrement, ces sources d’inspiration inondent d’ailleurs les vêtements, chaussures et accessoires de la belle saison.

 » Les tissus de l’été 2004 puisent leurs motifs et leurs couleurs aux horizons lointains et les mêlent dans un savant cocktail d’origines et d’effets « , précise  » Le Journal du Textile  » (2) dans un dossier consacré aux textiles de saison. Travaillant leurs tissus près d’un an et demi avant qu’ils ne soient montrés sur podiums, c’est-à-dire au moment où approchait l’imminence du conflit en Irak, les spécialistes du cru ont affiché une pugnacité et un optimisme remarquable, utilisant le créneau de l’ultrafantaisie, où il faut se creuser la tête et être un peu complexe dans la matière, les dessins et les coloris, histoire de se différencier. Boostés par les faiseurs de tendances qui vous disent pile-poil ce que l’on portera après-demain, les ténors du textile ont donc plongé dans l’ethnique û l’Indonésie et sa flore luxuriante, la Chine et ses animaux féeriques, le continent africain et ses motifs tribaux ainsi que le Japon avec ses fleurs de cerisier û, le foisonnement culturel, les mélanges et les associations tous azimuts.  » Et surtout ces fleurs typiques que l’on retrouve partout. Des fleurs en filigrane et pointillés, colorées, qui explosent tantôt en jacquard sur un denim réinventé, tantôt en impression, lavées par le soleil, sur une toile de polyester-coton quand ce n’est pas dans une ostentation décorative où se croisent fleurs façonnées et imprimés de cachemire ouvragés  » (3). Bref des textures teintées d’un fort vent d’exotisme où des oiseaux tropicaux volètent parmi une végétation luxuriante dans une cascade de vert gazon, vert pomme, vert bouteille, bleu turquoise, orange bien mûr ou jaune caniculaire. Merveilleux terreau pour ces motifs joyeux, la mousseline, le coton, le polyester brillant, le denim, la soie ou le lin permettent aux imprimés et aux tons inspirés par dame nature de pousser comme le chèvrefeuille sur un mur.  » Mignonne, allons voir si la rose…  » ; vous connaissez la chanson. A vous de la cultiver en conséquence, pour qu’elle mette réellement votre garde-robe à l’heure du printemps.

Marianne Hublet

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