Amorcée l’an dernier, la tendance au  » tout brillant  » irradie encore un peu plus cet été. Bienvenue dans le royaume de la frime sans complexe !

La scène se déroule le 28 janvier dernier à Los Angeles lors de la cérémonie des SAG Awards, ces récompenses attribuées aux meilleurs acteurs par leurs pairs. Comme il se doit, bijoux somptueux et toilettes d’apparat sont de sortie. Parmi les nombreuses célébrités défilant sur le tapis rouge ce soir-là, Cate Blanchett va avoir droit à un feu roulant de flashs. Sculptée dans une robe du soir Giorgio Armani lamée or, elle scintille comme un rayon de soleil éclaboussant la paroi d’un gratte-ciel. Du pain béni pour les photographes présents…

Acte isolé ? Non. D’autres joyaux illumineront également la nuit californienne. L’actrice de  » Babel  » (2006) ne fait finalement que donner la réplique aux Halle Berry, Nicole Kidman, Naomi Watts, Cameron Diaz ou Lindsay Lohan, qui brillent par leur… présence à chaque événement mondain. Un brasier allumé il y a quelques mois et qui n’est pas prêt de s’éteindre si l’on en juge par le niveau d’ensoleillement des collections de cet été. La tête visiblement dans les étoiles, les créateurs ont repeint la saison à venir en or, en argent, en ivoire. Peu importe la couleur et la matière, pourvu que ça brille, ça miroite, ça étincelle ! Des minishorts 18 carats de Chanel aux impers aluminium de Burberry en passant par l’éblouissante pièce montée de Jean Paul Gaultier et les petites robes pailletées de Cacharel ou de Stella McCartney, ce ne sont que reflets métalliques, éclats minéraux et jeux de lumières.

Un filon… en or. La preuve, dès l’hiver prochain, les hommes brilleront à leur tour de mille feux. Les plus audacieux opteront pour les combinaisons réfléchissantes de Dolce & Gabbana (une piste pour les stylistes de la Nasa ?), les moins téméraires pour une paire de chaussures (Vivienne Westwood) ou un pantalon (Neil Barrett) saturés de Lurex, Néoprène, latex ou tout autre matière susceptible de transformer un vêtement en lustre du château de Versailles.

Diamonds are forever

Il faut que ça brille ! Le mot d’ordre ne concerne pas que la mode, loin de là. Dans les secteurs du design, de la joaillerie, de l’horlogerie et même du high- tech et de l’automobile, on observe le même engouement pour les surfaces rutilantes. Au dernier Salon de l’auto de Paris, Toyota exhibait une Auris dorée comme un lingot. A Paris toujours, les touristes fortunés font escale sous les ors du dernier palace de la ville, le Fouquet’s Barrière, tandis qu’à Milan, la jet-set se précipite au Gold, le nouveau restaurant des infatigables Dolce & Gabbana. Murs et planchers luisants, on se croirait dans le palais de la reine de Saba. Le tandem n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà relooké un GSM Motorola, le badigeonnant de peinture dorée pour lui donner l’aspect d’une pépite de gros calibre.

On exhibe avec ostentation ses richesses. On étale son compte en banque. Les bulles de champagne qui faisaient tant rêver ne font plus tourner la tête. Pour séduire une clientèle habituée à l’épate, on pare les flacons de cristaux Swarovski (Moët & Chandon) ou de clous dorés (série limitée Dom Pérignon signée Karl Lagerfeld). C’est la culture du  » too much « . Même les porte-drapeaux de la décontraction se la jouent subitement superstar. A l’image de ces All Star tapissées d’or ou d’argent et serties… de cristaux Swarovski. Les temps changent. Une pluie de diamants et cristaux, vrais ou faux, s’abat sur l’époque. Ces gouttes précieuses ruissellent sur les montures des lunettes (Rykiel, Boucheron, Gucci) comme sur les cadrans des montres (de Guess à Dior). Sans parler des bijoux, toujours plus voyants, toujours plus brillants, toujours plus imposants. Montblanc joue la même partition, hissant cette année encore ses diamants en forme d’étoile au sommet de ses stylos, bagues et lunettes.

Bling bling attitude

Voilà pour le constat. Reste à savoir ce qui a déclenché cette poussée de fièvre (de l’or). D’autant plus surprenante d’ailleurs qu’il n’y a pas si longtemps encore, le tape-à-l’£il était vu comme une faute de goût impardonnable. Un  » truc  » de nouveaux riches ou de péquenot. Mais voilà, c’était avant la tornade bling bling.

Flash-back. Dans les années 1980, les rappeurs américains (Run DMC en tête) s’affichent avec de lourdes chaînes en or autour du cou et des bagouzes diamantées plein les doigts. Du jamais-vu, à part chez Mr. T, le Black musclé de l' » Agence tous risques « . Une caricature de la société de consommation autant qu’un moyen d’étaler sa bonne santé financière. Du reste, dans le milieu du hip-hop, né dans les entrailles des ghettos, on préfère garder son patrimoine sur soi plutôt que d’aller le confier aux banquiers. Le gitan garde sa fortune dans sa bouche, le rappeur l’investit dans la bijouterie. Question de culture.

Du coup, plus ça brille, plus ça en impose, mieux c’est. Le magot est passé directement de sous le matelas aux poitrines et aux bracelets. Relativement marginal au début, ce culte de la frime va peu à peu s’intensifier et finir par contaminer une large frange de la mouvance hip-hop. Les années 1990 vont ainsi être le théâtre d’une surenchère effrénée dans le clinquant et le mauvais goût. C’est l’époque de Puff Daddy (rebaptisé Diddy depuis), du R’n’B glamourisé (avec Beyoncé en grande prêtresse), et surtout du gangsta rap, cette version mafieuse du rap. Le cocktail à la mode chez les  » lascars  » allie breloques surdimensionnées, lignes de cocaïne, bimbos cuivrées et grosses villas. Une  » philosophie  » de vie hors piste martelée à longueur de journée par la chaîne de télévision musicale MTV. Du  » bling bling « , dénoncera en 1999 le rappeur B.G., en référence au bruit des colifichets qui s’entrechoquent. L’onomatopée entrera tout de suite dans le langage courant.

Pour tout l’or du monde

Comme souvent dans le circuit de la mode, c’est de la rue que vient l’impulsion. Ce sera une fois de plus le cas ici. Au début des années 2000, un certain John Galliano s’amuse à marier bling bling et couture. Gros succès. Depuis, chaque saison, le brillant gagne du terrain, contribuant dans la foulée à banaliser les signes extérieurs de richesse. Ce qui était kitsch et vulgaire hier devient subitement glamour et trendy. Des stars au grand public, il n’y a qu’un pas. Voilà comment, en quelques mois, le  » show off  » devient la règle. Et l’on peut déjà situer son apogée à l’été 2007.

La machine à paillettes s’est emballée d’autant plus facilement que le  » masstige  » lui a servi de lubrifiant. Contraction des termes  » masse  » et  » prestige « , ce néologisme désigne la démocratisation des produits et services de luxe. Attirés par les attributs des groupes sociaux plus favorisés dans l’espoir de donner l’illusion qu’elles en sont, les classes moyennes se sont jetées avec gourmandise sur tout ce qui est à leur portée, accessoires des grandes griffes ou, à défaut, copies des pièces plus chères dans les grandes chaînes de prêt-à-porter. Ce qui fait évidemment les affaires des marques mais n’est pas du goût des  » vrais  » riches, pas franchement ravis de voir Monsieur ou Madame Tout-le-monde parader avec le même sac ou les mêmes chaussures qu’eux. D’où la tentation pour les plus aisés d’aller voir du côté du superluxe. Pour être sûr que le commun des mortels ne pourra pas rivaliser et pour bien marquer aussi la différence de statut, on s’entoure d’objets hors de prix. Qui ne font en général pas mystère de leur valeur. Résultat des courses : de haut en bas de l’échelle sociale, ça scintille comme une barrière de corail. Si tout ce qui brille n’est pas or, tout ce qui brille vaut en tout cas de l’or…

Laurent Raphaël

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