A peine 32 ans et déjà directrice. Kaat Debo est à la tête du ModeMuseum d’Anvers depuis le début de l’année, rien d’étonnant, elle y a fait ses classes dès 2001. Portrait d’une jeune femme qui prend la mode au sérieux.

Ceci n’est pas un temple, que l’on ne se fourvoie pas. C’est un musée de la mode comme il en existe peu. Hier, quand on entrait dans cet immeuble xixe siècle au numéro 28 de la Nationalestraat, à Anvers, on tombait sur une caravane blanche très sixties qui faisait office d’accueil pour Maison Martin Margiela (20), The Exhibition. Aujourd’hui, on y entre toujours par là, la caravane est repartie à Paris dans sa maison mère, on est passé à autre chose, aux robes de papier pour une expo baptisée Paper Fashion (lire aussi page 122). Kaat Debo était allée la découvrir en 2007, à Athènes, au Musée Benaki, le curateur lui avait alors demandé d’écrire un texte sur les créateurs belges, les A.F. Vandevorst, Dirk Van Saene et autres Walter Van Beirendonck qui s’étaient emparés du papier pour signer quelques créations fragiles, éphémères et alternatives. L’idée lui avait plu, l’expo aussi, elle avait décidé de l’accueillir en ses murs, à Anvers. Mais à sa manière, configurée par cet espace à nul autre pareil. Elle ne l’ignore pas, Kaat Debo, son musée a de la gueule, d’ailleurs, elle a baptisé la rotonde  » la salle woaw « . Elle y met un point d’honneur à jouer l’expérimental et le spectaculaire. Elle aurait tort de ne pas le faire. Car il n’y a (presque) rien d’aussi difficile à exposer que la mode et le vêtement.

Alors, avec son équipe, elle emprunte les chemins de traverse. La chronologie, le systématisme, la méthodologie académique, elle n’aime pas trop, mais la scénographie réfléchie, la provocation titillante, l’inventaire thématique qui en contraste ou en réflexion en disent souvent plus long, ça oui. Et surtout jamais d’élitisme, elle insiste.  » Ouvrir les yeux à d’autres esthétiques « , dit-elle. Car elle sait que  » les gens regardent mieux quand ils sont provoqués « . Surtout si, in fine, l’émotionnel et le rationnel finissent par se marier. Kaat Debo n’a visiblement rien oublié de son cursus académique – philologie germanique à Anvers et philosophie à Berlin -, ni de son apprentissage ici, dans le sillage de Linda Loppa, la fondatrice du MoMu, son  » mentor « . En 2001, elle abandonne un doctorat sur la danse contemporaine, elle trouve ce chemin-là trop solitaire, elle choisit le rythme semestriel des expos à monter au MoMu dont elle devient curatrice. Cet univers-là, la mode, n’est pas éloigné de la danse à ce point,  » il est question de corps et d’images de corps après tout ! « 

Six ans plus tard, au départ de Linda Loppa, Kaat Debo est nommée directrice artistique et aujourd’hui, directri-ce tout court. Elle sait qu’elle est jeune, qu’à Londres ou ailleurs, elle n’aurait sans doute jamais eu ce poste-là, cette chance-là, pas à son âge ; son background atypique lui donne des ailes, elle parle d’une place qui l’inspire. Elle qui aime apprendre connaît son bonheur : assister aux défilés des Belges à Paris, pour enrichir la collection du musée (20 000 pièces du xixe siècle à nos jours), éliminer les robes très belles sur êtres de chair mais qui seraient mortes sur mannequins de bois, choisir plutôt, pour un budget de 12500 euros par an, celles qui montrent leur supplément d’âme. Travailler avec des créateurs vivants, monter des expos sur eux, avec eux. Et peaufiner son sens de l’empathie, car pour réussir une belle expo sur la Maison Martin Margiela, Veronique Branquinho, Bernhard Willhelm ou Yohji Yamamoto, il faut parvenir à se glisser dans leurs têtes. Il semble que Kaat Debo y parvienne. Avec intelligence.

Anne-Françoise Moyson

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