Barbara Witkowska Journaliste

Mosaïque de communautés, religions et coutumes, le Liban se partage entre civilisation orientale et occidentale. Découvrez un pays qui vit au temps du IIIe millénaire… sans perdre son âme ancienne.

Le bleu vif de la mer, les pastels frais des immeubles rénovés, le brun foncé des montagnes qui dominent, le noir des façades brûlées : comment définir les couleurs de Beyrouth ? On la voit replète, pimpante, riche et joyeuse. On la voit aussi blessée, toujours mutilée. Frileuse. La circulation y est infernale. Des tacots cabossés et des limousines rutilantes filent à toute vitesse, pare-chocs contre pare-chocs. A Beyrouth il n’y a pas un seul feu rouge. Pas d’accidents non plus, nous assure-t-on ! Les images contrastent, hésitent entre l’Orient et l’Occident, entre le futur et le passé : un centre commercial déroule les courbes de son architecture audacieuse de verre et d’aluminium à côté d’un atelier de réparation de voitures en plein air. En face, sur un terrain vague, un marchand de quatre saisons a installé son étalage ambulant. Des montagnes de fruits colorés, gourmands et appétissants s’offrent au passant. Un coup d’oeil sur l’immeuble voisin dont la façade s’est effondrée comme un château de cartes. Les entrailles, encore noircies de fumées, laissent apercevoir les tranches de vie de ses habitants, dévoilant, en toute simplicité, leur intimité à la vue de tous. Voilà une ville qui se montre aussi diverse qu’une mosaïque…

La ville change, veut s’amuser, se faire comprendre et se faire aimer. A Beyrouth, on croise à nouveau, dans des grands hôtels, des  » dames à diamants  » et des hommes d’affaires hâlés et pressés. Dans les rues, les yeux des fashion victims à la beauté vibrante (l’apparence est au centre des préoccupations de la plupart des Libanaises, affirme notre guide), brillent d’assurance et d’insouciance. Les jeunes sont majoritaires. Ils savent rire et ils sont heureux. Le soir, ils se retrouvent sur la célèbre corniche, le long de la Méditerranée, pour contempler la Grotte aux Pigeons, immuable, indéracinable et intemporelle. Héritiers de ce peuple attachant et singulier, les jeunes Libanais tournent, au regard de l’Histoire, la page du passé. Tour à tour cananéenne, phénicienne, égyptienne, babylonienne, perse, romaine, turque, française, Beyrouth a connu huit destructions au cours de son histoire. La renaissance était toujours au rendez-vous. La nostalgie se décline, ici, au futur.

7 000 ans d’Histoire

A Byblos, l’une des plus anciennes villes du monde, le miracle reste intact. Au village, les happy few cultivent le culte de la jeunesse, de la beauté et de la mode. On y vient pour se promener et se détendre, mais surtout pour  » voir et être vu « . Ici, la discrétion n’est pas de mise. Les  » beaux ténébreux « , les  » latin lovers  » de la région, flanqués de superbes créatures moulées de cuir, font donc pétarader leurs décapotables rouges dans les petites ruelles. En bravant les embouteillages, on atteint, enfin, le  » paradis « . Le site antique apparaît dans une belle lumière et l’on saisit vraiment la majesté et l’émotion du lieu. C’est à Byblos qu’est né le concept du livre,  » biblion « . C’est à Byblos que, pour la première fois également, ont été trouvées, gravées sur un sarcophage, les lettres de l’alphabet phénicien phonétique. Une fois la gloire éclipsée, le charme de Byblos était celui d’une cité fantôme. Puis, sous l’impulsion d’archéologues, surtout de Maurice Dunand qui a fouillé le site entre 1925 et 1975, la cité antique bâtie sur un promontoire a refait surface. Pour la dégager, Dunand a fait raser toutes les maisons du XIXe siècle, sauf une. Sa présence solitaire à l’extrémité du promontoire, rappelle inlassablement la fragilité du temps… Aujourd’hui, on peut donc faire une halte face à la mer, au milieu des ruines du château des Croisés, des remparts, des temples et des colonnades. Autant de traces palpables de civilisations qui, en se succédant pendant 7 000 ans, ont insufflé une âme et une richesse dans ces lieux d’exception.

L’une des excursions les plus prisées est celle qui mène au coeur du Chouf, là où se trouve le palais Beït ed-Dine. Bâti entre 1800 et 1802, sur le sommet d’un âpre rocher, par l’émir Béchir II le Grand, il domine une douce et moelleuse vallée. Le poète français Lamartine, l’hôte émerveillé de l’émir, l’a décrite comme  » la plus belle du monde « . La splendeur de la demeure est soigneusement entretenue. A la fois mauresque et turque, elle est légère et aérienne, gracieuse et élégante. Les fenêtres, serties de verrières multicolores, filtrent une lumière irisée sur une succession de salons où les marbres les plus rares rivalisent avec les bois damasquinés les plus raffinés. Dans le vaste hammam suintent toujours les rêves les plus sensuels et les plus mystérieux. Ici, on savoure les plus purs plaisirs de l’Orient.

Beautés naturelles et architecturales

Pour reprendre contact avec la réalité, on file tout droit vers le nord, vers la montagne. De la route en lacets, on aperçoit Becharré, village natal de Khalil Gibran, auteur mondialement connu du  » Prophète « . Livre de paix et de sagesse, le chef-d’oeuvre de Gibran est devenu, sans que personne sache très bien pourquoi, l’un des guides spirituels les plus lus dans toutes les langues.

La montée continue… Au sommet, à 2 000 mètres d’altitude, on aperçoit, enfin, la forêt de cèdres, joyau du patrimoine vert du Liban. Il resterait aujourd’hui deux arbres trimillénaires, dix millénaires et environ trois cents plusieurs fois centenaires. Ces chiffres sont certes extrêmement controversés… Une chose est sûre : plus aucune menace ne pèse sur la forêt. Espace clôturé et entrée payante, les cèdres font définitivement partie du patrimoine national. Une politique rigoureuse de sauvegarde et de reboisement est appliquée à la lettre.

L’extraordinaire grotte de Jeïta est l’autre trésor de la nature libanaise. Peut-être l’une des plus profondes du monde (elle n’est pas encore entièrement explorée), elle est vraiment unique par sa beauté, son ampleur et ses mystères. Des milliers de stalactites et stalagmites, tels des cristaux magiques aux lignes singulières et étranges, se réfléchissent dans les eaux vertes, grises et noires. Quelle est leur histoire, quel est leur secret ?

Et puis, il y a surtout Baalbek, dans la vallée de la Bekaa. Auguste voulait en faire  » la  » merveille du monde. Honnêtement, on ne voit guère plus beau site, ni plus impressionnant. Cette cité fabuleuse, dont les monuments écrasent par leur gigantisme le Parthénon ou le Colisée, est le plus gigantesque et le plus grandiose complexe culturel de tout l’empire romain. Baalbek a été bâtie sur l’emplacement du grand temple phénicien de Baal-Hadad. Les Romains lui ont donné le nom d’Héliopolis. Et l’ont dédié à la triade héliopolitaine : Jupiter, Vénus et Bacchus. Ils voulaient impressionner les peuples vaincus d’Orient en construisant les édifices à la mesure de leur puissance. Et de leur domination. La construction de ces temples a duré quelque deux cents ans, du Ier au IIIe siècle de notre ère. D’une beauté à couper le souffle, c’est le lieu idéal pour méditer sur les changements de ce petit pays extrêmement attachant et accueillant qui ne cesse de se battre pour une liberté neuve, sans perdre son âme ancienne.

Barbara Witkowska

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