Installé sur les quais d’Anvers, loin du bruit assourdissant de Paris où il défile pourtant depuis plus de dix ans, Dries Van Noten reste fidèle à ses origines, à ses idées, à lui-même. Portrait sans retouches d’un personnage hors normes dans la planète mode.

Carnet d’adresses en page 153.

Tiens, il sourit ! A force de le voir toujours un peu raide sur papier glacé, les lèvres en berne et l’£il inquiet, on avait fini par lui coller une étiquette de gentleman mélancolique. Certes, Dries Van Noten n’est ni exubérant ni volubile. Il bouge, il parle juste ce qu’il faut. Ne dit rien sur lui-même, moins que rien sur les autres. Voyage  » parce qu’il le faut « , resté ancré à sa terre le reste du temps. Quand il ne crée pas, il jardine ; quand il ne jardine pas, il crée. Les fleurs et les tissus sont ses deux espaces de liberté. Il prend soin des premières dans son jardin de Lierre, en rase campagne flamande ; il tâte les seconds dans un entrepôt de 5 500 mètres carrés planté sur les quais d’Anvers.

Godefriduskaai 36, c’est le centre névralgique de la SA Van Noten Andries. Pour s’en assurer, il faut aviser la sonnette : le nom de l’occupant y est inscrit en tout petits caractères. Dries Van Noten a quitté le centre d’Anvers pour ce quartier en pleine effervescence immobilière durant l’été 2000. Au cinquième étage, qu’il a fait construire sur les toits pour y installer son showroom, il a la tête dans les nuages quand le ciel est bas. Et les ciels plombés, il aime ça. Son bureau provient de la salle du conseil d’une ancienne briquetterie de Boom, les armoires ont été récupérées au palais de Justice d’Anvers à la faveur d’une modernisation des lieux. Comment a-t-il réuni tout ça ? Mystère. Le lieu même est un peu magique : avant que Dries Van Noten et son équipe ne l’investissent, il servait d’entrepôt aux principaux musées de la ville d’Anvers. Un bric-à-brac invraisemblable, ponctué de rangées de bustes royaux.  » Vous n’imaginez pas le nombre de Léopold III qui étaient stockés ici. Absolument surréaliste !  »

Dries Van Noten présente ses collections à Paris depuis 1991, mais ne s’est jamais résolu à y vivre.  » Il faut parler trop fort pour s’y faire en-tendre.  » Le succès est pourtant là et bien là : 120 000 pièces produites par saison, près de 22 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2002. Dries Van Noten n’accorde aucune licence, ne développe aucune ligne complémentaire.  » Si je m’engageais dans une quelconque diversification, cela deviendrait trop lourd pour moi.  » La taille optimale, il l’a et s’y accroche.  » Mon but n’est pas de devenir beaucoup plus grand. Il faut avoir une taille suffisante pour disposer d’un certain pouvoir auprès des fabricants û ce que vous n’avez pas quand vos commandes sont trop restreintes û mais je ne veux pas perdre la faculté de pouvoir tout contrôler ou presque. C’est cela qui m’amuse. Je n’aimerais pas perdre ce contact direct avec les choses et les gens. Ces dernières années, la folie des concentrations est devenue un peu effrayante pour nous. Tout le monde rachetait tout le monde. La clientèle trouvait plaisant de contempler des vitrines identiques à Hongkong, Paris et New York et les mêmes publicités dans les magazines du monde entier, mais, depuis, elle s’est lassée. C’est le retour à l’individualité. Certains disent que ce mouvement a été accentué par le 11 septembre et je crois que c’est assez vrai.  » S’est-on déjà proposé de le racheter ? Un  » oui  » prudent fuse du bout des lèvres. Les amateurs ont fait chou blanc, le chapitre est clos.

Pas d’étiquette ethnique

Entouré d’une équipe de seize personnes pour la création, Dries Van Noten donne l’impulsion initiale de chaque collection au départ d’une odeur, d’un cliché, d’un souvenir. Puis l’histoire s’anime au gré des apports de chacun. Pour cette collection printemps-été 2003, l’inspiration a jailli de vieilles photos du Congo des années 1950 et 1960.  » Les Con-golais interprétaient les tissus de chez nous et les accommodaient aux goûts africains, avec une certaine exagération dans les motifs et des couleurs plus vives. J’ai mixé cela avec la tenue des jeunes filles qui sortaient au Cinderella, une boîte de nuit à la mode lorsque j’étudiais à l’Académie d’Anvers. C’était un mélange de look punk et années 1950.  »

D’abord naît l’homme, planning des défilés oblige. Cet été, il aura donc une allure classique mâtinée de détails de coupe très  » fifties  » et de discrètes touches africaines (broderies de fils d’or ou de perles de verre, rivets flamboyants, tours de cou aux allures d’amulette). Les blazers, costumes et vestes sont près du corps, les pantalons plutôt courts, dévoilant des chaussures bicolores blanches et noires, et les chemises affichent la légèreté requise. Enchaînement con-trôlé avec la collection femmes, dont les accessoires flamboyent entre bleu curaçao (bottines coupées) et orange (soutien-gorge). Les jeux de superposition, chers au créateur, font de la taille le point de mire de sa silhouette féminine estivale. Les vestes taille haute et les tops cache-c£urs se marient avec des kilts et des jupons taille basse, ceinturés mais de belle ampleur. Les pantalons aussi oscillent entre ces deux extrêmes, posés sur le bord des hanches ou valorisant la poitrine.

Grosse écharpe autour du cou, tennis de toile aux pieds, Dries Van Noten rejette, avec une moue résignée, l’étiquette  » ethnique  » ou  » néo-ethnique  » (faites la différence si vous pouvez) qu’on lui accole si souvent.  » Certains créateurs peuvent bâtir une collection au départ de popeline blanche et de gabardine noire ; moi, je ne peux pas.  » Dries Van Noten donne rendez-vous à l’exubérance, au foisonnement des couleurs, à la richesse des motifs.  » Les tissus constituent le socle de la collection : ils sont pour la plupart créés ici, de même que les accessoires. C’est un énorme travail. Même les fils de broderies sont spécialement conçus pour les collections.  » Tous les croquis, il les réalise lui-même, principalement le soir et le week-end, quand il n’est pas happé par les mille et un soucis du gestionnaire d’entreprise. L’inspiration ?  » Jusqu’ici, touchons du bois, je n’en ai jamais manqué.  »

Derrière la façade longiligne du Godefriduskaai, l’organisation de l’espace répond à une logique stricte : les tissus et les accessoires occupent le deuxième étage, les départements commercial et financier sont au troisième, la création et le patronnage au quatrième, le showroom au cinquième. Le  » turnover  » du personnel y est moins important qu’ailleurs, dit-on dans la profession. La pre-mière assistante de Dries Van Noten l’a quitté, au bout de six ans seulement, pour lancer sa propre collection (A.F. Vandervorst), un autre travaille aujourd’hui chez Ralph Lauren.  » Il y a ici des gens qui viennent de l’entourage de Gaultier ou d’autres créateurs, mais je ne fais pas appel aux chasseurs de têtes, ce n’est pas mon genre.  » Dans ce brassage de nationalités et de cultures,  » on parle toutes les langues, mais le vocabulaire technique est en flamand. Même nos deux patronnières japonaises ont dû s’y faire ! « .

Chantal Samson

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