L’un des plus gros défis de nos sociétés modernes ? Continuer à consommer et à se faire plaisir sans ruiner la planète. En la matière, l’univers de la beauté pourrait bien être l’exemple à suivre.

Demain, le documentaire de Mélanie Laurent et Cyril Dion sorti début janvier chez nous et auréolé d’un César, a explosé les prévisions au box-office avec plus de 100 000 entrées dénombrées à la mi-mars. Le parti pris de ce film ? Ne pas être alarmiste mais valoriser des initiatives crédibles en faveur du développement durable, quelle que soit leur ampleur. C’est la légende du colibri qui, lors de l’incendie de la forêt, et alors que tous les animaux restent terrifiés sans bouger, va chercher des gouttes d’eau avec son bec pour les jeter sur le feu :  » Je fais ma part « , répète-t-il. Faire sa part, c’est ce qui a guidé Laurent Boillot, PDG de Guerlain, à créer la marque Cha Ling, malheureusement pas encore distribuée en Belgique.  » Elle est née d’un rêve écolo, celui de préserver une partie des forêts de théiers du Yunnan, en Chine. Même si on est petit, même si tout n’est pas parfait, le développement durable a été notre fil rouge « , explique Elodie Sebag, directrice générale. Formules allégées en composants, packagings éco-conçus, rituels de soin recentrés sur l’essentiel, mais aussi partenariats lancés sur dix ans avec des producteurs… Parée de cette vision écolo-luxe, la marque crée l’événement en France.

Pourtant, on le sait peu, mais le secteur de la beauté, souvent accusé d’être vain et superficiel, ne s’est pas tourné les pouces ces dernières années. Ainsi, Clarins a amorcé le tournant environnemental dès le milieu des années 80.  » On s’est rendu compte des erreurs écologiques de la monoculture. Mais aussi que les actifs issus de plantes cultivées dans le respect de la biodiversité étaient bien plus puissants « , se souvient Christian Courtin-Clarins, président du conseil de surveillance du groupe. Les premiers engagements suivent : formation de paysans brésiliens à une agriculture non destructrice, achat de terrains dans les Alpes pour protéger la biodiversité… Autre acteur historique, Yves Rocher a également beaucoup oeuvré pour la nature et le développement de filières écologiques et éthiques d’actifs.

L’origine familiale et naturelle des marques semble avoir été le moteur de cette conscience écologique précoce. C’est également le cas pour Pierre Fabre, qui cumule les initiatives vertueuses. Un exemple : l’extrait de datte utilisé dans une gamme de Klorane est issu d’arbres plantés dans le cadre du projet de la Grande Muraille verte en Afrique, création d’une ceinture végétale de 7 000 kilomètres anti-désertification, allant de Dakar à Djibouti. Localement, dans la région de Toulouse, les champs ultra-clean du groupe ont attiré les apiculteurs qui ont installé pas moins de quarante ruches. Les abeilles, véritables indicateurs de santé du milieu naturel, mobilisent également Guerlain, qui a créé un mécénat ciblé sur le développement durable avec l’association Conservatoire de l’abeille noire bretonne de l’île d’Ouessant. Une marque comme Caudalie est, quant à elle, membre de  » 1 % pour la planète « , reversant 1 % de son chiffre d’affaires mondial à des associations investies dans la protection de l’environnement.

Gros consommateurs d’emballages, les labos ont également dû revoir leurs habitudes, poussant leurs fournisseurs à innover. Papiers et cartons issus de bois de forêts gérées de façon responsable, absence de surpackagings, pots recyclables et ressourçables sont autant de stratégies adoptées.  » Lorsque la cliente achète sa première recharge, on a 30 % d’empreinte environnementale en moins, à la deuxième, on atteint 50 % « , précise Edouard Mauvais-Jarvis, directeur de l’environnement et de la communication scientifique Dior. Sans le crier sur les toits, la marque a mis en place depuis belle lurette un système de pots rechargeables pour ses gammes Capture Totale et Dior Prestige. Clarins et Cha Ling ont, pour leur part, réduit le poids des pots en verre, ainsi que leur volume, afin d’optimiser la logistique des transports. Et réduire ce poste, c’est réduire le bilan carbone : chaque étape de la production compte ! En parallèle, les usines changent progressivement de visage : éclairage LED, meilleures isolations, recyclage de l’eau et des déchets… Tout concourt à diminuer les dépenses d’eau et d’énergie. Les formules sont, elles aussi,  » challengées « . Comment rester attrayant en bannissant, par exemple, les huiles minérales ou les silicones ? Ces ingrédients issus de la pétrochimie sont polluants, mais source d’une grande sensorialité.  » Ce sont des enjeux techniques énormes, d’autant qu’en période de crise la cosmétique est une valeur plaisir refuge pour le consommateur « , indique Séverine Roullet-Furnemont, directrice du développement durable Pierre Fabre, qui a quasiment éliminé tous les silicones de ses marques. A force de prouesses galéniques, les labos parviennent à des effets  » silicone-like  » bluffants. Réduire le nombre d’ingrédients fait par ailleurs partie de la démarche.  » Cela veut dire moins d’énergie dépensée lors de la fabrication, moins de ressources puisées dans la nature et aussi moins de risques d’allergie « , commente Elodie Sebag de Cha Ling.

DES CRITÈRES HUMAINS

Mais la notion de développement durable ne concerne pas que la planète.  » C’est un tiers d’écologie, un tiers « je crée du travail », un tiers « je rémunère ce travail » « , rappelle Christian Courtin. Le bien-être de l’humain est un axe fort de la RSE (la responsabilité sociétale des entreprises). Cela concerne à un bout de la chaîne le producteur de matières premières, à qui l’on garantit un revenu digne. Avant, on parlait de commerce équitable. Parmi les premières démarches du genre : Chanel et la vanille à Madagascar depuis 2000, L’Occitane et le karité au Burkina Faso depuis 2006, Guerlain et l’orchidée en Chine depuis 2009. Récemment, Lancôme a créé un partenariat local français pour alimenter en extrait de mélisse ses nouveaux soins Energie de vie.

Même s’il reste du travail, des progrès ont été accomplis et les choses s’accélèrent.  » Les maisons de luxe ont une belle vision de la protection de l’environnement. Et la contrainte crée la créativité « , estime Christian Courtin. Les marques visent une augmentation de leur croissance associée à une baisse de leur impact environnemental. The Body Shop, engagé depuis quarante ans, projette de devenir  » l’entreprise la plus éthique et durable au monde  » d’ici à 2020. C’est aussi l’horizon que s’est fixé à la COP21 L’Oréal pour que 100 % de ses produits possèdent un  » bénéfice environnemental ou social positif « . Cela ne veut pas dire des produits 100 % clean, mais c’est un début.

L’enjeu désormais ? Communiquer. Jusqu’à présent, les marques se sont tues, préférant oeuvrer dans l’ombre plutôt que de survendre leurs actions, conscientes qu’on les attendait au tournant. Cependant, on est arrivé à un point de bascule, qui va les obliger à prendre la parole.  » Les études montrent que les consommateurs veulent acheter durable et demandent aux entreprises d’être plus engagées « , souligne Alexandra Palt, directrice de la RSE L’Oréal. Chacun planche donc sur la meilleure manière de faire passer l’info. L’idée ? Des applis pour scanner un produit et visualiser instantanément son profil écologique et éthique. Le développement durable devient progressivement un critère de sélection au même titre que l’efficacité. Selon Edouard Mauvais-Jarvis,  » la communication environnementale d’une société va devenir aussi importante que sa com’ financière, jusqu’à modifier le cours d’une action « . Que ce soit par devoir ou par conviction, la beauté change et fait sa part pour l’avenir.

PAR CLAIRE DHOUAILLY

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