Les ténors de la French Touch imposent désormais leur vision du design aux quatre coins de la planète. Leur style résolument novateur séduit de plus en plus d’aficionados de l’esthétique et du pratique. Weekend vous invite à découvrir une poignée de jeunes créateurs aux talents pluriels.

Si les grandes pointures du design français tels que Philippe Starck, Andrée Putman ou Christian Liaigre règnent toujours en maîtres incontestés sur la planète déco, une flopée de jeunes créateurs – tous originaires de l’Hexagone également – s’apprête à prendre la relève avec brio. En effet, en 2001, la scène internationale du design a littéralement été colonisée par les dignes descendants de Pierre Paulin et Jean Prouvé. Ils se nomment Christian Biecher, Claudio Colucci, Christian Ghion, ou encore Adrien Gardère, ont du talent à revendre et, surtout, réussissent à se vendre.

 » La French Touch, c’est un équilibre assez unique entre la passion des formes et la rationalité de la fonction, affirme Pierre Staudenmeyer, directeur de la galerie Neotu à Paris. Depuis le XVIIe siècle, la France est réputée pour ses arts décoratifs. Cette dimension de grandeur n’est pas perdue en 2001. Elle est doublée d’une capacité de réponse originale et efficace » (1).

Force est de constater que le travail d’un créateur comme Christian Biecher, par exemple, établit un rapport d’une extrême justesse entre la forme et la fonction. Diplômé de l’école d’architecture de Paris-Belleville en 1998, ce jeune artiste n’hésite pas à croiser les disciplines artistiques pour aménager des intérieurs surprenants comme le très branché restaurant parisien Le Korova par exemple, où l’espace est rythmé par le biais d’un éclairage savamment étudié et de plafonds aux courbes généreuses. A Tokyo, c’est Issey Myake lui-même qui a craqué pour son style si  » frenchy  » en lui confiant la réalisation du siège social de son entreprise. Le credo de Christian Biecher? Donner une esthétique à une fonction technique. Une philosophie qui se retrouve tout naturellement dans ses objets et son mobilier aux formes déliées et riches de sens qui expriment sa vision d’un nouveau confort. Très personnelle également, la théorie qu’il avance pour expliquer l’engouement actuel pour le design français sur le marché international surprend par sa modestie et son humour.  » Tout en faisant preuve d’une grande méfiance face aux phénomènes de mode, je pense que ce succès réside peut-être dans le mélange entre Descartes et la bonne bouffe qui détermine notre manière d’être français « , affirme le créateur.

Son collègue Christian Ghion, lui, présente un parcours plus atypique. En effet, avant de vouer son âme au design, il entame sa carrière par des études de droit et d’histoire de l’art dans le but de devenir commissaire-priseur. Très rapidement, il s’orientera cependant vers la section mobilier de l’Ecole d’architecture de Paris-Conflans. Ses premières créations font vite parler d’elles et en 1992, il signe la lampe officielle des Jeux olympiques d’Albertville. Depuis, il a signé le fauteuil M.A.L.E. pour Poltronau Frau, le vase Ego pour Cinna ou encore la surprenante chaise longue Blue Lagoon en aluminium poli et en gel polyuréthanne.  » Aujourd’hui, le design occupe le terrain dans tous les domaines et, à mon sens, il s’agit d’une nécessité culturelle et économique. Le travail du designer est d’introduire, à travers les signes et les formes, des codes nouveaux dans les rapports humains et d’ouvrir la voie à une nouvelle sensibilité « , explique le créateur. Un design pensé avec le coeur qui se taille déjà un joli succès.

Très présent aussi sur la scène internationale, Claudio Colucci développe ses activités dans différents secteurs. Aujourd’hui, il a déjà collaboré avec Philippe Starck pour Thomson Multimedia et a côtoyé Pascal Mourgue, Nigel Coates et Ron Arad. En 2000, il a signé un canapé-lit original et pratique pour la célèbre enseigne Habitat. Cette création très colorée, simple et ludique, traduit à merveille l’humour qui habite le style de vie proposé par ce designer qui aime par-dessus tout surprendre, déstabiliser et ouvrir de nouveaux modes de perception et d’appréhension de notre environnement. Ses sources d’inspiration?  » Le quotidien, la gestuelle, les femmes, l’amour des gens et des choses, l’unique et le multiple, les voyages, les rencontres, mes rêves… « 

Les créations d’Adrien Gardère, elles, démontrent avec brio qu’il est possible de traduire de manière résolument contemporaine les traditions de l’artisanat dans notre mode de vie actuel. Une démarche qui trouve son origine dans son séjour prolongé en Inde dont la richesse culturelle le fascine. Pour les marques Cinna et Ligne Roset, il dessine des lampes, des lampadaires et des accessoires de bibliothèque. En Italie, c’est la célèbre société Artémide qui édite sa petite lampe à abat-jour multidirectionnelle et réversible qui permet de moduler la lumière selon ses envies. En parlant d’envies, en voici une qui lui tient particulièrement à coeur:  » Continuer à créer des produits dont la durée de vie soit plus longue que les incessants « va-et-vient » des modes de consommation. « 

Frédéric Ruyant, lui, propose une vision plus philosophique du design. Pas étonnant lorsque l’on sait qu’il a décroché un diplôme en philosophie avant de s’orienter vers l’architecture. Une discipline qu’il a choisi d’étudier après son passage dans le studio du grand designer italien Gaetano Pesce. Cette formation l’amène logiquement à considérer le mobilier comme un élément propre à définir l’espace et non comme un accessoire fonctionnel.  » Le design, c’est doter les objets et les choses d’humanité afin qu’ils soient un partage et un art de vivre pour tous « , précise le créateur qui privilégie le mobilier modulable et composable. Ainsi son siège  » Running Sofa  » se compose de trois coussins géants reliés entre eux par de gros élastiques passés à travers des oeillets. Ouvert et dégrafé, il se fait canapé alors que refermé et attaché, il se transforme en fauteuil enveloppant.

Egalement à l’écoute de nos besoins profonds, la société CA&CO, constituée par le duo de designers Martine Cazes et Thierry Conquet, aspire à créer un mode de vie pour demain où l’architecture ne contraint pas l’environnement mais s’adapte à l’espace tout en le sublimant. Avant d’unir leur talent et leurs idées, ils ont tous deux participé à l’élaboration de quelques beaux projets. Pendant dix ans, Thierry Conquet a collaboré avec Andrée Putman et a planché sur l’aménagement de l’hôtel Morgan’s à New York, par exemple. Martine Cazes, elle, a contribué à la réalisation d’espaces commerciaux pour Lanvin, Balmain ou encore Hanaé Mori. A deux, ils apprécient tout particulièrement les matériaux pérennes et non datables, comme le bois, l’acier, le bronze et le verre dont la capacité à bien vieillir est inscrite dans le matériau lui-même.

Au coeur du mouvement mondialiste, les designers français parviennent à traduire de manière contemporaine un art de vivre séculaire qui privilégie l’épicurisme et le bien-être. Une approche du confort et de l’esthétique très humaine qui ne peut que séduire…

(1) L’édition française de « Vogue », février 2001

Le  » Running Sofa  » de Frédéric Ruyant s’ouvre et se ferme à volonté.

Le vase  » Ego  » et la chaise longue  » Blue Lagoon  » de Christian Ghion.

Serge Lvoff

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content