Il se méfie des mots et du parler vite. C’est sans doute pour cela qu’André Saraiva – dit André – est devenu le roi de la nuit et le petit prince du graffiti. Dance-floor et painting plutôt que long discours. Son nouveau club, Le Baron, vient d’ouvrir à New York.

Mieux vaut ne pas rencontrer André Saraiva, dit André, la nuit. Ce n’est pas que le graffeur et homme d’affaires noctambule de 39 ans soit du genre patibulaire mais ici au moins, de jour et chez lui, à l’abri des décibels et des jolies filles, la distraction n’est pas de mise. Un paisible atelier avec vue sur le ciel de Paris. Après avoir vécu à l’hôtel et au mythique Château Marmont, à Los Angeles, pendant des années, il a enfin opté pour le  » chez soi « . C’est cosy. Du parquet ancien, des livres d’art, des jouets pour sa fille, Henrietta, un an et demi – surnommée  » Henri  » -, des tasses de café pour compenser le manque de sommeil. Moins de cinq heures depuis 24 heures. Revenu aux aurores de Chez Moune, un ancien cabaret lesbien des années 30 transformé en club par ses soins et son comparse Lionel Bensemoun.

À eux deux, ils ont créé les lieux les plus hype de Paris. Une dizaine d’adresses sélectes parmi lesquelles Le Baron, Fort-Knox de l’ultrabranchitude compacté sur à peine 150 m2. Pénétrer dans ce bar discothèque tient de la gageure. MGMT y a donné un concert improvisé, Mick Jagger y a fêté un de ses anniversaires, Sofia Coppola ou Guillaume Canet y ont foulé le dance-floor. Un générique qui ne déplaît pas à André, peu enclin à ouvrir ses portes, dit-il,  » aux joueurs de foot ou aux présentateurs de télé « . La petite lucarne n’est pas son truc.  » Même les gens bien que l’on y trouve finissent par devenir…  » Il cherche les mots, ne les trouve pas. Plus aimable qu’affable, il se méfie du bavardage intempestif et des talk-shows du petit écran dont il décline toute invitation.

Peu porté sur les confidences de tabloïd, on passera sur ses relations passées (la sexy actrice française Emma de Caunes, la craquante chanteuse américaine de musique électronique Uffie dont il est divorcé) ou sa liaison actuelle (la it girl et mannequin Annabelle Dexter-Jones) pour se concentrer sur son actualité du moment. Soit l’ouverture à New York, après Paris et Tokyo, du Baron dans le quartier de Chinatown où André vit la plupart du temps. Comme à chaque fois pour ses propres enseignes, il en a imaginé lui-même le logo : un dessin épuré et friendly dans le style qui a fait la célébrité de son auteur.

Car pour les couche-tôt, André c’est d’abord l’auteur de Monsieur A., petit personnage rigolo en haut-de-forme, au visage asymétrique avec un £il en forme de croix. Il en a tagué des centaines de milliers sur les murs des villes depuis la fin des années 80, au point de devenir le  » prolongement de lui-même « . Pour avoir dégradé à répétition l’espace public, Monsieur A. a valu à son créateur un casier judiciaire et un passage par la case prison. Un goût de la liberté très vite affirmé que l’artiste attribue à son éducation (activistes de gauche au Portugal, ses parents ont fui le régime dictatorial de Salazar) et à son environnement, la Suède, premier pays d’adoption. André y vécut jusqu’à l’âge de 10 ans.  » Quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu l’impression que l’on m’enfermait à double tour.  » Monsieur A. est né de là, de cette envie d’en découdre avec l’interdit.

Ce double virtuel lui a apporté quelques ennuis mais aussi, surtout, la notoriété et l’argent. Beaucoup d’argent. Rattrapé par le branding, le bonhomme graffiti a quitté les murs lépreux pour jouer les prolongations sur des grandes marques de téléphone portable, d’alcool, d’appareil photo ou des produits de grande consommation en partenariat avec des supermarchés. À ce jeu-là, Monsieur A., ex-dandy rebelle se serait-il brûlé les ailes ? Mais est-ce vraiment le souci de son Pygmalion ? Trop malin que pour assister impuissant à la crémation de son idole, André est déjà ailleurs. Des récentes £uvres de paysages imaginaires pour le compte de Louis Vuitton ou le montage en cours de son premier court-métrage en tant que réalisateur. Une histoire d’amour qui se déroule en une journée à Paris.  » Il y aura de tout : de la romance et de la violence « , promet André.  » Qu’est-ce que le cinéma ?  » demandait Jean-Paul Belmondo à Samuel Fuller dans Pierrot le fou.  » Love… Hate… Death… In one word : Emotion.  »

ANTOINE MORENO

Quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu l’impression que l’on m’enfermait à double tour.

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