Là où naissent les plats

Michaël Vrijmoed © KRIS VLEGELS

De l’inspiration au menu. Les cuisiniers sont, eux aussi, de grands créateurs. Mais où trouvent-ils leurs idées et comment développent-ils leurs nouvelles recettes ? Plusieurs chefs nous ont confié leurs alléchants secrets de fabrication.

‘Il faut avoir une bonne mémoire gustative’

Michaël Vrijmoed (40 ans), à la tête du restaurant Vrijmoed, à Gand, a dans le passé été sous-chef du cuisinier étoilé Peter Goossens, mais il a aujourd’hui pris son indépendance et mis au point un style très personnel. Son grand avantage : il vit au-dessus de son restaurant 2-étoiles –  » Je gagne du temps pour créer. Si je veux tester quelque chose, il me suffit de descendre aux fourneaux. J’ai d’ailleurs là toujours beaucoup d’ingrédients, ce qui me donne aussi de l’inspiration.  » L’homme n’a dès lors pas de moments de prédilection pour se mettre à réfléchir :  » Comme la plupart des personnes créatives, j’y pense en permanence. Dans la voiture, dans l’avion, dans mon lit, sous la douche… Une idée peut surgir partout. Je la note alors dans mon téléphone ou ma tablette. Il faut avoir une bonne mémoire gustative, de manière à savoir à l’avance quel sera le goût des ingrédients et à déjà les associer dans sa tête. Mais il faut tout de même essayer le résultat pour être certain.  »

Maxime Maziers
Maxime Maziers© KRIS VLEGELS

Tous les deux mois, le Gantois change ses menus : un avec viande et poisson et un uniquement composé de légumes :  » C’est ce qui fait que je crée une centaine de plats chaque année. Même si certains reviennent, parce que je les aime beaucoup ou parce qu’ils ont du succès auprès des clients.  » Le plus souvent, le cuisinier part d’un seul ingrédient et imagine en pensée comment le préparer et le combiner.  » J’aime travailler avec des contrastes de textures, de températures et de goûts, résume-t-il. C’est seulement à la fin que je réfléchis à la présentation, en regardant ce qui se fait en arts plastiques. J’apprécie surtout le minimalisme. « Less is more « , j’y crois beaucoup.  »

Et quand est-il vraiment satisfait ?  » Avant je voulais toujours continuer à innover, à changer, à améliorer. A présent, je vois les choses autrement : parfois un plat est tout simplement abouti et il ne faut plus y toucher.  »

‘La saison est le point de départ’

Maxime Maziers (32 ans) a repris le légendaire restaurant Bruneau, à Bruxelles, en 2018. Un établissement autrefois triplement étoilé auquel il a ajouté son nom… et sa patte.  » J’ai travaillé comme sous-chef pour Jean-Pierre Bruneau, mais je n’ai pas beaucoup appris de lui en ce qui concerne la création de plats, avoue-t-il. Il avait alors imaginé déjà tellement de classiques qu’il disposait d’une réserve suffisamment grande pour y puiser chaque fois.  »

Après avoir repris le lieu, le trentenaire a dû se mettre lui-même à l’ouvrage :  » La saison est le point de départ pour moi, explique-t-il. Je ne choisis pas les ingrédients, c’est elle qui les choisit pour moi. Autour d’un produit de base, j’en cherche alors d’autres qui s’accorderont bien au niveau du goût, dans l’harmonie ou dans le contraste. Ensuite je réfléchis aux textures : si j’ai quelque chose de fondant, je vais plutôt penser à ajouter du croquant pour l’accompagner. C’est seulement à la fin que je pense à la présentation qui, pour moi, doit être plus géométrique qu’artistique : j’aime garder les choses claires sur l’assiette.  » Le Bruxellois limite aussi volontairement le nombre de composants de son mets, et cela se voit aux descriptions courtes et sobres sur sa carte :  » Quand je développe une préparation, je pense aussi à sa réalisation pratique. Ça n’a pas de sens de mettre au point un plat génial mais si complexe qu’on ne peut pas le reproduire pendant le service.  »

Sébastien Wygaerts
Sébastien Wygaerts© KRIS VLEGELS

Le plus souvent, Maxime Maziers crée dans la matinée, entre 9 et 11 heures :  » J’ai alors plusieurs idées prêtes, mais je dois encore les tester. Pour moi, un plat est réussi quand tout – goûts, textures, présentation – est en équilibre. Ça doit générer un effet « waouh « . Parfois ça va vite, parfois ça dure des mois. J’imagine une cinquantaine de plats chaque année, mais j’en garde seulement la moitié. Ceux dont je suis tout à fait satisfait reviennent régulièrement au menu.  »

‘Tout dans ma vie peut m’inspirer’

Sébastien Wygaerts (37 ans) est propriétaire et chef d’Ogst, à Hasselt, qui a décroché cette année pour la première fois une étoile au Michelin. Comment il crée ses plats ? Pour lui, c’est la question la plus difficile qu’on puisse lui poser à lui et ses confrères.  » En fait, je ne sais souvent pas moi-même comment je fais, l’inspiration vient d’elle-même, répond-il. Mais ça m’occupe aussi constamment. Même quand je pars en vacances, je vais toujours choisir un pays avec une culture culinaire intéressante. Je lis également beaucoup sur cette thématique et j’aime me promener dans la nature. Par ailleurs, je vais manger à l’extérieur le plus souvent possible, j’écoute mes fournisseurs et mon personnel. Tout dans ma vie quotidienne peut m’inspirer.  »

Alain Bianchin
Alain Bianchin© KRIS VLEGELS

Comme beaucoup de cuisiniers, Sébastien Wygaerts part souvent d’un produit de saison :  » Mais avant de commencer à penser à des associations avec d’autres ingrédients, je réfléchis d’abord à ce que je peux apporter à ce produit, par exemple avec une technique particulière de cuisson ou un assaisonnement. C’est seulement après que je cherche des combinaisons possibles. Du fait que je cuisine depuis mes 15 ans, je peux pour ainsi dire « pré-goûter » dans ma tête et je sais à l’avance ce qui fonctionnera ou pas. Je ne me contente pas de combinaisons connues, je recherche la surprise et l’originalité.  »

Le Limbourgeois modifie sa carte régulièrement, environ tous les quinze jours :  » Mais je ne change jamais tout à la fois, pour éviter le stress, souligne-t-il. Trouver des pistes pour de nouveaux plats ne me pose pas de problème, ce qui est difficile c’est de dégager du temps pour les tester. Souvent, je le fais entre le service de midi et celui du soir. En fait, je dois être dans le flux du travail pour créer, c’est ce qui marche le mieux pour moi.  »

‘Je crée pendant le service’

Alain Bianchin (46 ans) est probablement celui qui a la manière la plus originale de réfléchir, parmi nos interlocuteurs. Après une carrière dans des établissements étoilés bruxellois (Le Chalet de la Forêt, La Villa Lorraine), il a ouvert un restaurant sous son propre nom, à Jezus-Eik, aux portes de Bruxelles.  » Je crée principalement en partant de mon intuition et de mon expérience, le plus souvent le jour même et pendant le service, raconte-t-il. Je me laisse guider par l’offre du jour, par les meilleurs ingrédients que mes fournisseurs ont pu me proposer. Autour de ça, j’imagine un plat que je présente à mes clients en dehors de la carte, le midi ou le soir. Pour moi, un produit de top qualité, c’est la base de tout. C’est déjà une création en soi, de la nature. En tant que chef, on ne peut jamais oublier ça.  » Cette tactique ne génère-t-elle pas un stress supplémentaire ?  » Bien sûr, ça demande beaucoup d’énergie et je ne peux pas avoir d’autres soucis en tête, répond-il. Mais je veux apporter de l’émotion dans l’assiette et je n’y arrive pas en bricolant des recettes à des heures ou des jours fixes.  »

Evidemment, l’homme a aussi des plats qui reviennent régulièrement, comme son huître fumée aux lentilles croquantes, céleri vert et riz soufflé –  » Je n’ai pas imaginé cela en un seul jour. Ce mets s’inspire de la cuisine japonaise, il a fallu pas mal de temps avant qu’il soit complètement au point « , insiste celui qui songe encore souvent à une déclaration du légendaire Français Joël Robuchon.  » Il m’a dit :  » Si tu as créé quatre ou cinq vrais grands plats dans ta carrière, alors tu peux te considérer comme un grand chef. « 

Ces préparations qui accompagnent des générations entières et qui deviennent connues mondialement sont rares. Ça m’incite à être modeste, mais aussi super motivé !  »

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