Amateur de MTV, de PlayStation et de BD, Luc Donckerwolke, designer chez Lamborghini, a les pieds bien enfoncés dans son époque. Weekend Le Vif/L’Express a rencontré ce génie belge de l’automobile.

Le 19 juin 1965, Luc Donckerwolke naissait à Lima, au Pérou. Celui qui en grandissant se serait bien vu acteur des aventures de Tintin devait un jour ou l’autre tomber sous le charme de la bande dessinée. Mais cet amateur de voitures ambitionnait avant tout de devenir designer automobile. Un métier improbable, pour ce Belge, qui, de la Belgique, ne connaît en fin de compte que ce qu’il a pu lire dans les journaux ou entendre de la bouche de son père, fonctionnaire international. Jusqu’au déclic, quand il découvre les histoires de Michel Vaillant, mises en images par Jean Graton. Voilà aujourd’hui le lien qui unit Luc Donckerwolke au pays du surréalisme. Il est d’ailleurs devenu le héros d’une des aventures du célèbre dessinateur de BD!

Ce jeune designer ambitieux est pourtant bien plus que celui qui signe les carrosseries de mythiques modèles de sport pour Lamborghini. Derrière la passion du design, on découvre en effet un regard actuel sur la société qui l’entoure.

Weekend Le Vif/L’Express: Comment définiriez-vous le métier de designer automobile aujourd’hui ?

Luc Donckerwolke : Pour moi, c’est un métier de passionné. En même temps, il demande une certaine distance par rapport à ce qui se passe dans le monde automobile. Je pense qu’il est important de savoir prendre du recul par rapport à la voiture, pour bien comprendre les éléments qui auront un jour une influence, à long terme, sur la vie de tout le monde.

Quels sont les facteurs qui doivent être pris en compte par les designers pour dessiner les voitures ?

Il faut, par exemple, être en éveil à tout ce qui se passe dans le domaine de la mode, même si la voiture est un produit beaucoup plus complexe qui ne peut pas se permettre de suivre les tendances du moment. Je suis très attentif en revanche à ce qui se qui se passe dans le domaine d’Internet. Cela change radicalement les interactions entre les individus. Internet me permet de me rendre compte que le monde évolue très vite. Prenez le cas de MTV. Cette chaîne de télévision anglo-saxonne est très différente de ce qu’elle était il y a quinze ans. Les gens veulent être dominés par l’information. Devant votre écran de télévision, vous avez sans cesse du texte, des flashs lumineux qui provoquent la saturation, l’envie d’avoir toujours plus. C’est un peu comme quand vous êtes habitué à manger des plats épicés. Il faut trouver de nouvelles recettes pour redécouvrir des épices auxquelles vous vous êtes habitués jusqu’alors.

Quelle est la conséquence concrète, selon vous, de cette manne d’informations sur le design automobile ?

Il n’y a pas que cela. On peut prendre également les jeux vidéo pour établir une comparaison avec la voiture. La Play Station, par exemple. Avec Gran Turismo III, vous pouvez personnaliser votre modèle, choisir n’importe quel type de circuit, n’importe où dans le monde. Il existe une véritable interaction entre le pilote et sa voiture sur la Play Station. Tout cela aura à terme des conséquences sur les voitures que nous dessinons. Les gens auront moins envie de s’asseoir au volant et de rouler. Ils voudront un contact plus actif avec leur voiture et le monde extérieur.

Vous percevez un changement de mentalité ?

Je perçois d’une part l’émergence parallèle de nombreux phénomènes de mode et, en même temps, une plus grande tolérance que par le passé vis-à-vis de ceux-ci. Tout cohabite désormais. En mode vestimentaire, le court n’est plus l’ennemi du long ! Il en va de même dans le domaine culinaire. Cette tolérance se verra aussi dans le secteur automobile.

Qui se traduira de quelle manière selon vous ?

Déjà, l’apparition de ce qu’on appelle les modèles  » crossover « , qui mélangent les genres automobiles. La BMW X5, par exemple, qui possède un look tout-terrain mais qui ne dépare pas en site urbain. Dans le langage formel également, il y a eu le new-edge design ( NDLR : des formes carrées, mises en exergue par Ford), ainsi que le counter-edge. Toutes les choses qui pouvaient autrefois se contredire apparaissent pourtant au même moment pour mieux s’harmoniser. Cela oblige à regarder autour de soi. Pour comprendre qu’il n’existe plus de support noble pour s’exprimer. La bande dessinée commence enfin à retrouver ses lettres de noblesse, notamment avec l’appui de MTV, le retour des mangas, etc.

Les designers automobiles deviennent-ils de nouveaux gourous, imposant des tendances ?

Mais ils ont déjà existé ! Quand j’ai commencé dans ce métier, le grand public avait l’habitude de penser qu’il n’y avait que les Italiens qui savaient dessiner des voitures. On parlait beaucoup, à l’époque, de Bertone, Pininfarina, etc. Puis tous les constructeurs ont tenu à donner plus d’importance à leur propre studio de design.

Selon vous, quels sont les grands noms actuels du design automobile ?

Il est toujours difficile de citer une personne en particulier. Je reconnais par exemple que Patrick Le Quément ( NDLR : directeur du design de Renault) est aujourd’hui l’un des grands architectes du nouveau paysage automobile. Je suis aussi très sensible à ce que Marc Newson a réalisé avec son projet de Ford 021C. Il a remis en question le côté macho de l’automobile, telle qu’elle avait été conçue jusque dans les années 1980. Le travail réalisé par Mazda avec la 121 et Renault avec la Twingo a également fortement changé la manière de percevoir la voiture, en mettant moins l’accent sur la puissance.

Qu’est-ce qui fait un grand designer ?

Il y a deux sortes de designers : celui qui accomplit la continuation d’un mouvement déjà engagé ou celui qui est le catalyseur d’idées nouvelles. C’est la raison pour laquelle un bon designer doit pouvoir s’intéresser à autre chose que l’automobile. Il faut également, selon moi, être capable de voir plus loin, de pouvoir prédire ce que le client voudra dans quelques années. Si on se contente de suivre ce que fait son concurrent, alors, à mon sens, on a tout faux !

En vous écoutant, on a l’impression que l’industrie automobile prend à nouveau en compte les désirs du client ?

Je suis fasciné par ce que j’appelle les  » empereurs  » de l’automobile, ces hommes qu’on prend parfois pour des dictateurs, mais qui sont les seuls à pouvoir faire avancer les choses. Il faut prendre une certaine perspective pour juger les actes de certains grands patrons automobiles. Je pense notamment à Ferdinand Piëch, l’actuel patron du groupe Volkswagen. Il a un parcours exemplaire. On lui doit, dans le même groupe, la voiture qui consomme 3 litres aux 100 km ( NDLR : VW Lupo) et une super-sportive de 1001 ch ( NDLR : Bugatti Veyron) ! C’est lui également qui est à l’origine de la relance de certaines marques, comme Lamborghini en Italie ou Skoda, qu’on n’hésite plus aujourd’hui à comparer à Volvo et à propos de laquelle on ne fait plus de blagues douteuses…

Propos recueillis par Dominique Fontignies

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