Pour faire parler d’elles, les marques de luxe se lancent dans la production de courts-métrages et de documentaires qui flirtent avec les codes artistiques du cinéma d’auteur. Des spots hors normes qui vivent leur propre vie sur le Net.

Il aura suffit d’un bruissement sur Twitter – le dernier réseau social en vogue sur la Toile – pour que la saga s’empare d’Internet. D’images forwardées en textos échangés, la rumeur entourant la sortie du dernier Olivier Dahan était à son comble quand le carton conviant à l’avant-première de The Lady Noire Affair,  » en présence de l’équipe du film « , est arrivé chez quelques bloggers influants. En sous-titre, on laissait même entendre que des interviews avec la star du polar n’étaient pas à exclure. La star, oui ? Mais laquelle ?

Car si Marion Cotillard retrouve ici le réalisateur de La Môme, elle partage la vedette de cette superproduction hitch-cockienne avec un sac en cuir surpiqué noir –  » créé par John Galliano « , précise bien le générique – qui n’hésite pas à lui faire de l’ombre. Soutenu par une communication qui flirte avec tous les codes de l’industrie cinématographique, ce minithriller de six minutes trente est le dernier outil marketing de la maison Dior. Ce spot publicitaire qui n’en est pas vraiment un – le réalisateur comme la marque préférant d’ailleurs parler de  » court-métrage  » – ne sera jamais diffusé par les canaux classiques : en ligne depuis le 20 mars dernier, il ne sera visible que sur le site HYPERLINK « http://www.ladydior.com » www.ladydior.com spécialement créé à cet effet. Même story d’ailleurs pour les opus à venir qui se dérouleront dans trois villes différentes. Après Paris, New York. Arrivée prévue de la Lady Red – au sommet de l’Empire State Building cette fois ? – à la fin du mois d’août prochain.

 » En s’adressant d’abord à un petit cercle d’initiés, susceptibles de s’intéresser à ces contenus nouveaux, la marque mise sur la rumeur et l’impact du bouche-à-oreille qui, depuis la nuit des temps, reste l’outil marketing qui fonctionne le mieux, analyse Patrick Willemarck, directeur de la toute nouvelle plate-forme www.brandialog.com qui propose de mettre les marques en relation directe avec leurs consommateurs. L’info dans un premier temps n’est pas accessible à tous, puis les médias parlent du phénomène et par curiosité, vous irez voir sur le site en question de quoi il s’agit.  »

Pour le lancement de la nouvelle pub pour le mythique N°5 de Chanel, la maison de la rue Cambon a d’ailleurs suivi la même recette : le spot version courte allait être diffusé en télévision pour la première fois le 5 mai dernier – soit le 5 du 5, date éminemment symbolique – mais les impatients pouvaient déjà le découvrir quelques jours plus tôt dans un format plus long sur le site de Chanel, avec en bonus des images du  » making of  » et des interviews du réalisateur et de son actrice. Le genre de plus produits habituellement disponibles sur les DVD collectorsà Ici aussi, le duo de choc n’en est pas à sa première rencontre : en réunissant Audrey Tautou et Jean-Pierre Jeunet, Chanel capitalise sur le succès mondial du Fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001). Un doublé gagnant dont la griffe est d’ailleurs coutumière. En 2004, déjà, Baz Luhrmann recréait un écrin digne de Moulin Rouge (2001) pour Nicole Kidman dans N°5 The Film, un court-métrage de 3 minutes. Pour un autre de ses classiques, Coco Mademoiselle, Keira Knightley retrouvait Joe Wright qui l’avait déjà sublimée dans Pride and Prejudice (2006) et surtout le bouleversant Atonement (2007) évoqué dans le clip. La robe, verte dans le film, devient rouge pour Chanel. Mais la coupe reste aussi troublante, et les hommes – qui dans les deux cas entourent la belle – tout aussi troublés.

 » En réalité, le secteur du luxe a toujours été atypique en matière de communication, insiste Patrick Willemarck. Ces marques sont associées à des créateurs, Karl Lagerfeld chez Chanel, John Galliano chez Dior, Marc Jacobs chez Vuitton. Ces gens sont assez imperméables au partenariat marketing classique, ils acceptent rarement de travailler avec des agences de pub d’ailleurs. Avant le développement d’Internet, le créateur de mode en choisissait déjà un autre pour faire la promotion de son produit : en l’occurrence un grand photographe. Il est devenu impensable aujourd’hui de concevoir une pub de luxe sans ces stars de l’image. Maintenant qu’Internet permet la diffusion pour pas cher de spot ou de making of fait en interne, ces marques s’associent à des réalisateurs prestigieux qui vont tourner pour elles ces minifilms glamour. « 

Un confort de travail exceptionnel

Des produits que les réalisateurs eux-mêmes refusent parfois de considérer comme des publicités  » classiques « .  » Ce film, c’est autre chose, affirme Jean-Pierre Jeunet dans une interview diffusée sur le site de Chanel. J’aurais tendance à dire que c’est du mécénat, c’est un court-métrage de moi financé par Chanel. Il suffisait juste que Chanel y figure.  » Ce qu’il retiendra de l’expérience ? La  » totale liberté  » qu’on lui a laissée.  » Il n’y avait pas d’agence de publicité, se réjouit le cinéaste. J’étais le directeur artistique d’une certaine manière.  » Ajoutez à cela des conditions de travail de plus en plus rares dans la profession et vous comprendrez pourquoi – sans même parler de leur cachet – les cinéastes sont de plus en plus nombreux à accepter la tête haute ce genre d’aventure.  » Quand on vous donne le confort de tourner trois semaines pour deux minutes et demie de film, on ne peut qu’aller au fond des choses « , souligne Jean-Pierre Jeunet.

Le temps, ce luxe ultime, qui grâce au Net, s’ouvre vers l’infini. Plus jamais périmées, les pubs poursuivent leur vie sur YouTube : qu’un nouveau spot fasse parler de lui sur la Toile, et l’on y retrouve sans mal tous ses prédécesseurs. Et puisqu’ici, le temps n’est plus de l’argent, la longueur de ces films et de leurs produits dérivés – making of, interviewsà- ne connaît plus de limites.  » Quand on parle d’un film de deux minutes trente, voire de six minutes, on n’est clairement plus dans un format publicitaire mais bien dans du court-métrage, reconnaît Patrick Willemarck. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi on n’irait pas à l’avenir vers des formats encore plus longs. « 

Sur le canal Dior ou Chanel, finie aussi la promiscuité avec les couches-culottes et les poudres à lessiver des couloirs publicitaires d’avant prime time. L’image du produit et tout ce qui l’entoure sont totalement contrôlés.  » Mais à ce jeu-là, vous risquez d’obtenir des choses de plus en plus convenues « , regrette le spécialiste en communication.

Attirer vers les showrooms virtuels

Attiré par le buzz sur le site de la marque, le curieux se mue aussi très vite en client potentiel. Car ces vitrines virtuelles sont de plus en plus nombreuses à tenir boutique.  » Internet nous permet de toucher plus de gens que notre public habituel, admet Sidney Toledano, le PDG de Dior (1). Un film comme le nôtre pourra nous amener des fans de Marion Cotillard aussi bien qu’une sexagénaire qui s’initie au web. « 

Convier et surtout faire revenir les visiteurs dans ces showrooms d’exception est à n’en pas douter l’un des enjeux majeur du marketing aujourd’hui. Louis Vuitton l’a bien compris : chacune de ses campagnes photo se double d’animations uniquement visibles sur son site Internet. Ici, les stars jouent leur propre rôle : Sir Sean reste Mr Connery et pas James Bond. Et lorsqu’il dévoile ses bonnes adresses à Edimbourg ou parle de son amour du golf, son accent scottish confère à ses  » confidences  » un surplus d’authenticité. Idem, dans le  » documentaire  » relatant le shooting de la campagne printemps/été 2009 avec Madonna, le directeur artistique de la marque et la star se la jouent complices de toujours. Alors que la material girl le qualifie de  » hotty « , Marc Jacobs parle lui d’  » iconic woman « . Sur le Net, la terre entière est conviée à cette rencontre au sommet entre deux artistes hors pairs. Pour en être parmi les premiers, il suffit de signer. Le pacte, qui permet à la marque de tisser sa toile dans la Toile, a pour nom newsletter. L’outil du dernier mantra marketing en vogue : la théorie de l’interactivité. Dont le bien-fondé, à ce jour, n’est pas encore démontréà

(1) Le Nouvel Observateur, 21 mai 2009.

Isabelle Willot

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