La révolution prolétarienne est en marche

Pour l’été, les créateurs puisent dans le vestiaire ouvrier. Dans un grand élan de newstalgie, salopettes, vareuses et bleus de travail se hissent sur les podiums. Fashion addicts de tous les pays, unissez-vous.

Exit le porno chic, voici le prolo chic. Après avoir investi le design et mis un pied dans l’univers de la beauté (on se souvient du bouchon  » boulon  » du dernier jus pour homme de Saint Laurent), le monde industriel poursuit sa révolution. Cette fois, ce sont les catwalks qui sont pris d’assaut par les codes du vestiaire ouvrier. Un peu comme si salopettes, bleus de travail et vareuses désertaient les chantiers pour s’inviter chez les créateurs.  » L’hiver dernier, on avait déjà observé le thème  » Retro Obsession « , analyse Tiphaine Beaurpère, coordinatrice Mode pour le bureau de style parisien Nelly Rodi. Ce thème s’articulait autour d’une réflexion sur le goût du vintage dans notre société moderne et sur l’intérêt réel pour les références historiques, surtout des xviiie et xixe siècles, période où l’on est passé de la société rurale et paysanne à l’ère industrielle. Cet été, le mouvement va plus loin : il est traduit par les créateurs de façon plus contemporaine, sobre et androgyne, mais aussi plus sensuelle et poétique.  »

C’est ainsi que l’on a vu défiler des gavroches en pantalon baggy chez DKNY, des  » filles de fabrique  » en salopette de laine sèche ou de cuir lavé chez Lilith, des mécanos en bleu de travail chez Marc by Marc Jacobs, des magasiniers en cache-poussière chez Paul & Joe ou des ouvrières en blouson et marcel chez Tim Van Steenbergen et C’N’C Costume national… Côté palette, les bleu dur, gris ardoise, écru et bois de rose de l’hiver dernier s’adoucissent et se mâtinent pour la nouvelle saison de coloris cosmétiques et poudrés, du beige au chair. Les matières se font tantôt lourdes, avec des treillis, du denim et des toiles de coton, tantôt souples avec des tissés main artisanaux, des jerseys de soie ou des mousselines de lin.

Fleurs et carreaux

Pour s’habiller pile dans la tendance, on aura en tête Jane Darwell et Henry Fonda dans  » Les Raisins de la Colère  » (1940). Mais la vraie classe (ouvrière), c’est de lutter pour l’égalité des genres. Bon nombre de codes de la saison sont donc mixtes : alors que les femmes s’inspirent du titi parisien, les hommes optent pour des chemises en Liberty ou en vichy.  » On remarque en effet un mélange fait de vêtements de travail masculins et de pièces plus féminines, inspirées des lingères, des blanchisseuses, confirme Tiphaine Beaurpère. Cette panoplie androgyne est complétée par le retour de la liquette blanche à plastron et effets de manches, l’esprit  » vieille dentelle  » des blouses paysannes à petites fleurs.  »

Dans le même ordre d’idées, les carreaux font également leur grand retour. Sur fond blanc, ils se déclinent principalement en rouge mais aussi en bleu ou noir, et souvent en overprint. Une tendance que l’on retrouve dans le détail d’un col ou d’une poche, ou carrément en short, blouse ou robe-tablier. Agnès b. revisite ainsi la robe à bretelles croisées dans le dos et la robe chemise en mouchoir de Cholet à carreaux. Quant au bleu de travail ou à la veste à poches plaquées, elle les transpose presque tels quels dans sa collection été.  » Les vêtements de travail ont ceci de fascinant qu’ils ont traversé les époques sans que l’on sache qui les a créés à l’origine, s’enthousiasmait la créatrice dans les pages du  » Monde  » après son défilé été. Ils vont aux hommes comme aux femmes et ont leur histoire : la veste de charbonnier se taille dans une satinette noire à cause du charbon, la combinaison de peintre dans un chevron blanc pour les éclaboussures…  »

Les accessoires tiennent le haut du pavé

Si les coupes puisent directement dans le vestiaire ouvrier, les matières jouent plutôt les artistos : débardeur blanc décliné en soie chez Calvin Klein, pantalon baggy en velours de soie chez Vuitton…  » L’envie de vêtements à connotation historique tient aussi à la beauté des coupes et des tissus dans laquelle ils sont taillés « , note Tiphaine Beaurpère. Côté accessoires, Pataugas, Camper et Doc Martens, plus que jamais, amènent les chaussures de travail sur les pavés citadins. Même la tennis blanche inventée il y a 25 ans par Bensimon, archétype de la chaussure du peintre en bâtiment, prend de la hauteur : elle a ainsi été couronnée lors de la 8e cérémonie de l’Escarpin de cristal en septembre dernier. Les sacs, quant à eux, sont directement inspirés de la gibecière ou de la sacoche d’ouvrier : toile huilée, cuir brut, rivets et fermetures métalliques ont la part belle.

 » Au vu des nouvelles collections de créateurs et de grandes marques de prêt-à-porter que nous avons observées dans les salons, cette tendance forte de l’été va prendre encore plus de valeur au cours de l’hiver 07-08 « , annonce Tiphaine Beaurpère. C’est aussi le cas dans les lignes denim, qui profitent de la vague  » workwear  » pour revenir en force. Au Bread & Butter, le salon des marques casual et branchées qui s’est tenu à Barcelone en janvier dernier, on ne comptait plus les silhouettes inspirées des uniformes de l’armée, des vêtements de travail ou même des garçons vachers. Le jeans, pour la femme comme pour l’homme, se fait brut et lourd, avec des effets délavés, écorchés, froissés ou brûlés. Les piqûres et les ourlets apparents renforcent encore l’esprit  » bon basique  » du vêtement simple et durable, qui a vécu mais est encore apte au service. Avec pour résultat des lignes simples en apparence mais en réalité très travaillées, comme chez G-Star.

Brut de décoffrage

Un thème qui se décline sur trois saisons et va en s’amplifiant, c’est plutôt rare dans l’univers hautement périssable de la mode. Si la tendance  » workwear  » séduit les créateurs et le public au point de se laminer tout un pan de la mode, c’est donc qu’elle renvoie à quelque chose de profondément ancré en nous.  » Dans une certaine mesure, le vestiaire ouvrier et l’époque de l’industrialisation font écho à nos sociétés contemporaines, analyse Tiphaine Beaurpère. Le point commun, c’est l’univers rude et contestataire, paupériste et romantique à la fois.  » Avec en fil rouge un certain optimisme : on est plutôt dans l’élan nostalgique du Front populaire et des premiers congés payés que dans celui, plus noir, de la postindustrialisation. Ces mannequins en cabans, vus dans les défilés hiver 07-08 de Costume National, Giorgio Armani ou Moschino, on les imagine gouailleurs et bons vivants, comme les Anversois qui ont présenté la collection de Veronique Branquinho.  » Le monde ouvrier en tant que tel ne m’intéresse pas, précise d’emblée la créatrice belge. Mais la rue dans sa diversité m’inspire. J’aime imaginer des vêtements qui ont du caractère et qui soient présentés par des hommes qui ont de la personnalité.  » D’où le  » mix and match  » d’un smoking à poignets en tricot ou d’une veste en tweed incrustée de cristaux Swarovski, pour un look de Gavroche flamand. De l’authentique, du fonctionnel, du brut de décoffrage, et une manière franche et honnête de s’habiller. Le  » workwear  » se rebelle contre le conformisme qui domine la mode et fait sauter les barricades des codes vestimentaires. C’est la révolution prolétarienne… Chic, alors !

Delphine Kindermans

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