A 48 ans, cette virtuose de l’étoffe est en passe de devenir la première créatrice chinoise connue internationalement. Et pas seulement pour son hallucinante toge couleur soleil qu’arbora Rihanna, en mai dernier.

Lorsqu’au printemps Rihanna fit son entrée au gala du Metropolitan Museum, à New York, dans cette incroyable robe jaune canari pesant quelque 25 kg, elle fit immédiatement le buzz, d’aucuns comparant sa traîne gigantesque à… une omelette ! L’événement marquait l’ouverture de la nouvelle exposition du MET, Through the Looking Glass, consacrée à l’influence de la Chine sur la mode occidentale et, en quelques heures, Guo Pei, qui signait le look de la chanteuse, devint un phénomène, s’affichant comme la première créatrice chinoise à faire parler d’elle à l’étranger.

Cela fait pourtant trente ans que la Pékinoise est active dans le secteur. Trois cents personnes sont employées par sa société, Rose Studio, qui propose lustres en cristal, fauteuils en velours et orchidées. En parallèle, elle s’est spécialisée dans les robes féeriques, nécessitant énormément de main-d’oeuvre : pas moins de 8000 heures de travail pour la tenue de la pop star, qui date en fait de 2008, et même 15 000 pour Da Jin, la robe dorée qu’elle considère comme son chef-d’oeuvre et qu’elle refuse de vendre.

 » Quand j’étais petite, nous n’avions même pas un mot pour dire « mode » en chinois, raconte la nouvelle coqueluche de la sphère fashion. Personne n’avait d’ailleurs la moindre idée de ce que cela pouvait être. Il a fallu attendre 1982 pour qu’une section sur cette thématique s’ouvre à l’université. Lorsque j’ai dit à mes parents que je voulais m’orienter vers cette discipline, ils se sont demandé ce que je ferais au juste. Ils ne comprenaient pas qu’une grande école se mette subitement à former des couturières. A l’époque, la Chine ressemblait à la Corée du Nord d’aujourd’hui. Nous portions tous le même uniforme.  »

C’est que, pendant la Révolution culturelle, tout ce qui évoquait la bourgeoisie était interdit : talons hauts, maquillage, bijoux et cheveux longs. Fille d’un dirigeant du parti communiste et d’une enseignante, Guo Pei a principalement été élevée par sa grand-mère, qui lui parlait souvent des attributs d’apparat qu’elle portait jadis.  » Parfois, je rêvais de ses toilettes. C’est peut-être là que j’ai puisé mon inspiration, confie la créatrice. En Chine, la mode est partie de nulle part. En trente ans, nous avons connu un développement qui a pris un siècle ailleurs. Désormais nous sommes presque au même niveau que les pays européens. Même si nous accusons çà et là un certain retard.  »

Après avoir terminé ses études en 1987, devenant ainsi l’une des premières stylistes de son pays, la Pékinoise réalise des collections Enfant, puis bosse pour Tianma, une marque de vêtements.  » Mes créations se vendaient particulièrement bien, au point que l’on faisait parfois la file pour les acheter, raconte-t-elle. Mais c’était quand même une expérience frustrante. Je voulais confectionner de belles robes, mais avec ce label, tout devait être le moins cher possible. Mon patron prétendait que cela n’avait aucun sens de créer des pièces coûteuses, que le marché était inexistant.  » En 1997, la jeune femme décide de fonder son entreprise, avec son mari,un homme d’affaires taïwanais. Peu à peu, son vestiaire devient plus  » couture « , ce qui, à son sens, est l’objectif ultime de tout styliste.

VESTIAIRE MULTICULTUREL

 » Auparavant, les Chinoises portaient toujours des habits très ajustés, rappelle-t-elle. Elles sortaient peu et n’avaient pas vraiment besoin d’un vestiaire de soirée. Mes robes ne sont donc pas typiquement chinoises. Une de mes premières collections s’inspire de Napoléon et des broderies de ses uniformes. En revanche, j’intègre naturellement à mes créations des éléments orientaux.  »

Après la Chine, Guo Pei se verrait bien partir à la conquête du reste du monde. Elle s’est mise à avancer ses pions l’année dernière, à commencer par la fameuse  » robe-omelette « , qui n’avait d’ailleurs pas la vocation d’être portée.  » Quand Rihanna m’a contactée, j’ignorais qui elle était. Je ne vais jamais sur le Web, je ne m’intéresse qu’aux dessins. C’est mon mari qui m’a dit qu’elle était très connue. Comme j’avais déjà prévu de faire un voyage d’affaires à New York, j’ai pris cette pièce avec moi. Je ne pensais vraiment pas qu’elle conviendrait à la chanteuse : elle était trop lourde, trop chaude et trop longue. Quand elle l’a enfilée, j’étais stupéfaite. Elle était superbe et pleine d’assurance. Il est clair que cette collaboration m’a aidée à progresser. Enormément, même. Mais d’un autre côté, j’ai tout simplement beaucoup de chance. Les Chinois pensent que si l’on est bien préparé, les choses coulent de source. Je crois au destin, au dur labeur, et à la combinaison de ces deux facteurs.  »

Depuis, Guo Pei a aussi collaboré avec M.A.C Cosmetics sur une ligne de seize produits, actuellement en rupture de stock, qu’elle a présentée personnellement outre-Atlantique, mais aussi à Paris, lors de la Fashion Week, parallèlement à une exposition consacrée à ses réalisations les plus spectaculaires.  » Le maquillage peut accentuer la beauté d’une silhouette », estime-t-elle.

En 2016, Guo Pei entend renforcer sa présence lors des défilés parisiens. L’année dernière, elle a ouvert un atelier dans la capitale française et déposé une nouvelle griffe, Guo Pei Paris. Elle a actuellement cinq cents clients réguliers en Chine, mais elle voudrait en avoir dans le monde entier.  » Ce serait fantastique de me présenter à un public plus large, de lui faire découvrir ma vision de la beauté et, à travers elle, la Chine « , conclut-elle.

PAR JESSE BROUNS

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