Le Guide rouge Benelux 2002 compte pas moins de cinq nouvelles étoiles en Wallonie et à Bruxelles… Weekend vous emmène à la découverte de tous ces talents consacrés par le célébrissime Michelin.

Une promotion dans le Michelin, c’est fabuleux! Surtout quand on décroche sa première étoile: celle qui consacre l’assiette de l’artisan, plus que le cadre du restaurant. Tout d’abord parce que le Guide rouge et ses escadrons d’inspecteurs anonymes rendent le jugement le plus respecté. Ensuite parce qu’ils consacrent peu d’élus : au total, environ 80 restaurants étoilés pour toute la Belgique en 2002. Et pour les nouveaux lauréats, les résultats sont immédiatement tangibles : à la clientèle habituelle, ravie de voir sa préférence pour un lieu reconnue par des experts, viennent s’ajouter tous ces gourmands et gourmets qui n’hésitent pas à parcourir cent kilomètres et davantage pour savourer les délices maison.

Dans ce brillant palmarès, Weekend Le Vif/L’Express zoome sur les cinq nouvelles étoiles de Wallonie et de Bruxelles. Et en exclusivité, découvrez aussi cinq savoureuses recettes de surdoués.

André Gillard

La Petite Table, à Rocourt

 » Je suis désolé Madame, mais, le samedi soir, nous sommes complets pour les cinq prochaines semaines.  » André Gillard (40 ans), le chef-patron de la Petite Table, à Rocourt, mesure déjà pleinement les retombées de sa première étoile Michelin qui vient de lui être décernée dans l’édition Benelux 2002 du Guide rouge.

Une première étoile Michelin, pour André, c’est aussi un bonheur à partager.  » J’ai immédiatement envoyé un fax aux six autres nouveaux promus, confie-t-il. Les deux Wallons, les deux Bruxellois et les deux Flamands… J’avais trois rêves: rencontrer la femme de ma vie et avoir un enfant avec elle, ouvrir mon restaurant et enfin obtenir mon étoile.  » Tout s’est passé comme souhaité: André rencontre Valérie à Liège; ils travaillent alors ensemble; elle donne naissance à leur fille Ashley, voici dix mois. Valérie et André ouvrent leur restaurant en février 2000; ils se voient octroyer un  » Bib gourmand  » par le Michelin en 2001; ils reçoivent leur première étoile un an plus tard, à la veille de la Saint-Valentin.

André était aux côtés du grand chef bruxellois Jean-Pierre Bruneau lorsque celui-ci reçut ses deuxième et troisième macarons. Le lauréat de La Petite Table a passé plus de dix années auprès de celui qu’il considère comme un maître à penser, tout comme Jean-Claude Darquenne à Amay et Christian Denis (Le Clos Saint-Denis, à Tongres), deux maisons dans lesquelles il a travaillé plusieurs années.

La Petite Table, elle, n’a pas usurpé son nom. Dans ce restaurant, autrefois boutique de fleuriste, on peut tout au plus installer seize personnes. Le décor est sans chichis et n’a certes rien de commun avec les palais et installations somptueuses que s’érigent certains chefs.  » C’est ainsi à Liège, précise Nathalie. Les gens aiment les endroits vivants, se parler de table à table.  » Implantée perpendiculairement à une des deux grandes baies vitrées, la cuisine d’André est à la mesure de l’espace. Signe d’une totale transparence, les passants de la place Reine-Astrid peuvent voir naître ses préparations, de neuf heures le matin jusqu’à tard dans la nuit.  » Nous avons voulu un restaurant que nous puissions mener à deux, avec une aide pour la plonge, souligne André. Cela mis à part, nous employons les mêmes produits que les grands restaurants, sans aucun compromis sur la qualité. Simplement, toutes ces années m’ont permis d’apprendre comment organiser une mise en place et un service. « 

Laury Zioui

L’Eveil des Sens, à Montigny-le-Tilleul

Laury Zioui (42 ans) fait lui aussi partie de la  » mouvance  » Jean-Pierre Bruneau qui, comme pour André Gillard, s’est immédiatement manifesté pour le féliciter lors de l’officialisation de l’étoile. Laury connaît bien les honneurs du Guide rouge pour avoir décroché un macaron à deux reprises déjà, dans deux restaurants différents de la région de Charleroi. Les décideurs du quai de Willebroek (l’adresse bruxelloise de Michelin) n’avaient cependant pas apprécié que notre homme, obstinément à la recherche de la perfection, change trop souvent d’enseigne. Mais neuf mois après l’ouverture de son Eveil des Sens, installé à Montigny-le-Tilleul dans l’ancien restaurant de couscous du père de son épouse Nadia, Laury retrouve son étoile.

L’assiette selon Zioui rivalise avec les créations culinaires des plus grands comme les starissimes chefs français Marc Veyrat, Pierre Gagnaire ou Michel Bras. Mais, attention, Laury n’est pas un suiveur : il innove comme il respire, sans doute en puisant ici et là quelques idées. Mais ses sources sont toujours auréolées de traits de génie. Ajoutez que notre homme est un gourmand qui ne renierait pour rien au monde les tajines de poulet au citron de sa grand-mère.

Chacune des recettes de Laury est une invitation au voyage, à la découverte d’une palette de saveurs inédite. Exemple : sa poêlée de Saint-Jacques à la truffe de Carpentras, risotto d’épeautre et joue de boeuf, lard séché, bouillon au cresson et sabayon de cidre fermier. Son menu symphonie (65 euros et 37 euros pour les vins), constitué d’une dégustation de sept services – sans compter les amuse-gueule et autres mignardises – est ainsi époustouflant de bout en bout.

Jean-Baptiste, Vincent et Christophe Thomaes

Le Château du Mylord, à Ellezelles

Il faut poursuivre la traversée de la Wallonie pour atteindre Ellezelles et cette superbe résidence de campagne, grosse bâtisse aux faux colombages lovée au milieu de la verdure et autrefois propriété d’un rentier anglais.  » Il y a vingt ans, lorsque je suis arrivé ici, c’était une vraie ruine, explique Jean-Baptiste Thomaes, encore sous le choc de sa reconnaissance: le château du Mylord, a, lui, obtenu une deuxième étoile. Nous avons reçu des centaines de témoignages : coups de fil, fax, e-mails. C’est incroyable le nombre de gens qui manifestent une réelle émotion, parfois jusqu’aux larmes.  » Le château du Mylord? Une vraie histoire de famille, incarnée par trois frères. Jean-Baptiste, le cuisinier, ouvre son restaurant en 1985. Son frère cadet Vincent le rejoint quelques mois plus tard pour diriger la salle. Une année après la première étoile, soit en 1988, arrive Christophe, qui abandonne une carrière d’officier de marine pour prendre en charge la pâtisserie.

 » En fait, chez nous, les hommes ont toujours occupé la cuisine, s’amuse Jean-Baptiste. Nous avons encore en mémoire notre grand-père, alors industriel du textile. Il employait deux ou trois cuisinières, mais lorsqu’il s’agissait de terminer la sauce d’un lièvre à la royale, personne n’aurait pu le remplacer. Nous avons vivante en mémoire cette image du moment où il enfilait son tablier. « 

Si l’histoire de ces trois frères est peu banale, elle s’étoffe encore avec le lieu qui vous accueille. De par leur disposition, leur décoration, les pièces qui constituent la salle du restaurant font davantage penser à l’intérieur d’une belle demeure cossue que l’on a spécialement aménagée pour une fête de famille. Les sculptures et les grands tableaux que Vincent Thomaes collectionne avec un évident plaisir peaufinent encore cette atmosphère. Note de modernité et signe d’éclectisme : un petit flacon d’huile d’olive est disposé sur chaque table.

Cette deuxième étoile est aussi une reconnaissance pour une  » maison  » dans le sens le plus noble du terme. Une dizaine de marmitons expérimentés se serrent les coudes dans une cuisine presque trop exiguë. Ils concoctent une cuisine que Jean-Christophe veut avant tout généreuse et constante dans sa qualité et ses goûts. Une des preuves les plus éclatantes est fournie par l’abondance du chariot de desserts.  » Nous proposons aussi des desserts à l’assiette, précise Christophe. Mais plus de 19 convives sur 20 préfèrent se servir au chariot.  » Le mot de la fin? Il revient à Vincent.  » Beaucoup pensent que notre deuxième étoile fera monter les prix, affime-t-il. Mais nous pouvons les rassurer car notre cheval de bataille, le menu que nous appelons  » confiance « , est déjà déterminé jusqu’au 22 décembre 2002. Il coûte très exactement 60 euros, vins compris. « 

Lilian Devaux et Daniel Marcil

Marie, à Bruxelles

A ceux qui découvrent pour la première fois Marie, à Bruxelles, et qui font mine de manifester une certaine surprise devant les douze douzaines de photographies anciennes de femmes plus ou moins habillées, Daniel Marcil (45 ans) lâche d’un ton dégagé :  » Ce sont toutes nos Marie.  » Le commentaire est d’autant plus délicieux qu’il est prononcé avec cette douceur de l’accent du Québec qui a rendu ce sommelier célèbre.

La présence de Daniel Marcil en salle semble avoir été déterminante dans les rapports des inspecteurs du Guide rouge puisque le communiqué officiel relève autant l’assiette excellente que les vins placés sous le signe de la  » découverte « .  » J’essaie tout d’abord de comprendre ce que les gens aiment, note Daniel. Si je les connais, je me souviens de ce qu’ils ont bu ici la dernière fois. Mais j’essaie toujours qu’ils expriment leurs préférences. Puis en fonction de leurs plats, je proposerai toujours un choix en trois volets : le classique, le novateur et l’exotique. En fait, dans 80 % des cas, les gens me laissent choisir leur vin. « 

Marie n’a pas de vieux millésimes mais compense largement par une cave très variée, basée sur les apports d’une quarantaine de fournisseurs.  » Les importateurs vont sur le terrain, ce que je n’ai pas le temps de faire, poursuit Daniel. Aussi, j’attends leur retour comme la parution des nouvelles du matin. J’aime savoir comment va tel viticulteur, ce qu’il fait pour le moment.  » On l’aura compris, Marie est un lieu d’ambiance intriguant pour le décor, la manière de vivre le vin et la musique.  » Je suis plutôt jazz et bossa, révèle Daniel. Mais je choisis pour 80 % des femmes aux voix chaudes. Notre programmation n’est pas homogène, je la modifie, car elle doit épouser le pouls de la soirée, en accord avec les gens qui se trouvent là.  » Reste quand même l’assiette, raison d’être de cette toute première étoile. Signée Lilian Devaux (30 ans), elle est l’oeuvre d’un artisan qui adore les goûts et les produits.  » Nous ne sommes que trois en cuisine, mais c’est la même équipe depuis mon arrivée, voici trois ans, commente-t-il. Tout est fait maison. C’est une cuisine de grand-mère, mitonnée et un peu rustique. Nous voulons beaucoup de franchise, de netteté. « 

Après avoir officié dans des maisons étoilées en France – comme la Pyramide à Vienne -, Lilian est arrivé à Bruxelles pour passer trois ans à l’Idiot du Village.  » Ma cuisine d’aujourd’hui ne renie aucune de ces deux influences.  » Quant à l’étoile, Lilian sait que Daniel et lui ont travaillé de concert pour la décrocher et trouve en définitive qu’il est bien qu’un  » restaurant de quartier, sans prétention  » puisse aussi être distingué.

Pierre Mendrowski et Xavier Taber

Le Pain et le Vin, à Bruxelles

Nouvel étoilé bruxellois, lui aussi, Le Pain et le Vin est également un  » enfant  » de Daniel Marcil: il fut là, en effet, aux premières heures de cette  » idée « , née de la rencontre entre Alain Coumont (Le Pain quotidien) et le sommelier surdoué Eric Bosschman. Au fil des années, décor et standing ont changé, pour atteindre une élégance design. Mais l’accent sur le vin est resté. Pour preuve, Xavier Faber (27 ans) fut sacré premier sommelier de Belgique en 2000, après une formation au Hilton.

Si la sélection de vins est ouverte sur le monde entier  » parce qu’on fait de belles choses partout « , Xavier Faber entend effectuer un retour sur l’Europe et plus particulièrement sur la France.  » Reste qu’une partie de la clientèle – francophone – est encore très classique dans ses choix et se limite trop aux valeurs connues.  » Jusqu’à la mi-2001, la cuisine était signée Fabrice Giraud – à qui revient donc une partie des lauriers décernés -, en collaboration avec Pierre Mendrowski (34 ans), aujourd’hui seul responsable de la carte.

Le Pain et le Vin est sans doute une des étoiles les plus atypiques de cette cuvée 2002. Michelin, qui aime les maisons familiales, la continuité et un certain classicisme, offre ici une chance inouïe à une équipe jeune et moderne et à un restaurant propriété de purs investisseurs. Pierre Mendrowski, qui prépare une carte de salade pour la terrasse de midi en été, entend maintenir cette envie de  » rompre les modèles « , en proposant ce plat du jour intitulé  » Délire du chef « .

Carnet d’adresses en page 80.

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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