Goupillons en élastomère, coloris subtils, texture ultragainante : le produit de beauté des cils a bien changé, depuis un siècle. Hommage au mascara.

Toujours plus séparés, allongés, épaissis, recourbés, les cils n’ont jamais battu avec tant de panache qu’aujourd’hui. Leur montée en grâce, ils la doivent évidemment au mascara, un simple outil de maquillage qui s’est mué, ces dernières années, en véritable bijou de technologie… et de marketing. Brandissant fièrement leurs brosses miracle, ces petits tubes au look passe-partout n’ont donc plus rien à envier aux sensuels rouges à lèvres, habituellement grands favoris du papier glacé. L’£il de biche parfait est désormais à la portée de toutes. Une réalité qui a mis quelques décennies à se concrétiser…

C’est aux deux fils du parfumeur Eugène Rimmel, émigré en Grande-Bretagne au début du xixe siècle, que l’on devrait le lancement, à Londres, dans les années 1880, d’un des tout premiers mascaras. Même si l’histoire ne dit pas à quoi ressemblait ce pionnier, le phénomène est tel que le mot Rimmel passera dans le langage courant. Quelques décennies plus tard, aux Etats-Unis, un chimiste fabrique pour sa s£ur, Maybel, un étonnant mélange de poussière de charbon et de vaseline, conditionné dans un tube, qui donnera naissance au vocable Maybelline (contraction de Maybel et de vaseline), une marque aujourd’hui mondialement connue. Aucun témoignage ne subsiste quant aux effets d’une telle mixture sur la sensibilité oculaire… Deux ans après ce fructueux essai, l’inventeur met au point, en 1917, le premier  » cake mascara  » un petit pain noir solide enfermé dans un boîtier, que l’on appliquait à l’aide d’une brosse préalablement mouillée. L’objet connaît vite un énorme succès.

Alors que les femmes des années 1950 continuent d’humidifier consciencieusement leur  » cake mascara « , aussi signé Longcils Boncza, du nom du professeur qui l’avait perfectionné pour les actrices de l’époque, Helena Rubinstein réfléchit déjà à un système autrement plus astucieux. En 1957, la grande dame de la beauté  » made in USA  » lance ainsi le premier mascara  » automatique « , un petit tube avec un applicateur de métal intégré dont les fines rainures gravées favorisaient une application précise. En 1971, c’est l’un des best-sellers mondiaux actuels, Great Lash, qui est mis sur le marché par Maybelline.

 » Les mascaras automatiques se sont généralisés dans les années 1960-1970, mais les formules à base de résines chargées de fixer la couleur sur les cils sont encore très collantes « , raconte Sylvie Guichard, chez Lancôme. Deux grandes innovations vont faire entrer le mascara dans l’ère moderne.  » En 1987, Lancôme introduit de la kératine dans son nouveau mascara, Kéracils, poursuit-elle. Ce polymère permettait une dépose du produit beaucoup plus régulière.  »

Pour chaque type de maquillage

Un an plus tôt, les brosses  » intelligentes  » avaient vu le jour. A l’origine de ce brevet, en 1986, et d’une centaine d’autres déposés au nom du groupe L’Oréal depuis, Jean-Louis Guéret précise que  » ce sont les progrès réalisés sur la forme, l’orientation et la longueur des poils du goupillon qui ont permis aux chimistes d’aller plus loin dans les formules « . Plus glissantes, mieux réparties, résistantes dans le temps, les textures ont en effet cessé de s’agglutiner en disgracieux paquets et de s’effriter sous l’£il.

Quelle différence alors entre un spécimen des années 1990 et une nouveauté de 2006 ? En un mot, la spécialisation. Alors qu’on distinguait auparavant quatre grandes catégories – allongeant, épaississant, recourbant et waterproof – catégories qui pouvaient se croiser sur un même produit, les critères de classement se sont multipliés à une vitesse fulgurante. Type de brosse, coloris, texture,  » nous avons créé des mascaras adaptés à chaque type de maquillage « , note Jean-Louis Guéret.

Totalement inédit, le mascara à double application fait son arrivée en 2001 avec Coup de théâtre, de Bourjois, suivi de nombreux modèles similaires chez les concurrents. Une couche de blanc pour allonger, une couche de noir pour gainer et colorer : le  » double embout  » avait au départ été créé pour séduire les femmes asiatiques, désespérément hermétiques à ce produit de beauté. Le résultat bluffant arriva rapidement aux oreilles des Européennes, qui le réclamèrent aussitôt.

Zoom sur les nouveautés

Cette année, les nouveautés se bousculent encore au portillon des linéaires. Chez Chanel, une brosse en élastomère blanc à picots a remplacé le traditionnel goupillon en fibres de Nylon. Baptisée Inimitable, cette arme fatale part à l’assaut des cils les plus fins et de ceux du coin de l’£il. Une flexibilité partagée par d’autres références comme le Telescopic, de L’Oréal Paris, un embout également en élastomère composé de quatre rangées de peignes qui séparent les cils et glissent impeccablement, et Fatale, de Lancôme, qui promet un volume inédit grâce à ses trois peignes et à une formule gainante basée sur l’association de plusieurs cires. Clinique, pour son Mascara cils hautement définis, a cumulé les fonctions d’application et de démêlage en rassemblant un peigne et une brosse sur le même embout. Et la sophistication se loge parfois jusque dans le capot. Celui de Oui au volume, non aux paquets, de Bourjois, aminci à l’extrémité, assure une prise en main confortable et une application optimisée.

Quant aux formules, elles ne cessent de progresser pour protéger et nourrir le cil, comme celle du Phyto-mascara ultravolume, de Sisley, à la cire de carnauba et à la lécithine de soja. Comble du raffinement, le noir de base et l’importable bleu électrique ont fait place à des coloris beaucoup plus étudiés, des noirs aux reflets bronze, prune ou bruns, à accorder avec la couleur de l’iris ou celle du fard à paupières. Les femmes sont-elles sensibles à ces arguments ?  » Oui, car le retour aux codes de l’éternel féminin met le mascara au centre du maquillage « , répond Fleur Mirzayantz, du bureau de tendances Carlin International.  » C’est un produit incontournable qui révèle la personnalité des femmes à travers leur regard « , complète Jean-Louis Guéret. Deux arguments qui poussent les marques à poursuivre sur cette voie.  » Lancer un mascara est très facile, tempère ce dernier ; ce qui est difficile, c’est d’en faire une référence qui dure dans le temps.  » Sur la dizaine de nouveautés qui sortent chaque année, seules quelques-unes séduiront vraiment sur le long terme les consommatrices trop gâtées. A celles qui refusent cette invasion marketing, il reste le choix du  » bon vieux  » produit. Ainsi, cinquante ans après leur création, Long Lash, le premier mascara automatique d’Helena Rubinstein, et le  » cake mascara  » Longcils Boncza sont toujours fabriqués, achetés… et adulés.

Louise Prothery

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