Le design suédois du siècle nouveau se veut coloré, accessible, innovant et pratique. Panorama des tendances.

Quel est le point commun entre une tondeuse à gazon, un marteau piqueur-perforateur à essence, une table, un lit de repos, un GSM et des boutons de manchette? A première vue, il n’y en a pas… Pourtant, ces différents objets sont tous issus du design suédois et font partie de l’exposition 3 D+ Swedish Design On Stage, proposée actuellement au Vitra Museum, à Berlin (1).

En Suède, le design est une véritable institution qui renforce considérablement l’image de marque du pays. Depuis le milieu du XXe siècle, sa rationalité et sa fonctionnalité ont fait fureur et ces caractéristiques ont d’ailleurs été largement diffusées par le fabricant de meubles Ikea. Le support de Svensk Form, l’une des plus anciennes associations de défense et de promotion du design, n’est certainement pas étranger à ce fabuleux succès. En effet, cet organisme est perpétuellement à la recherche de nouveaux talents afin de les pousser à l’avant-scène internationale.

Pendant longtemps, le design suédois a mis la blondeur en exergue. Celle, mythique, de la chevelure scandinave et celle, chaleureuse, du bois laissé brut.  » Aujourd’hui, nous entendons balayer ces idées préconçues, explique Josefine Eriksson, commissaire de l’exposition Swedish Design On Stage. Le label Design Suédois fait référence à toute création nationale. Tout objet produit chez nous incorpore naturellement le design suédois, même si l’objet en question n’a pas été conçu par un autochtone. En effet, tout artiste vivant ou travaillant sur notre sol fait partie intégrante de l’élan créatif suédois. Et le sacro-saint bois de bouleau qui a assuré la renommée de nos produits dans le courant des années 1950 et 1960 n’est plus le seul en piste, même s’il reste encore abondamment utilisé. Il a en effet été rejoint par d’autres essences, claires ou foncées, et par d’autres matières comme l’acier et le plastique . »

Aujourd’hui, de grands courants constants marquent encore la production suédoise.  » D’abord, il y a le souci permanent de démocratisation qui implique une série de notions autres que celle du prix. Car, en Suède, le design s’adresse à tous, aux bien portants, comme aux personnes à mobilité réduite, souligne Josefine Erikson. Témoin « Tango », un « déambulateur » destiné à aider les personnes âgées à se déplacer, conçu par Morgan Ferm . « 

A l’instar de leurs maîtres, les designers actuels tentent de trouver des solutions nouvelles, originales et séduisantes pour tous les aspects de la vie quotidienne. Ainsi, l’un des objets les plus réussis est le marteau piqueur. L’utilisation de cet engin encombrant provoque des problèmes d’ankylose des mains. Björn Dahlström, un artiste suédois, est parvenu à supprimer les vibrations responsables de ces maux. Pour atteindre ce résultat, il n’a pas hésité à combiner nouveauté technique et innovation plastique. Mais cette passion pour la technologie ne l’empêche pas de s’intéresser de près à des objets plus classiques comme les chaises longues. Son humour, lui, se retrouve dans une paire de boutons de manchette ingénieuse qui se fixe d’une seule main. Il suffit en effet de suivre la direction indiquée par la petite flèche qui fait office de fermeture!

Si le design suédois ne dédaigne pas l’originalité, il n’en oublie pas pour autant la rigueur fonctionnelle. Non sans malice, certains arrivent même à la dépasser. La lampe  » Yo-Yo  » de Catarina von Matern et Lisa Lindström, par exemple, dispose d’un fil électrique faisant office d’auxiliaire esthétique. Celui-ci s’enroule en effet au creux du luminaire et adresse, simultanément, un clin d’oeil au jeu d’enfant dont il porte le nom .

Expérience personnelle

La vie privée de certains créateurs suédois semble nourrir leur créativité. Ainsi, le dessin en forme de goutte d’eau de la chaise issue de la ligne Liv rappelle que son auteur Jonas Bohlin (lire aussi page 47) a traversé la mer en barque pour relier Stockholm à Paris. De même, le sofa d’Anna von Schewen est recouvert de tissu de voile, un sport qu’elle pratique régulièrement. Enfin, Ake Axelsson, l’auteur d’un lit de repos et de relaxation, ne rechigne certainement jamais à s’offrir une petite sieste.

Il semble que le design suédois qui, jusqu’à présent, s’était forgé sur le désir d’être bien chez soi évolue spontanément vers une notion de bien-être sensiblement plus égoïste. Cette tendance se traduit dans les travaux de certains designers tels que les chaussons de Daniel Ohlsson, par exemple. Tout simplement découpés dans du feutre, ils se rangent partout et s’emportent facilement en voyage. Adam Szcepanowski, lui, a imaginé un drôle de mini-lave-vaisselle dont le couvercle se transforme en évier ou en récipient pour pallier le cruel manque de place des cuisines étriquées des appartements modernes.  » Le design suédois embrasse les données les plus larges du design et refuse de se cantonner aux seuls thèmes du mobilier, de l’éclairage, et des accessoires. Il s’intéresse à tout et s’insinue dans les objets les plus divers, du GSM au crayon lecteur de codes-barres « , résume Josefine Eriksson.

Certains des projets présentés à 3 D+ Swedish Design On Stage sont encore à l’état de prototypes, mais la plupart ont déjà enrichi le marché, prouvant l’audace des sociétés suédoises qui n’hésitent pas à faire confiance aux projets les plus osés. Ainsi, partout en Europe, la tondeuse intelligente de Gunnar Lejonberg ravit les jardiniers plutôt paresseux. Elle se charge en effet toute seule d’entretenir la pelouse au brin d’herbe près et n’oublie pas de se diriger vers son poste de recharge lorsque ses batteries faiblissent! Cette création pour le moins originale séduit aussi par son silence de fonctionnement, qui respecte l’environnement. En revanche, si jusqu’ici, le lien unissant l’homme et la nature était une constante du design suédois, il semble nettement moins présent dans les créations exposées à la Fondation. Même si on le retrouve, sans grand éclat, dans la poubelle de recyclage triple conçue par Kersti Sandin et Lars Bulow.

Certains designers suédois n’hésitent pourtant pas à renouer avec l’artisanat et réalisent, dans le secret de leurs ateliers, des verres, des céramiques ou des tissus qui ne visent pas la production de masse. Ces créations ne versent pas pour autant dans le folklore. En effet, ces artistes fabriquent des objets sans nostalgie passéiste qui s’intègrent dans le monde d’aujourd’hui.

(1) L’exposition itinérante  » 3D + Swedish Design On Stage  » a vu le jour dans le cadre de la présidence suédoise du Conseil de l’Union européenne (premier semestre 2001). Installée d’abord à la Fondation pour l’architecture, à Bruxelles, elle est aujourd’hui présentée à Berlin, au Vitra Museum, jusqu’à fin avril. Elle sera enfin proposée au National Museum de Dublin à partir du 11 juin.

Anne Hustache

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content