Après l’automobile, le high-tech et la mode, les Japonais se font remarquer dans le mobilier. Expositions, livres, éditions chez les plus grands fabricants… Impossible d’ignorer ces talents en puissance !

Plébiscitées dans le monde entier, la gastronomie et la couture japonaises font désormais partie de notre quotidien, et c’est au tour des designers de passer les frontières de l’archipel. Depuis deux ans, les professionnels du secteur constatent une véritable déferlante sur les stands des Salons de Milan, de Cologne ou de Paris. En 2006, le quadragénaire Naoto Fukasawa a sorti de nouveaux produits chez neuf éditeurs-phares (B&B, Artemide, Swedese…). Tokujin Yoshioka est maintenant chez Driade, Toshiyuki Kita et Dai Fujiwara (A-POC) chez Moroso, et Oki Sato, sous le nom de Nendo, chez Cappellini et Swedese. Dans le sillage de ce dernier, pas encore trentenaire, de nombreux talents en herbe se sont offert un espace au Salon 100 % Design, à Londres, ou dans le cadre de la manifestation Satellite, à Milan. Et, à Paris, le Salon du meuble accueillait, en janvier dernier, des industriels regroupés sous la bannière Nippon Design.  » Cette présence permet de faire tomber bien des clichés, explique Polly Dickens, directrice de la création et des achats chez The Conran Shop. Pour les Occidentaux, les Japonais sont systématiquement rattachés au high-tech ou à l’artisanat d’art. En voyageant d’Osaka à Kyoto, on s’aperçoit vite que la réalité est bien plus vaste. « 

Un fauteuil pour sumo

Cet automne, à Paris comme à Londres et à New York, les clients de The Conran Shop n’auront que l’embarras du choix parmi les 400 produits made in Japan sélectionnés par Polly Dickens. En une quinzaine de jours, la Britannique a réalisé un shopping très éclectique au c£ur d’une vingtaine d’entreprises, distribuées dans de petites échoppes traditionnelles ou dans d’incroyables empires commerciaux. De l’énorme fauteuil pour sumo à la chaise en cèdre, des arts de la table à la papeterie, des indispensables boîtes pour le déjeuner à une large gamme de textiles indigo, l’offre est aussi variée que les prix. En déboursant 13 euros seulement, vous deviendrez l’heureux propriétaire d’un tenugui, l’équivalent de notre bandana, dont les Japonais se servent pour emballer un cadeau ou simplement en guise de serre-tête. Comme tout ce qui se crée au Japon, ce morceau d’étoffe ne se contente pas d’être ce qu’il est : son graphisme est porteur d’un message, que chacun décryptera grâce aux explications fournies dans le rayon.

Du nouvel ordinateur avec clavier en bois soigneusement poli au vernis satiné (!) à la brosse à dents produite à partir de maïs recyclé, en passant par la calculette ou la valise gainées de cèdre, ces jeunes designers innovent, comme leurs aînés, sans renier leur passé.  » Avec la mutation de la société, une nouvelle génération de créateurs a émergé. Ils jonglent avec des concepts divers, issus tantôt du design artisanal, tantôt du monde industriel « , constate Claudio Colucci, designer suisse installé au Japon depuis 1998. Pour comprendre ces évolutions, il est indispensable de se référer aux pionniers du design japonais. Shiro Kuramata est, par excellence, l’une de ces figures emblématiques. Avec lui, la nouveauté s’exprime par l’originalité de ses créations, mais aussi par la relation qu’il a su établir entre designers, artisans et industriels.

Bois, papier et matériaux du futur

Ne l’oublions pas : dans l’archipel, une idée n’a pas forcément de poids, alors que le savoir-faire reste une valeur inestimable. A tel point que les artisans les plus prestigieux sont nommés  » trésor national  » par l’empereur. Ce sont d’ailleurs eux qui, depuis toujours, réalisent le mobilier traditionnel japonais, fait de tatamis, de futons et de cloisons de papier amovibles. Avec le boom économique, de 1955 à 1973, cet art de vivre s’enrichit progressivement de standards internationaux. En 1956, le tabouret Butterfly de Sori Yanagi annonce les prémices de la transition. Avec ses deux parties identiques en contreplaqué moulé assemblées de façon que la base repose sans abîmer l’incontournable tatami, il est le pionnier d’un nouveau style. Premier tabouret au look contemporain fabriqué en grande série, il est toujours édité, à l’instar des tables basses d’Isamu Noguchi. Des icônes que l’on peut se procurer à la galerie parisienne Sentou, qui propose également les fameux luminaires en papier Washi du même Noguchi.

Parallèlement à ces indétrônables vétérans, qu’est-ce qui pousse aujourd’hui les plus grands fabricants de mobilier à se tourner vers les designers japonais ? Certainement pas leurs noms, difficiles à mémoriser et complètement inconnus du grand public. Alors qu’en Europe les industriels ont volontiers recours à une signature célèbre pour vendre leurs produits, la force motrice du design japonais s’affranchit complètement de la notoriété. Muji, dont le succès ne se dément pas depuis les années 1980, a fondé toute sa stratégie sur l’absence de marques (ce que signifie Mujirushi, son nom complet). Les grands designers appelés à concevoir ses produits s’engagent contractuellement à ne pas préciser lesquels. Le consommateur reste libre de juger uniquement le travail, sans tenir compte de la réputation. Au pays où l’effacement du moi est de rigueur, personne ne se préoccupe de sa popularité. L’important est d’être en harmonie avec son environnement. A l’heure où le développement durable a le vent en poupe, ces rois du minimalisme sont portés aux nues. Bois, papier ou matériaux du futur, dans leur travail, la technique et la fonction sont réduites à un pur archétype, mais cette épure génère un effet étonnant : l’objet s’anime et se charge de poésie. Quand l’esthétique se fait éthique, on en redemande sans compter !

Carnet d’adresses en page 78.

Virginie Seguin

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