Une nature exceptionnelle, des sports peu agressifs, un patrimoine encore préservé et des habitants bien décidés à vivre leur rêve de montagne : à une quinzaine de kilomètres de Briançon, à l’abri entre Savoie et Piémont, la vallée de la Clarée, dans les Alpes françaises, vit sa  » paix des cimes « ,emmitouflée dans son lourd manteau de neige.

Rien qu’en prononçant son nom cristallin, on croit l’entendre clapoter, limpide et fraîche, comme les glaciers, sur les rochers : la Clarée. Un nom bien frappé, bien sonnant, qui lui va comme le rocher au bouquetin. Car elle ne musarde pas, la Clarée. Elle file, d’un cours décidé, entre les branches givrées des pins à crochets, glisse lestement sur les pierres polies, en éclaboussant au passage les chalets ouvragés qui la longent. Evidemment, elle se fait plus discrète qu’au printemps, quand elle se déploie avec autorité en de rugissants torrents. Pourtant, dans le silence majestueux qu’a imposé la neige abondante de la nuit, on n’entend qu’elle. Elle bruisse, mutine, dans le grand silence blanc. Un silence, une  » paix des cimes  » (du roman éponyme de François Mauriac), que la vallée à laquelle elle a donné son nom semble tout entière respecter : pas une remontée mécanique, pas un hôtel  » au pied des pistes  » surpeuplé, pas une rue commerçante qui vienne troubler la tranquillité de la montagne. Dans cette vallée située à 1600 mètres, bien protégée entre la Savoie et le Piémont italien, l’hiver est tout ce qu’il y a de plus calme. A une demi-heure de route, il y a la sportive Serre-Chevalier, ses skieurs et son effervescence. Ici, il y a deux villages, Névache et Val-des-Prés, leurs hameaux anciens, deux ou trois boutiques et pas beaucoup plus d’hôtels. La neige seule se trouve en quantité, grâce aux terribles  » retours d’est  » et à la  » lombarde « , vent d’Italie chargé de précipitations… En haute vallée, les groupes de raquetteurs ou de fondeurs qui se croisent sur la route des refuges se saluent discrètement, d’un signe de tête ou d’un sourire d’encouragement. Comme si tous, heureux d’être là, avaient conclu un pacte tacite : troubler le moins possible cette nature à couper le souffle. Des espaces de neige inviolée sur des kilomètres, des paysages lunaires ponctués d’adorables chapelles de montagne, des étendues pures de toute £uvre humaine où l’on ne croise parfois âme qui vive pendant des heures.

A partir de Névache, en effet, ce sont des centaines de kilomètres de chemins à parcourir à ski de fond ou en raquettes. Les simples promenades en raquettes le long des hameaux de Névache ou les excursions plus longues (et plus ardues !) en haute vallée, sont autant d’expériences inoubliables dans une nature non spoliée. Le refuge de Buffère, le plus accessible, est à deux heures de marche de Névache. Là-haut, près du refuge des Duval, la sensation de liberté vous prend à la gorge. Claude a grandi dans ce refuge, là-haut dans la montagne. Petit garçon, il descendait en luge jusqu’à Névache avant de prendre le bus pour se rendre à l’école, à Briançon… La descente n’est que plaisir. La montée est derrière, oubliée, ensevelie sous la neige avec la piste de la veille. Tout prend une dimension extraordinaire : le bourdonnement du vent dans les sapins, le bruit sourd des (mini) avalanches, le grincement de la neige sous les raquettes. Sous des mètres de neige, les chalets d’alpage hibernent comme les marmottes. Au détour d’un chemin, c’est la croix de pierre de l’église Sainte-Agathe qui brille au soleil. L’arrivée à Névache, c’est un peu comme la fin d’une aventure, on regarde derrière soi û avec un soupçon de nostalgie et pas mal de fierté û cette montagne devenue familière, qui vous appartient un petit peu, désormais… Parfois, la montagne silencieuse renvoie un appel viscéral :  » Alleeeez !  » D’une voix tonitruante, Gérard Gentil,  » musher  » (conducteur de chiens de traîneau) charismatique, guide ses chiens jusqu’aux chalets d’alpage ou vers le col de l’Echelle. Quand on les voit en plein effort dans une montée, plongés à mi-corps dans la neige vierge, une impression de Grand Nord vous saisit. Chapka de fourrure vissée jusqu’aux yeux, qu’il a aussi bleus que ceux de ses malamutes (chiens d’Alaska), Gérard, c’est un peu la star de la vallée. C’est lui qui, il y a quinze ans, a créé le premier foyer de ski de fond, épaulé par d’autres pionniers, venus ou revenus à Névache. Il a créé l’Echaillon, un hôtel pour sportifs, fondeurs, raquetteurs et randonneurs de tout poil. Tout en fronçant les sourcils à la moindre incartade de Popov ou de Néva, au repos, il explique que ce tourisme intelligent, respectueux de la nature, a sauvé un village moribond.

Aujourd’hui, les hameaux se repeuplent peu à peu, les chalets traditionnels sont restaurés et les chapelles de montagne entretenues. Il y a cinq ans, on a ainsi dégagé les fresques du xixe siècle de l’église de Ville-Haute, à Névache. D’autres lui ont emboîté la piste, comme les deux couples qui ont créé le Chalet d’En Hô, en 1994, un joli hôtel tout en bois de mélèze, poli comme un sou neuf. A Ville-Haute, nombre de vieilles fermes ont été reprises en main et restaurées. A deux pas de l’église, le transalpin Giorgio Camusso est venu en voisin et a racheté la Commanderie Saint-Antoine, du xve siècle. Il y a installé une distillerie où il fabrique liqueurs de génépi et de fleurs de montagne. Dans sa maison adjacente, il a ouvert une brasserie où l’on se réchauffe, dans un décor tout bois et tommettes, d’une croustade au fromage de montagne, d’une assiette de charcuterie et d’une bière des Hautes-Alpes. Comme Ville-Haute, le hameau de Plampinet est une plongée dans le monde rural d’autrefois. Le four communal, dans lequel on cuisait plus de deux cents pains, reprend souvent du service à l’occasion d’une fournée hivernale des plus conviviales. A quelques mètres, l’église de Saint-Sébastien recèle de magnifiques fresques de 1532, dans un état de conservation exceptionnel. Toujours à Plampinet, il y a aussi la chapelle Notre-Dame-des-Grâces et ses fresques d’époque Renaissance, et puis, à Val-des-Prés, l’église Saint-Claude, chef-d’£uvre de l’art baroque, avec ses pilastres cannelés, ses retables à colonnes et ses joyeux chérubins… La vallée de la Clarée, c’est aussi ce patrimoine incroyablement riche, que de nombreuses associations s’attachent à conserver et à restaurer. Site naturel, habitat traditionnel ou patrimoine religieux, les habitants s’impliquent, se battent pour préserver leur environnement. En entrebaîllant la porte au tourisme sans se brûler les ailes et en privilégiant des sports plus  » contemplatifs  » qui laissent la part belle au rêve et à la découverte, la vallée de la Clarée a réussi l’essentiel, sauver son âme, en prenant son destin en main.

Sonia Lazzari – Photos : Jo Pesendorfer

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