Il vit entre Paris et Beyrouth, dirige une maison de couture qui porte son nom et signe une collection capsule pour La Redoute, avec en emblème la grenade, fruit sensuel et généreux. Comme lui.

Rabih Kayrouz a deux amours, son pays et Paris. Une terre de miel, où la violence a fait son nid, où la douceur sent le thym, les kakis, les chansons de Fairuz, entre Méditerranée et mont Liban, avec quelques cèdres ici et là, rescapés, flottant sur le drapeau national. Et la Ville lumière qu’il découvre à 16 ans, en 1989, quand il quitte tout avec la bénédiction de ses parents, pour s’inscrire à l’école de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne. La fascination. Faut dire qu’il a toujours rêvé d’y vivre, d’y étudier la mode – la légende familiale veut qu’il drapait tout, même les torchons de cuisine. Il y apprend donc le métier, ce sont les années Mugler, Montana et Alaïa, il aimait ça, surtout les défilés fous de Jean Paul Gaultier et au firmament, Monsieur Saint Laurent,  » il avait une telle émotion, un tel amour pour la femme qui me subjuguait et me subjugue encore  » et aussi Yohji Yamamoto,  » sa façon de redessiner la silhouette, de couper les vêtements « . Rien de schizophrénique. Ou si peu, Rabih Kayrouz se nourrit des contrastes.  » Cela m’enrichit.  » D’où un passage comme stagiaire chez Dior puis chez Chanel, où il apprend  » la perfection du travail « ,  » l’amour du détail  » et  » comment on peut par la façon créer un style « . Il a retenu la leçon, lui aussi désormais patronne, coupe et coud les vêtements à sa manière, les manches surtout, typiquement maison Rabih Kayrouz. Et que dire de ses ourlets…

Entre-temps, il est rentré à Beyrouth, en 1995, a fondé sa maison de couture, c’est l’effervescence d’après-guerre, il veut faire partie de cette renaissance. Onze ans plus tard, il a réinvesti Paris, toujours avec la bénédiction de ses parents et l’envie de créer sa marque de prêt-à-porter. Il rencontre Constance, elle est collaboratrice de Loulou de la Falaise, ce qui vaut son pesant de gros, très gros bracelets dans un curriculum vitae, elle le suit,  » parce que c’est lui « . On ne dira pas qu’elle est son bras droit, son mannequin cabine, on dira juste qu’elle est à ses côtés, depuis le début de cette aventure parisienne, en 2009. Rabih Kayrouz défilera en juillet de cette année-là, invité dans le calendrier de la haute couture, avec une collection appelée Noor, pour la lumière , présentée dans son atelier qui a retrouvé sa pureté initiale, vestige du Petit Théâtre de Babylone où l’on joua la première d’ En attendant Godot de Beckett, en 1953, les murs ici en ont vu et entendu d’autres. Quelle émotion.

Rabih Kayrouz marche à l’instinct, déteste planifier,  » cela me rend malade « , préfère se laisser guider  » par l’évolution organique des choses « , expérimente, aime ça et le fait bien – surtout quand il planche sur les volumes et les matières. Pas d’effroi,  » je ne suis pas là pour réaliser des fantasmes ou créer des déguisements « , mais des perfecto, des pantalons, des robes, des chemises sans contraintes, qui finissent en robes du soir poétiques et qui toujours épousent les mouvements,  » je respecte le corps qui va les porter « . Est-ce la raison pour laquelle il travaille en silence ? Rêve à loisir ? Part régulièrement respirer l’air du Liban ? Et marche à grandes enjambées dans les rues de Paris ?

Pour l’hiver 12-13, il a relevé le défi, amusé, d’une collection capsule en VPC à La Redoute, reproduit un imprimé avec la grenade, son logo, décliné un vestiaire citadin, en 100 % satin de laine, soie ou maille,  » c’est mon truc « , une vraie garde-robe basique qui porte haut et fort les codes maison, sans les copier/coller : construction, simplicité, noblesse, poésie. Dans le même temps, il s’est laissé inspirer par les  » actrices qui jouent leur propre rôle  » et pose la question qui tue  » Do you love me ?  » en guise de titre de sa collection hiver 12-13 où il mélange les matières, cuir, mousseline, laine et soie, les robes  » hyperfluides  » et les vêtements  » hyperdurs « . Dans son atelier, sa toute petite équipe travaille les toiles avec lui. Dans la courette avec fleurs, arbres et plantes en harmonie, il a laissé Nina, la gardienne du temple, déposer au pied du jasmin étoilé un peu de purée d’ortie, ça ne sent pas la rose, mais ça fait un joli jardin. Rabih Kayrouz ne recule devant rien. Surtout pas devant la vie.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » DO YOU LOVE ME ? « 

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