Les camps de survie ont le vent en poupe: un passionné raconte

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Survivre en forêt, un fantasme barré de fin du monde? Pas forcément. La preuve à travers l’aventure d’Aurian Durbuis, un Belge qui a profité d’une telle expérience pour effectuer un retour à l’essentiel.

Si l’on se fie aux apparences, Aurian Durbuis, 23 ans, est un jeune homme comme un autre. Seul son regard laisse entrevoir une détermination peu commune. Son parcours est celui d’un étudiant brillant, pour ne pas dire polymathe. Bio-ingénieur de formation, il a passé son master aux Etats-Unis (dans la fameuse UCB, l’université de Californie, à Berkeley) et poursuit actuellement une spécialisation en micro- et nanotechnologies à Cambridge. Les centres d’intérêt de cet élève talentueux passé par le scoutisme? Ils sont aussi multiples que révélateurs. « L’art, le sport et la connaissance d’une manière générale. » On détecte chez lui à la fois un besoin impérieux de se dépasser (il pratique le triathlon, a participé à un Ironman, ainsi qu’à plusieurs ultra-trails) et une volonté de renouer avec l’idéal d’un homme « complet » tel qu’on l’envisageait au temps de la Renaissance. Aurian joue de plusieurs instruments « piano, guitare, basse, harmonica », lit « Poe, Valéry, London, Barthes » et aime les tableaux du Caravage. On en conviendra, le pedigree impressionne. Serait-il l’un de ces « geeks », surdoués incapables de mener une vie sociale? Pas du tout, Aurian possède un cercle d’amis nécessaire à son équilibre, même s’il concède avoir vécu une période assez solitaire pendant son adolescence.

Se sentir capable de subvenir à ses besoins fondamentaux, juste avec les ressources disponibles dans son environnement, est très gratifiant.

La conscience du prix inestimable des liens affectifs et des relations humaines, l’intéressé la doit peut-être à une autre facette de sa personnalité qui fait de lui quelqu’un de pas banal ayant entrevu une dimension essentielle de notre présence sur Terre. Il explique: « On a tous des manières de se ressourcer, pour moi c’est le contact avec la nature. Longtemps, ce sont les randonnées qui m’ont permis ce retour en moi. Puis, j’ai eu envie d’autre chose, une parenthèse plus immersive qui me donnerait la satisfaction de ne pouvoir compter que sur moi pour assurer ma propre survie… Se sentir capable de subvenir à ses besoins fondamentaux, juste avec les ressources disponibles dans son environnement, est extrêmement gratifiant d’un point de vue de la confiance personnelle. Il y a aussi ce film, Into the Wild, racontant l’expérience d’un jeune diplômé désireux de sortir du système, qui a contribué à alimenter ma réflexion. » Quid d’éventuels relents de collapsologie plus que jamais d’actualité? Le jeune homme les balaie d’un revers de la main, « à aucun moment je me suis dit que le monde allait s’effondrer et qu’il fallait que je m’y prépare ». Sa première survie – il y en aura deux autres par la suite, dont une en Californie -, Aurian Durbuis va l’imaginer « puriste ». Pas question pour lui d’en passer par une structure fournissant un encadrement ou une quelconque logistique. Il veut tenter l’expérience en solitaire avec un équipement pour le moins restreint. Outre les vêtements et les bottines de marche imperméables qui l’habillent, il ne s’octroie qu’un sac de couchage, une pierre à feu, un couteau et une gamelle hermétique. Pas un accessoire de plus.

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Les camps de survie ont le vent en poupe: un passionné raconte
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Maîtriser les techniques

C’est en 2016 – Aurian a alors 19 ans – qu’il tente sa première aventure. « Je ne suis pas parti sur un coup de tête. Il y a eu une grosse préparation en amont. » Trois mois, à raison de deux heures par jour, pendant lesquelles il compulse informations sur Internet et ouvrages de référence sur la flore. « La constitution d’un savoir était nécessaire car j’avais décidé de me nourrir uniquement avec ce que je trouverais sur place. Il fallait que je sois sans faille sur cette question, j’avais en tête la méprise fatale ayant coûté la vie de Christopher McCandless, le héros du film de Sean Penn qui m’a inspiré », prévient celui qui était alors en première année de bachelier. Dans la foulée, Aurian Durbuis s’intéresse aux différentes techniques. Comment faire un abri? Une corde à partir de fibres végétales? Un piège? Du feu? Des outils? Autant d’incontournables de la survie en forêt. Une fois prêt pour le départ, Aurian expose son projet à ses parents qui n’étaient au courant de rien. Pas ravis, ceux-ci négocient un compromis avec le jeune aventurier, il doit accepter d’emmener un moyen de communication avec lui, un vieux GSM Nokia, et promettre d’envoyer un SMS chaque fin de journée si le réseau le permet. L’accord est conclu. Et dans les fait? « J’ai pu envoyer des messages mais il y a eu une interruption de 3-4 jours pendant lesquels je n’avais aucune couverture téléphonique. »

Aurian a choisi sa destination avec soin. Il a décidé de crapahuter dix jours le long de la Semois au moment des vacances de Pâques. Evoluer au fil de l’eau ne relève pas d’un hasard. « L’absolue priorité lorsque l’on part longtemps en forêt, c’est l’eau. On peut rester jusqu’à vingt-cinq jours sans manger, mais pas plus de deux jours et demi sans boire, surtout lorsque comme moi on se déplace sans cesse, entre 5 et 15 km par jour. Ma technique consistait à puiser l’eau de la rivière, la filtrer à travers mon tee-shirt et ensuite la faire bouillir pour tuer les pathogènes. C’était l’une des tâches les plus importantes de la journée. » Sur place, la météo ne joue pas vraiment en sa faveur, pas mal de pluie, notamment quelques nuits bien arrosées. Sans parler du froid qui s’invite parfois. « Je me souviens d’un réveil lors duquel la rosée était givrée autour de mon sac de couchage, mes chaussettes que j’avais mises à sécher étaient dures comme la pierre. »

Aurian Durbuis, 23 ans seulement et déjà trois expériences de survie en forêt, dont une en Californie.
Aurian Durbuis, 23 ans seulement et déjà trois expériences de survie en forêt, dont une en Californie.© SDP

Jeûne, pêche et frayeurs

Pour rendre l’exercice encore plus difficile, Aurian profite de l’expérience pour s’essayer au jeûne. « En réalité, j’ai mangé les trois premiers jours puis, afin de me dépasser davantage, j’ai décidé d’entamer un jeûne… Mais vu que je considérais cette aventure comme un entraînement, j’ai continué à trouver des sources de nourriture comme si je devais m’alimenter. Je me déplaçais d’un buisson rempli de baies à un autre. Ce dont je suis très fier, c’est d’avoir réussi à attraper un lapin avec un collet. Un vrai miracle car je n’en avais placé qu’une vingtaine, sachant que la confection de chacun m’a pris au moins 20 minutes. L’autre bonne nouvelle, c’est qu’il était encore vivant quand je l’ai découvert. J’ai donc pu le relâcher. J’ai également construit une canne à pêche, un vrai défi qui m’a pris 6 heures, avec laquelle j’ai attrapé une truite après 2 heures de patience. Elle aussi je l’ai laissée repartir. » Chaque fin de journée, une heure et demie avant le coucher du soleil, Aurian construit un abri de fortune avec des branches et fait du feu, un exercice qui lui prend parfois jusqu’à 1h30. Ce rite quotidien est crucial. Mal anticipé, le rendez-vous manqué entraîne des conséquences fâcheuses.

« Ma plus grande frayeur, je l’ai eue un soir où je suis arrivé trop tard sur le lieu de mon campement. Je me suis installé dans l’obscurité. Pas de chance, j’étais au milieu d’une tourbière à sangliers. Certains d’entre eux se sont rapprochés de moi. C’était une période pendant laquelle les mâles étaient agressifs car en compétition. J’étais sûr qu’ils allaient me charger, je me voyais déjà avec une jambe en moins. » A la peur et à la nuit chaotique, succède un moment de pur émerveillement: un inoubliable face-à-face de plusieurs minutes avec un renardeau. Un an après la Semois, Aurian s’est offert la même aventure, pendant quinze jours, dans les Fagnes. Puis, deux ans plus tard, en Californie. Une addiction? « La première expérience a été la plus forte. Lors des deux suivantes, le temps m’a semblé long en raison de la solitude. Si je devais programmer un nouveau séjour, ce serait soit pour y accompagner d’autres personnes, soit pour passer à un niveau supérieur, comme me rendre en Alaska, où les zones naturelles sont très éloignées des villes. »

Survie, mode d’emploi

Les camps de survie ont le vent en poupe: un passionné raconte
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1. La préparation est cruciale. Plus on est préparé, plus on se donne la chance d’apprécier l’expérience. Par exemple, si l’on n’a pas envie de glaner des informations sur les plantes, on diminue l’intensité de l’aventure en emportant de la nourriture avec soi.

2. Pour chercher des infos, on affine ses recherches. « Il existe des milliers de chaînes survivalistes sur YouTube, mais leur qualité est variable. Personnellement, j’ai amassé beaucoup de conseils précieux sur des sites évoquant les techniques traditionnelles, comme celle qui consiste à faire de la colle avec de la sève de bouleau. » Quoi qu’il en soit, il y a un énorme hiatus entre la pratique et la théorie. Un séjour de survie permet de le mesurer à tout moment.

3. Concilier jeûne et survie est périlleux. Il faut en permanence avoir les yeux sur son corps et ses ressources énergétiques. Cela demande une concentration totale. Attention, également, d’être bien renseigné: lors de son premier séjour, Aurian Durbuis ne s’est pas soucié de savoir si le camping sauvage était autorisé dans la région où il se rendait. Une erreur qui peut obliger à faire du cache-cache avec les gardes forestiers. Un jeu contre-productif.

4. Le feu est essentiel car il permet de purifier l’eau, de cuire et de se réchauffer. On n’insistera jamais assez sur la nécessité de récolter de la matière combustible – lichen, écorce de bouleau, amadouvier (un champignon répandu très inflammable) – par temps sec.

5. Aurian Durbuis conseille une telle aventure à tout le monde en ce qu’elle permet de revenir à l’essentiel. Comme il le dit: « Vivre dans l’instant et avec le soleil. »

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