N’en déplaise à Justin Bieber et à sa mèche, l’imagerie fashion du mâle d’aujourd’hui est au retour de la virilité vintage après des années 2000 dominées par les minois glabres et le règne d’Hedi  » slim  » Slimane.

C’est Paul Smith en personne qui nous le confirme par voie postale : les mecs n’ont plus honte de leur taux de testostérone, ils l’affichent avec aplomb. Voyez ci-contre (photo 4). Son invitation à découvrir ses nouvelles collections estivales dans sa boutique anversoise nous montre un couple : elle, chemisier en soie, foulard à pois et brushing rockabilly. Lui n’a plus 17 ans, porte une barbe de 5 jours, le cheveu indompté et des solaires à grosses montures qui cachent un regard qu’on imagine détaché et sans complexes. Il fait le malin ? Il revient pourtant de loin. Ce gars-là et ses cousins siciliens tout en muscles et pilosité qui jouent cette saison les héros de la campagne de pub de Dolce & Gabbana se faisaient en effet plutôt discrets dans les défilés et l’imagerie fashion des années 2000 dominés par le jeunisme, la pâleur et une androgynie latente d’ado ambigu fan de rock anglais. Typiquement le modèle vanté par Hedi Slimane à l’époque de son triomphe chez Dior Homme.

Aujourd’hui, nous n’irons pas jusqu’à écrire que Karl Lagerfeld peut reprendre les 40 kilos qu’il avait perdus pour entrer dans les costumes cigarettes de son ami Hedi, mais, sur les podiums, l’humeur est à un come-back patent d’une certaine idée vintage de la masculinité. Davantage hétéroclites (racialement, morphologiquement), les cabines ne se limitent en effet plus aux brindilles blondes fraîchement scoutées à la sortie des classes d’un village scandinave par les agences de mannequins. Lors des présentations des collections pour le printemps-été 2011 à Milan et à Paris, cette diversification était particulièrement remarquable. Et les fils d’Adam les plus solides se faisaient à nouveau entendre. Chez Jean Paul Gaultier, d’abord, qui nous emmenait dans la moiteur d’un hammam à Marrakech pour faire la connaissance de Musclors barbus en slips de bain – la virilité est transgenre, doit-on le rappeler. Puis chez Kris Van Assche, chantre de l’esprit teenage, qui enjoignait son c£ur de cible jeunot à mettre les mains dans le cambouis plutôt que dans le pot de Wax : mains salies par l’huile de vidange, ses mannequins n’avaient pas honte de suer dans leur marcel. Dries Van Noten avait quant à lui choisi de lancer son écurie dans des sous-sols décatis aux airs de parking louche. Gueules d’atmosphère tendue, boots solidement lacées, regards durs comme le bitume. Le créateur belge envoyait une bande de mauvais garçons à l’assaut des remparts d’une société trop lisse. Quand à Adam Kimmel, le New-Yorkais chéri des branchés côte Est, il poursuit son projet de dessiner les contours vestimentaires de l’Amérique en s’intéressant cette saison à l’esthétique du rap gangsta, bastion de la virilité assumée jusqu’à l’extrême. Du reste, ce Yankee barbu en passe de devenir le nouveau gourou du style années 10 est à la pointe d’une nouvelle tendance très mâle elle aussi qui revalorise le vêtement utilitaire. Il collaborera dès l’automne avec l’équipementier Carhartt, griffe plus que centenaire destinée à l’origine à habiller les ouvriers avant d’être récupérée par les rappeurs et les skaters dans les nineties.

LA VIRILITÉ EN HÉRITAGE

Un exemple parmi beaucoup d’autres de la renaissance des griffes initialement workwear dont les mecs s’emparent de plus en plus, signant ainsi la nouvelle dégaine en vogue. De Tokyo, où l’attraction pour les marques US a toujours été forte, à Paris, où les vestes Canada Goose, les chemises à carreaux Lee, les jeans Wrangler et même la bonne vieille Barbour se vendent comme des petits pains, on n’en est déjà plus aux frémissements du retour du real man. Par ailleurs, le boom des marques dites  » heritage  » reflète une propension actuelle, dopée par la crise, à se tourner vers le passé, toujours plus rassurant qu’un futur plombé comme un ciel de novembre.

Cette nostalgie, produit de notre société de consolation, trouve par ailleurs des échos plus larges qui éclairent la revalorisation de l’homme solide. L’acteur ibérique Javier Bardem, actuellement à l’affiche du film Biutiful – qui porte bien son nom – reste numero uno dans le champ des fantasmes féminins. Et masculins : le séducteur latino de Vicky Cristina Barcelona et de Mange Prie Aime, attrape tout ce qu’il veut avec ses mains épaisses et sa carrure de rugbyman. D’autre part, le succès de la série télévisée Mad Men n’est pas non plus étranger à la représentation de la virilité old school qui y est faite. Une époque où l’on fumait et buvait comme si les poumons et le foie n’étaient que des lubies de disciples ronchons d’Hippocrate, où l’emploi était plein comme les sacs de courses, l’époque de nos pères. Des pères qu’il n’est plus de bon ton de tuer. Corollaire de la masculinité, la maturité n’est plus du tout taboue. Au contraire, le cheveu poivre et sel et le regard ridé par l’expérience sont du dernier chic. L’hiver dernier, Vogue Hommes International faisait ainsi sa couverture avec un beau quinqua. Titre en grosses lettres sur la couverture :  » La force de l’âge « . Autre indice, de taille : le come-back fracassant de Jeff Bridges à l’écran. Depuis Crazy Heart en 2009 où il jouait un chanteur de country abîmé par le bourbon et les tournées dans le Wild Wild West jusqu’à sa performance en cow-boy racé dans le True Grit des frères Coen, l’acteur américain séduit jusqu’aux trentenaires (foi de mari jaloux).

Ce sursaut d’allure mâle trouve aussi des résonances plus larges, par-delà catwalks, boutiques et tapis rouges. Depuis quelques années, on assiste en effet à une généralisation du poil au menton, plus du tout synonyme de chômage longue durée. Des rues de Brooklyn et Berlin – où la barbe à la Léopold II mange le visage des hispters néo-folkeux – aux couloirs de respectables entreprises, un tsunami folliculaire s’abat sur la moitié de la planète. Selon une étude conduite par la marque de rasoir Schick Men’s (Wilkinson) analysée par le quotidien Libération l’automne dernier :  » Six femmes sur dix préféreraient les barbus. Motifs ? Ces gars-là seraient plus sexy, plus « stylés » avec un côté « aventurier ». En face, 75 % des hommes se sentiraient plus désirables (…), 68 % d’entre eux estimant même que leur barbe leur donne plus de personnalité  » (1).

NI BRUTES NI SOUMIS

Massimiliano Giornetti, directeur artistique de la maison Salvatore Ferragamo ( lire aussi en pages 60 à 63) confirme ce regain de bestialité dans les attentes des hommes. À en juger par l’ambiance cow-boy botté de sa prochaine collection hivernale, il prend le train en route :  » Dans cette collection, j’avais aussi envie de m’adresser à l’homme qui porte des longs cheveux et une barbe de plusieurs jours. C’est intéressant de remarquer que le vestiaire de la femme revient à une féminité très élégante et celui de l’homme à une masculinité très affirmée.  » Une différenciation appuyée des genres, le re-gendering, comme on dit aux States.  » Si les femmes se sont émancipées, ce n’est pas pour se retrouver en face d’ectoplasmes « , analysait déjà Nicolas Riou en 2005 dans Pourquoi mon mec est comme ça : du néo-macho à l’homme féminisé, les nouvelles clés du masculin (2). Sans pour autant adhérer aux théories réactionnaires d’Eric Zemmour regrettant la couardise des hommes face à une meute d’amazones revanchardes, l’homme d’aujourd’hui revêt ses vieux attributs de séduction et met de moins en moins ses boots sous la table. On peut ressembler à un mec sans virer macho. L’habit ne fait plus le moine, en somme. Si le partage des tâches ménagères reste un combat quotidien pour les filles d’Ève, les hommes n’ont en tout cas plus besoin de se déguiser en filles pour s’y mettre. Ce qui devrait peut-être en aider certains à dépasser le seuil psychologique de la serpillière.

(1)  » Les mecs, quelle barbe ! « , Libération, 5 novembre 2010.(2) Éditions Eyrolles, 2005.

PAR BAUDOUIN GALLER

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