Barbara Witkowska Journaliste

Ex-assistant prometteur de Jean Paul Gaultier et ex-drag-queen très star, le talentueux Suisse relève aujourd’hui le défi de rajeunir le prêt-à-porter de la célèbre maison parisienne Balmain. Rencontre avec Laurent Mercier.

Les impératifs de la mode sont impitoyables. Ainsi, Laurent Mercier, nommé directeur artistique de la maison Balmain cet hiver, n’a eu que quelques semaines pour préparer la collection automne-hiver 02-03, présentée le 10 mars dernier. Rigoureuse et un peu nostalgique, celle-ci interprète admirablement les codes d’élégance de Pierre Balmain, son goût des lignes « Jolie Madame » et d’une construction sophistiquée et complexe. Les tissus masculins et les couleurs sombres sont exaltés par des imprimés audacieux : un ventilateur, un service à café ou encore… le Taj Mahal. L’élément exotique, cher à Pierre Balmain, est très présent, avec des interprétations originales du kimono japonais, notamment. Tendance oblige, Laurent Mercier n’a pas résisté à la logomania. Retravaillé, un logo Balmain des années 1970 se décline en différentes versions, sur de la maille et sur les accessoires : étoles, écharpes et bonnets.

Après le rush de ce premier défilé, Laurent Mercier peut souffler un peu, s’adonner à la réflexion pour trouver une synthèse qui inscrira la griffe définitivement dans la modernité. Son grand atelier-bureau, situé au-dessus de la boutique Balmain à Paris, est encore très dépouillé, un peu monacal. Il n’a pas encore eu le temps de s’y installer vraiment, de laisser ses empreintes. Le jeune homme de 38 ans paraît grave et bien sage, avec ses cheveux très courts, sobrement vêtu d’un pantalon gris et d’un tee-shirt kaki. Son passé de Lola, star des drag-queens, semble bien lointain. Relégué aux oubliettes le temps où il habillait pour la scène Lenny Kravitz, Patricia Kaas ou Vanessa Paradis. Enfin, sa propre marque, Laurent Mercier, créée il y a deux ans, est provisoirement mise entre parenthèses. Désormais, le créateur talentueux s’occupera exclusivement du prêt-à-porter de la maison Balmain.

Une nouvelle aventure, passionnante, commence donc. De ces aventures-là, la vie de Laurent Mercier en est jonchée… Il est né à Eclépens, un patelin de 600 habitants à 20 km de Lausanne où son père dirige une usine de ciment.  » Enfant, j’avais l’impression d’être loin de tout, je n’avais pas beaucoup d’amis, raconte Laurent Mercier. Le vêtement m’a intéressé très tôt, j’ai fait mes premières armes en habillant la poupée Barbie de ma soeur. Quand j’ai annoncé mon choix de devenir couturier, mes parents ont bien réagi. Mon père, confronté aux relations humaines, a toujours été à l’écoute des autres. Il m’a dit simplement  » fais ce que tu veux, mais fais-le bien « . C’est lui qui m’a poussé à étudier. « 

Dopé par ces encouragements, Laurent Mercier effectue d’abord un apprentissage dans une maison de haute couture à Lausanne qui réalise des copies conformes de certains modèles de la haute couture parisienne. C’est une manière de  » délocaliser  » la haute couture, vendue sous une double griffe. En trois ans de pratique, complétée par un cours théorique, Laurent Mercier maîtrise toutes les ficelles du métier. Lorsqu’il arrive à Paris, destination incontournable, ce perfectionniste peaufine sa formation au célèbre studio Berçot et… soigne son look.  » A l’époque, je sortais beaucoup et m’habillais d’une façon excentrique. J’étais le premier, à Paris, à me raser la tête et les sourcils. On avait l’impression de croiser un ovni dans la rue. Les vêtements, je les réalisais moi-même, j’en achetais aussi aux puces. Bon, ce n’était pas toujours de très bon goût ( rires !). »

Un jour, Laurent Mercier croise l’attaché de presse de Jean Paul Gaultier. Le courant passe bien et le jeune homme décroche son premier job d’assistant chez  » le Dieu « , tant adulé par tous les stylistes en herbe.  » Après toutes ces années passées dans la mode, Gaultier reste au top, c’est quelqu’un qui évolue dans un sens très intéressant. Il m’a appris à me structurer, à travailler en équipe, à réagir rapidement et à synthétiser les tendances. » Armé de ces qualités, Laurent Mercier est nommé responsable du bureau parisien de la maison Escada avec mission de développer les différents thèmes et superviser les accessoires. Puis une nouvelle rencontre lui fait écrire un nouveau chapitre de sa vie. Lenny Kravitz lui demande de l’accompagner aux Etats-Unis et de créer des costumes pour MTV Awards. Leur complicité se poursuit pendant quatre ans. De tournée en tournée, le tour du monde est bouclé.

Laurent Mercier crée également des costumes de scène pour la danseuse Bianca Li et les chanteuses Nina Hagen, Patricia Kaas, Vanessa Paradis.  » Il est plus difficile de travailler pour quelqu’un que de construire une collection de prêt-à-porter, souligne le créateur. La maison de disque a une idée précise de l’impact de la vedette. Celle-ci est un « produit » et il ne faut pas s’égarer. Un vêtement de scène doit synthétiser le physique de la vedette, ses envies et, enfin, sa personnalité, tout en ne l’emportant pas sur celle-ci « .

Evoluant dans le milieu du show-business, Laurent Mercier devient, petit à petit, une vedette à son tour : la star des drag-queens.  » Déjà enfant, j’emmagasinais les images de stars, j’aimais la démesure. Pour moi, c’était une manière de sortir de l’anonymat. La reconnaissance, la grande visibilité des drag-queens a coïncidé vers 1994. J’étais très médiatisé à l’époque. Après l’émission « Ça se discute » de Jean-Luc Delarue, je suis devenu une star du jour au lendemain. Il paraît que j’étais la plus stylée et la plus sublime des drag-queens ( rires). »

Mais avec le millénaire finissant vient le moment de lassitude, de bilan et de mise au point. Laurent Mercier n’est plus  » animé par la flamme « . L’ambiance  » boîtes, VIP, champagne  » commence à lui peser. Sans oublier le fait que le  » métier  » de drag-queen est une  » véritable souffrance « .  » Il faut plusieurs heures de travail pour être impeccable. Les talons, les corsets, les artifices, les perruques, les maquillages, tout cela devenait très lourd. » Retour à la case départ, donc, le métier de styliste.

En 1999, Laurent Mercier décide de sortir une collection à son nom, au moins essayer, pour ne pas avoir de regrets.  » Mon objectif consistait à me faire connaître, pas à gagner de l’argent. J’ai bâti une collection dépouillé, assez minimaliste, dans l’air du temps. Tout était dans la coupe, avec des injections de tissus ethniques et un petit côté 1980. Bon, le défilé n’a pas été une super réussite, et je me suis rendu compte que créer des vêtements et les faire défiler ce sont deux choses complètement différentes. Lors d’un défilé, il faut avoir un impact, raconter une histoire, avoir une corrélation avec la musique et les lumières. C’est un show. Moi, je me suis trop concentré sur la coupe. »

La deuxième collection, présentée en mars 2000, marche bien. Laurent Mercier s’inscrit dans une dynamique plus réaliste, plus professionnelle. La presse s’emballe, les boutiques suivent.  » Carine Roitfeld, la rédactrice en chef de « Vogue Paris » a adoré certaines pièces de ma collection, Madonna m’a donné un coup de main en portant mes vêtements. Ce sont mes deux marraines.  » Les quatre collections qu’il présentera au total suivent une pente ascendante. Et voilà que tout s’arrête. Un nouveau chapitre s’ouvre devant lui.  » Alain Hivelin, le PDG de la maison Balmain, m’a appelé sur mon portable. On s’est rencontré et comme avec Lenny Kravitz, on s’est bien entendu. J’ai reçu carte blanche pour redynamiser le prêt-à-porter de la maison, donc je travaille à plein temps. Je suis très motivé, il y a une bonne structure, j’ai un instrument de travail fantastique. Il est clair que je ferai du Laurent Mercier en m’inspirant de l’esprit de la maison. Pierre Balmain aimait les vêtements exotiques, chinois, les saris, les kimonos. Quelque part, cela me correspond bien. » En attendant, absorbé par ses nouvelles fonctions, le créateur renonce à développer sa propre griffe. La collection printemps-été 2002, sa dernière, est très pointue, innove par des associations originales et des détails inédits. Entièrement blanche, virginale, elle annonce déjà, un nouveau départ, plein de promesses.

Barbara Witkowska

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