Sous ses dehors feutrés, la baie vaudoise est un concentré d’audace où la création contemporaine est omniprésente. Boutiques, musées, patrimoine architectural, librairies, hôtels : rien n’échappe à la nouvelle vague suisse.

« Fondue enchaînée sur la baie de Lausanne « , chantait Bashung dans Helvète Underground. Le cliché vacille aujourd’hui sur son socle. La capitale vaudoise, avec son lac et ses montagnes, a désormais plus à offrir que sa douceur de vivre. Dopée à la créativité, elle multiplie les initiatives qui ont métamorphosé son image. Tout se passe pourtant dans un mouchoir de poche. Lausanne compte 140 000 habitants, à peine plus que Namur.  » Il y a une vraie et belle énergie « , affirme Patrick Buhler, photographe et graphiste. Avec deux associés, il y a sept mois, il ouvrait Ægon + Ægon, une boutique d’objets d’intérieur aux allures de cabinet de curiosité chic. Après douze ans passés dans le sud de la France où il tenait une maison d’hôtes, ce touche-à-tout cultivé est revenu dans sa ville natale.  » Le fait que Lausanne soit plus pointue culturellement que Genève ou Zurich est motivant, même s’il reste des choses à faire « , confie-t-il.

UNE USINE DE BAS NYLON

Patrick Buhler a craqué pour un ancien atelier de vélos, ouvert sur une étonnante cour arrière. Son mini-concept store accueille, entre autres horizons, les artistes suisses comme la tatoueuse et sérigraphe Caroline Vitelli, la créatrice de bijoux Janka, ou le collectif Armes qui customise des vêtements et tee-shirts de marque. Cette adresse d’esthètes, qui vit au son des cantates de Bach, est une première dans le quartier du Tunnel qui n’est pas réputé pour ses bonnes fréquentations. Certains rêvent d’un changement. A l’image de la mue du quartier du Flon, dans le centre-ville, avec ses ex-entrepôts laissés pour compte puis réaffectés avec succès dans les années 2000.

En son coeur, la place de l’Europe est aujourd’hui un enchevêtrement, façon mikado, de commerces, de bureaux et de lieux en vue. Tressée de passerelles, elle est devenue le Q.G. des skaters et des moins de 30 ans. A la nuit tombée, on s’y presse pour rejoindre sous les arches le club Le Romandie, aménagé en 2008 par Big-Game. Ce trio belgo-franco-suisse de designers conçoit également des objets pour Hay, Alessi ou Lexon. Fondé il y a dix ans, leur studio est devenu la référence du bouillonnement créatif lausannois. Point commun entre les trois comparses : ils ont été formés à l’Ecal, l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, dont plusieurs salles d’expositions sont ouvertes au public. Une occasion de plonger au coeur de cette  » place to be  » que les jeunes créateurs du monde entier rêvent d’intégrer. Moins d’un tiers des prétendants aura pourtant le droit de fouler le sol de cette ruche bourdonnante qui abritait une usine de bas nylon dans les années 50. A grands coups de percements, de bardages métalliques et de couleurs primaires à la Malevitch, l’architecte Bernard Tschumi a transfiguré la défunte manufacture. Hier, on y confectionnait des panties, aujourd’hui on y forme des graphistes ou des spécialistes en  » Design for Luxury & Craftsmanship « . Plus de trente nationalités se côtoient et collaborent dans des open spaces larges comme des terrains de foot. Les moyens semblent sans limite. Le Bruxellois Elric Petit est passé par l’Ecal en 2002, avant de cofonder Big-Game deux ans plus tard avec Augustin Scott de Martinville et Grégoire Jeanmonod. Sa vie est désormais à Lausanne.  » La région est incroyablement dynamique sur le plan économique, dit-il. Les entreprises sont réceptives au design, c’est très stimulant.  »

CADRE ROMANTIQUE

Fichés sur le fronton de la gare centrale, les cinq anneaux olympiques sont l’emblème de Lausanne qui, depuis 1915, abrite le siège du Comité international. Le Musée olympique, inauguré il y a 20 ans, accusait le coup, traînait la patte. Il a été remanié de fond en comble l’an passé. Dans le quartier résidentiel d’Ouchy, qui borde le lac Léman, le bâtiment quadrangulaire trône comme un podium au-dessus d’un vaste jardin en terrasses. La signalétique est de Base Design. Un must de l’interactivité et de la 3D, pour tout savoir sur Michael Phelps ou l’architecture des stades. Au dernier étage, il faut s’arrêter à l’heure du déjeuner au Tom Café, une excellente cantine aux couleurs vitaminées, avec vue sur les Alpes. L’assiette étonne par sa fraîcheur et sa justesse.

Bien qu’institutionnel, le Mudac, le Musée consacré aux arts appliqués (et à l’art verrier) est un autre passage obligé. Comme le Musée de l’Elysée qui fait la part belle à la photographie. La maison particulière qui l’abrite est située à dix minutes du Musée olympique, au milieu d’un parc qui domine le lac Léman à 430 mètres d’altitude. Difficile d’imaginer un cadre plus romantique. L’excellente librairie et le café du rez-de-chaussée, restructurés en 2011, jouent la carte de l’épure, comme souvent en Suisse. Seule touche fantaisiste : le mobilier d’après-guerre de Charles Eames et les lampes pop de Verner Panton. A Lausanne comme ailleurs, le vintage est à la mode. L’Aula des Cèdres, un centre de conférence construit en 1961 par le père de Bernard Tschumi, est une perle architecturale qui connaît un regain d’intérêt. Sa coque en béton qui s’élance dans le ciel dissimule des salles hors normes dont l’atmosphère semble tout droit sortie de la série Mad Men.

Chez Chic Cham – l’adresse en vue de Lausanne, ouverte il y a peu -, le vintage est une affaire entendue. On s’y presse lors des Design Days qui ont lieu depuis six ans un peu partout dans la ville. Les meubles et accessoires exposés dans cette ancienne forge transformée en showroom constituent une mine pour les amoureux du modernisme des années 50. Les sofas, tables basses ou chaises en fibre de verre typiques de la décennie sont mixés avec des créations de designers suisses (Tomas Kral, Ace) ou étrangers (le new-yorkais John Derian, qui réalise d’élégants plats en terre cuite vernie). On trouve aussi dans ce loft de plain-pied des tapis griffés Chic Cham, le label des deux fondatrices de la boutique, les stylistes Annabelle Dentan et Pauline Martinet. Elles sont l’âme précieuse de cet endroit chaleureux, exigeant et dont le mot d’ordre est :  » Educate your sofa !  »

RUBAN DE BÉTON

Les initiatives individuelles qui insufflent un nouvel élan se donnent le mot dans les ruelles étroites et montantes de la ville. Marie Oliveira, qui a ouvert l’automne passé Fricote, une enseigne consacrée au monde de la cuisine, est une passionnée des arts de la table. Dans son magasin, un petit duplex de la rue Marterey, elle ne tarit pas d’éloge sur le sirop de fleurs de sureau ou le pesto de tomates séchées de La petite épicerie, un label suisse qui collabore avec les producteurs locaux. Dans les rayons, on s’arrête sur les chocolats sans sucre ajouté et sans lactose Sisao, une marque au packaging inspiré par le monde de l’édition et lancée par de jeunes Lausannois.  » Mes clients sont des trentenaires qui voyagent beaucoup, raconte Marie. Ils aiment la nouveauté mais veulent connaître la provenance des produits. Ils sont ouverts mais soucieux de tradition et d’écologie.  »

L’hôtellerie connaît aussi un second souffle. L’Agora Swiss Night est une nouvelle boutique-hôtel qui se joue des clichés sur la Suisse. Le lobby affiche collection de coucous, statue de Guillaume Tell et autres peaux de vache. Au risque de pousser le bouchon, de fendant bien sûr, un peu loin. Heureusement, les chambres ont la bonne idée d’offrir un design retenu et bien balancé (Alki, Cassina) qui tourne le dos au kitsch. Même le légendaire Beau-Rivage, le palace XIXe siècle en bordure du lac Léman, s’est laissé gagner par le vent nouveau en confiant la rénovation de ses suites à Pierre-Yves Rochon. Une déclinaison de tons tilleul, bleu ciel et beige clair qui, l’air de rien, introduit une touche de modernité dans l’histoire du 5 étoiles.

Dotée de deux lignes de métros, dont l’une grimpe avec la verticalité d’un funiculaire, Lausanne met à portée de main les quartiers de la périphérie. A deux pas de l’université, le Rolex Learning Center est un manifeste architectural en soi. Ce centre culturel futuriste, ouvert à tous les publics de 7 heures à minuit, est un projet unique en son genre. A la fois laboratoire d’apprentissage, bibliothèque et lieu de vie pour étudiants, il a été conçu par les Japonais de Sanaa (New Art Museum, à New York). Ce ruban de béton, qui serpente comme une gigantesque onde sur 160 mètres de long, abrite une surface continue de 20 000 mètres carrés. Un véritable paysage intérieur ininterrompu qui s’incurve, monte, descend avec des pentes à 28 % dignes du Grand Saint-Bernard. Une typologie qui incite à de nouvelles pratiques. Les étudiants, bercés par les vallons, apaisés par le décor immaculé, s’allongent à même le sol pour se reposer, voire piquer un petit somme, lovés dans des poufs en libre accès. Bienvenue à Googleplex, Californie ? Non, welcome in Lausanne, Switzerland…

PAR ANTOINE MORENO / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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