Voici comment habiter de manière moderne une maison de plus de cinq siècles… Franchissez donc le seuil de cette belle demeure nichée au cour du Pajottenland pour découvrir les petits secrets d’une famille bien inspirée.

« On a retrouvé la trace précise de tous les propriétaires de ce bien depuis 1417. La partie la plus ancienne, le corps principal d’habitation, a dû être construite dans les années qui ont suivi cette date, en tout cas au xve siècle. C’est sans doute la plus ancienne habitation existante dans cette partie du Brabant.  » Si vous demandez à l’actuel propriétaire ce qui lui plaît le plus dans cette demeure acquise à la fin des années 1990, il répond sans hésiter : son vécu.  » Ce type d’architecture est typique de son siècle. On retrouve des constructions, des façades comme celles-ci dans les peintures de Bruegel, qui s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de cette région du Pajottenland, pour ses paysages. En étudiant les différents titres de propriété du domaine, on s’est rendu compte qu’il a fait partie du patrimoine de plusieurs familles qui l’ont successivement occupé pendant de longues périodes, au moins un siècle chacune. En réalité ce qui me séduit dans cette maison, c’est qu’elle est remplie d’histoires, une pour chaque époque. On sait, par exemple, qu’elle a appartenu à un marchand de vins qui a fait fortune en approvisionnant l’armée de la période espagnole. Voici cent cinquante ans environ, elle était la maison de plaisance, comme on disait alors, d’un notable de la capitale, ayant pignon sur rue à la Grand-Place de Bruxelles. Ces gens venaient ici passer la journée, pour rentrer le soir les paniers chargés de victuailles de la campagne, des produits de la ferme de la propriété.  »

Au premier coup d’£il, lorsqu’on la découvre émergeant d’un tapis de verdure et encadrée d’arbres, on n’accorderait pas grand crédit à cette demeure bien modeste en regard de la stature des châteaux de la région. Signe distinctif toutefois, elle est construite sur un renflement de terres (peut-être un remblai) : les bâtisseurs voulaient la mettre hors de portée des crues éventuelles de la rivière et du groupe d’étangs qui émaillent aujourd’hui encore le domaine. Ce souci est renforcé encore par le plan choisi. En effet, le rez-de-chaussée est surélevé d’un demi-étage. Conséquence logique, les caves sont, elles, à moitié enterrées.  » Les siècles ont bien entendu accompli leur £uvre, soulignent les propriétaires. Ainsi, lorsque nous avons rénové la maison, nous nous sommes aperçus que le plancher de la chambre d’une de nos filles était incliné, la différence entre un coin et l’autre de la pièce est de 7 cm par rapport à l’horizontale.  »

De loin, on remarque ses briques plates d’un modèle espagnol. Mais en s’approchant de la maison, on note que toutes les boiseries extérieures sont neuves. Elles ont toutefois été redessinées dans l’esprit du temps par Raymond Rombouts. Cet architecte a permis à la demeure de retrouver une grande partie de son âme originelle.  » Il n’est venu ici que deux fois, confie le propriétaire. Il nous a donné ces indications à distance. Mais dès les premiers instants il a su voir ce qui sommeillait en dessous des aménagements les plus récents. Selon lui, il suffisait de retirer tous les faux plafonds pour retrouver le système constructif originel, basé sur cinq poutres parallèles. Ce qui fut le cas.  »

Les transformations des trente dernières années avaient conduit à maintes surcharges inutiles. Les murs, par exemple, étaient, pour partie, habillés de bois. Tous les étages, jusques et y compris le grenier, avaient été compartimentés. La rénovation est avant tout le fruit d’un grand nettoyage. Les enduits muraux ont été réalisés à la chaux pour permettre à ces murs épais de plus de 50 cm de respirer. Le sol du grand salon est habillé de plancher en chêne. Tout le reste du rez-de-chaussée est pavé de carreaux de pierre noirs de 20 cm de côté, séparés par un gros joint en ciment. On retrouve, ici et là, la patte de Rombouts : les angles des murs sont arrondis ; les portes en chêne naturel révèlent un superbe dépouillement.

Seule la cuisine dénote. Et pour cause, sa conception et son plan ont été confiés à un autre spécialiste, l’architecte Baudouin Courtens.  » Pour comprendre nos choix, il faut savoir que nous souhaitons pouvoir laisser la porte de la cuisine ouverte et qu’elle soit belle à regarder, que rien ne traîne, commente le propriétaire. Les appareils sont dissimulés. Lorsque nous avons opéré la percée pour encastrer le frigo, nous nous sommes retrouvés dans le premier mur extérieur, à l’emplacement de l’ancienne porte, ce qui accrédite la thèse que la cuisine fait partie d’un ajout construit bien après le corps principal.  »

L’architecte s’est acquis de sa tâche avec beaucoup d’élégance. Dans la cuisine, toutes les lignes sont pures et droites, en harmonie avec les matériaux employés, le chêne clair et le zinc. Le long évier a été taillé dans de la pierre bleue du Hainaut. Les carrelages muraux d’un blanc légèrement azuré ont été sélectionnés dans la gamme proposée par Agnès Emery (Bruxelles).  » Baudouin Courtens a réussi ce qui nous importe le plus, s’enthousiasme le propriétaire. Faire de la cuisine une pièce sobre, dans laquelle, hors des repas, on peut même s’attabler pour lire.  »

L’escalier ancien permet de gravir les paliers qui conduisent aux deux étages. Le premier est divisé en trois, une chambre pour chaque enfant. A noter : celle du fils dispose d’un système de penderies habillées d’anciennes persiennes. La chambre parentale, elle, est le seul volume qui soit resté entier. Le vieil escalier en bois est resté en place : il permet d’atteindre un petit bureau suspendu en mezzanine û sans rambarde û, au niveau où se trouvait le grenier. Son plancher couvre un petit bloc comprenant les éviers et le dressing, le tout étant habillé de bois, comme pour mieux se fondre dans l’ensemble. Une ouverture très joliment réalisée dans un mur de presque un mètre d’épaisseur organise la communication avec la salle de bains, logée dans la même partie rapportée que la cuisine. Trois marches rattrapent la différence de niveau. La baignoire est enchâssée dans un sarcophage en chêne. La chambre séduit par son volume immense, qui s’envole jusqu’au faîte pointu de la charpente. La déco, elle, est minimaliste. Elle exprime clairement la volonté des occupants d’éliminer toute surcharge pour jouir d’une pure merveille : la lumière qui entre généreusement, à toute heure du jour, par les fenêtres percées dans toutes les façades.

Jean-Pierre Gabriel

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