Barbara Witkowska Journaliste

L’événement a lieu à Barcelone. Dans le cadre du Printemps du Design, douze créateurs de bijoux bruxellois et wallons présenteront leurs dernières  » Parures-Créations « . En avant-première, quelques temps forts de cette exposition prestigieuse.

Singulière, enfiévrée et délirante, Barcelone, capitale culturelle de l’Espagne, fête l’arrivée des beaux jours avec une biennale prestigieuse, alternant la photographie et le design. En 2001, le Printemps du Design (ou Primavera del Disseny) accueillera, pendant plusieurs mois, pas moins de 110 expositions ! Un bel hommage, donc, à toutes les facettes, contemporaines ou historiques, du design, ce  » prince des objets usuels « . Une place de choix (huit expositions) revient aux bijoux. C’est dans cet univers de parure que s’inscrit la seule exposition belge,  » Parures-Créations « , organisée à l’initiative du Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française de Belgique.

Le commissaire de l’exposition est France Borel. Directeur de la Cambre, Arts visuels, France Borel manifeste, depuis toujours, un intérêt très vif pour la parure dans toute son ampleur. Elle est l’auteur d’un remarquable ouvrage sur le bijou ethnique ( » Orfèvres lointains  » aux éditions Hazan, traduit en plusieurs langues) et coauteur du Dictionnaire international du bijou (aux Editions du Regard).  » La parure m’intéresse non pas comme un bibelot, mais comme un élément de séduction et aussi comme éveil de réflexion sur le monde qui nous entoure « , souligne-t-elle.

A Barcelone, il y aura douze créateurs de bijoux francophones, de Wallonie et de Bruxelles. Très impliqués dans la recherche contemporaine, ils viennent de réaliser des travaux spécifiques pour le Printemps du Design.  » L’implication du créateur dans cet événement était indispensable, note France Borel. Barcelone est très stimulante. Dotée d’une identité culturelle très riche et puissante, c’est une ville qui arrive à un dialogue très dynamique entre son passé, son présent et son futur. « 

Pour le choix du lieu de l’exposition, France Borel reçoit carte blanche. Elle souhaite un endroit avec de la personnalité, mais pas trop  » lourd « , pour ne pas écraser le  » contenu « . Avec la complicité de Christine Stevens, consul de Belgique à Barcelone, elle découvre la Casa Miquel Fargas. C’est le coup de foudre pour cette vaste demeure pleine de caractère, dessinée il y a exactement cent ans par l’architecte Enrique Sagnier Y Villavechia, contemporain d’Antonio Gaudí et de Victor Horta. Une partie est occupée aujourd’hui par une galerie d’art, dont le propriétaire est Ignacio de Lassaletta. Les volumes aériens de la galerie, son esprit Art nouveau et ses lignes ondulantes, offrent donc un écrin de prédilection aux créations des  » bijoutiers, bijoutières de Wallonie et de Bruxelles « .

L’objet d’art

Ils sont donc douze, douze créateurs  » assermentés « , formés, pour la plupart, à l’Institut des arts et métiers à Bruxelles ou à l’Institut des arts et techniques artisanales à Namur. Leurs parcours ont suivi des chemins différents, leurs personnalités sont éclectiques, leurs sensibilités divergent. Quelques points communs émergent tout de même. Si les créateurs affirment, tous, créer des bijoux  » portables « , ceux-ci semblent ne plus être considérés comme une  » parure « , une touche de finition  » décorative  » de la silhouette féminine, destinée à mettre l’apparence en valeur.

Animé de sa propre vie et de sa propre dynamique, le bijou revendique une existence par lui-même, il ambitionne le statut d’oeuvre d’art en miniature. Il semble vouloir quitter le domaine des arts décoratifs, pour opérer un glissement vers l’art tout court. Il est l’expression de la personnalité de son créateur, il signe son identité et sa sensibilité. Deuxième constat : la nature n’est plus la source d’inspiration prédominante, comme ce fut le cas dans le passé. Les jeunes créateurs, surtout les hommes, se sentent beaucoup d’affinités avec notre époque. C’est donc notre environnement urbain, speedé et cadencé, notre civilisation obsédée par l’image, notre architecture graphique, technique et rigoureuse, qui leur soufflent de nouvelles idées. D’où ce parti pris de matériaux nouveaux, empruntés justement, à l’architecture, tels le béton ou l’acier, ou encore détournés des technologies les plus pointues, comme le titane.

Dernier constat, enfin. On observe une scission entre la création au féminin et au masculin. Du côté des hommes, une grande fascination pour les technologies complexes prédomine. Cela se traduit dans le choix des matériaux résolument industriels, mais aussi dans la recherche de formes et structures compliquées, cérébrales, très élaborées. L’influence de l’informatique et de l’électronique est évidente. Les femmes, en revanche, optent pour la simplicité et pour le minimalisme, pour employer un mot à la mode. Leurs créations, sobres et dépouillées, symbolisent le retour à l’essentiel. Leur sensibilité créative s’exprime dans des matériaux nobles, classiques et intemporels, tels l’or, l’argent, le Plexiglass ou encore… le papier.

La pureté au féminin

C’est au papier, matériau usuel et essentiel que Christine Keyeux souhaite insuffler une âme nouvelle. Ses outils? Ses doigts! Ayant parfaitement maîtrisé les techniques ancestrales chinoises, elle file ou tresse du papier, puis crée des colliers et des broches.  » Je travaille avec des papiers hongrois, autrichien, japonais ou chilien. Ils ont tous leur propre histoire et leur propre langage. J’ai mon papier, mes mains et mes idées, je me sens très libre.  » C’est donc en toute liberté que la créatrice a imaginé ce collier bicolore en zigzag, inspiré des lignes subtiles et aériennes de l’endroit où se tiendra l’exposition.

Après une longue expérimentation de la technique de tournage, Doris Stein cherche, aujourd’hui, à réduire ses bijoux à plus de simplicité et à travailler avec un outillage  » essentiel « , un marteau, par exemple. Des surfaces planes en argent, légèrement galbées, acquièrent alors une structure délicate et sensible grâce à l’incrustation d’or, puis par un travail de martelage. A Barcelone, Doris Stein présentera des broches et des épingles, associant et mêlant deux sources d’inspiration : l’architecture ondulante de Gaudí et la verticalité élancée des bambous. De dimensions généreuses, elles se déclinent en or ou en argent, associé au cuivre oxydé.

Le retour à l’essentiel guide également la créativité de Marie Lechat. Son travail actuel, très graphique, veut  » explorer les ressources du fil d’or ou d’argent en tant que ligne, trait, puis dessiner dans l’espace des formes inédites, destinées à être portées « . Sa trilogie de colliers est dédiée à Antonio Gaudí et porte son nom.  » En compulsant des ouvrages sur l’architecture, j’ai découvert un homme très religieux, explique la jeune femme. La croyance insuffle une âme à tout son travail.  » Les colliers de Marie Lechat se caractérisent par un élan vers le haut, synonyme de spiritualité. Les verres de couleur rouge vif symbolisent le sang du Christ. Ils évoquent, également, les mosaïques de Gaudí. Les formes triangulaires sont riches en symboles : on pense au principe de la Trinité et au geste des mains qui prient. Bref, beaucoup de richesse exprimée avec simplicité.

Sculpteur de formation, Lubomira Ivanova aime  » structurer une idée à travers un langage plastique fortement condensé, sobre et dépouillé « . L’artiste s’attache à créer avant tout un objet cohérent. Le Plexiglas est l’un de ses matériaux de prédilection, car il offre un vaste choix d’emplois. Travaillée comme une mini-sculpture, la broche Galet a été modelée à partir d’un bloc, en enlevant de la matière. Le galet, sablé et poli, est devenu un volume calme et rond, organique, mystérieux et sensible. La tige en inox crée le contraste. Elle est une touche graphique qui rend le volume plein un peu plus nerveux.

Le monde  » techno  » des hommes

Restituer la substance de l’univers technologie de l’électronique et de la mécanique, reflets de notre environnement quotidien, tel est le credo de Bernard François. Si le créateur juge ses créations  » carrément portables « , il avoue sincèrement que ce sont surtout la complexité et la sophistication de l’objet qui monopolisent ses pensées. Exemple? Ce pendentif-collier Compact Disc, inséré dans une construction en acier inoxydable (il figure sur la couverture du catalogue de l’exposition), et résumant la passion de l’artiste pour la musique et pour les technologies nouvelles. L’expo à Barcelone lui a inspiré ce bijou, réalisé à l’aide d’une demi-sphère en caoutchouc (un gadget pour enfants), entourée d’une structure en titane.  » Les couleurs mêlées me font penser au globe terrestre, confie Bernard François. Dans la zone bleue, j’imagine Barcelone et sa région, vues par un satellite d’observation!  »

Dans sa création, Patrick Marchal plaide pour une  » certaine esthétique urbaine, reflet des contrastes de la vie en métropole « . C’est donc l’esprit moderniste de Barcelone qui lui a inspiré son pendentif en acier, baptisé  » Premisses de la modernitad « . Le module symbolise la  » trame de Cerda « , dont est inspiré le plan de la ville. Il s’habille, au recto, d’une feuille de cuivre (pour son côté chaleureux et vivant) et, au verso, d’une petite plaque de béton (pour son côté froid et figé). L’acier noirci encercle l’ensemble. Objet vivant, empreint de mouvement, ce bijou peut être porté de trois façons différentes, en exhibant ses différentes facettes : cuivre, béton ou acier.

Laurent Diot aime la ville moderne, son architecture rectiligne et graphique. Son nouveau pendentif réunit plusieurs matériaux éclectiques : titane, argent, or, ivoire (une ancienne boule de billard récupérée) et fil d’acier. Cette construction minutieuse, complexe et sophistiquée qui évoque notre civilisation industrielle, est avant tout un témoignage éclatant d’une recherche personnelle hors des sentiers battus, d’une maîtrise d’exécution magistrale ainsi qu’un exemple de  » faire rêver les bijoux différemment « .

Créateur de bijoux pour la joaillerie classique, Michel Delpérée se mesure, de temps à autre, à des exercices de style plus pointus. Il créé, alors, des bijoux d’art. Un art maîtrisé, toutefois, à la structure ordonnée et aux formes disciplinées. Chaque pièce est très technique. Son exécution et sa finition doivent être parfaites, irréprochables. Le collier présenté à Barcelone a été inspiré par l’aspect visuel très séduisant de l’aluminium perforé. Michel Deléprée l’a découpé, assemblé, discipliné, pour arriver à un résultat plein de contrastes : la matière brute et technique, associée à des formes courbes et sensuelles, compose un ensemble, tout compte fait, féminin.

Pour Michel Mousset, les bijoux  » symbolisent des signes, empruntés à notre civilisation « . Le matériau donne toujours le point de départ à la création. Ce sont des chutes d’acier Corten, trouvées dans l’atelier du sculpteur Félix Roulin qui lui ont donné l’idée de ce collier. L’acier Corten a une particularité: la présence de cuivre dans sa composition forme une oxydation qui constitue une protection du métal. Séduit par la forme originale d’une des chutes, Michel Mousset l’a agrémentée d’un collier en tube d’argent poli et d’un fil torsadé. L’oxydation de l’acier et la richesse de ses nuances contrastent d’une manière intéressante avec l’éclat de l’argent.

Claude Wesel insuffle dans l’univers technique et mécanique un peu de liberté et d’émotion. Son style  » biomécanique « , est un duel permanent entre la rigueur et la sensualité. Un exemple? Le pendentif Eroplane: une association entre l’univers de l’aéronautique et… le dieu de l’Amour. Les ailes, en argent, évoquent une certaine froideur métallique. Le motif du milieu, faisant irrésistiblement penser à l’anatomie du corps humain, se fait précieux, car habillé d’or. Selon le créateur, il ne s’agit pas d’une pièce extravagante, mais au contraire, d’un bijou tout à fait portable, empreint de mystère et de symboles.

Sculpteur avant tout (l’une de ses dernières créations, une grande arche en acier laqué rouge a été placée au Parc du Scheutbos à Molenbeek, à Bruxelles), Thierry Bontridder parle du bijou comme  » à la fois d’un objet d’art et d’une entitée symbolique « .  » Le terme bijou a acquis une connotation commerciale, estime-t-il. Personnellement, je préfère m’éloigner du bijou et m’approcher de  » l’art « .  » D’où cette pièce un peu singulière : une couronne en titane, découpé au laser, puis soumis à un brossage violent et passé à la flamme. Destinée à nous grandir et à nous élever vers les hauteurs, percée de multiples coeurs stylisés (symbole de générosité ?), cette couronne s’inscrit indéniablement, dans la spiritualité du IIIe millénaire.

Perfectionniste, Christian Wuytack insiste sur le caractère polyvalent de ses bijoux. Lorsqu’ils ne sont pas portés, les bijoux doivent s’exposer à la vue de tous.  » Je consacre plus de temps pour trouver un écrin harmonieux que pour le bijou lui-même.  » Le seul des douze créateurs à travailler l’émail sur métaux, Christian Wuytack maîtrise l’application de l’émail sur différents supports (or, argent et cuivre) ainsi que les différentes variantes de l’émail (opaque, transparente et opale). Ses sujets de prédilection? Les fleurs. C’est donc une création fleurie bien originale qui se fera son ambassadrice à Barcelone. La fleur dorée s’entoure d’un liséré blanc, parsemé de taches noires: la signature de l’artiste.

Barbara Witkowska

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