Fashion et gastronomie, une affaire qui roule. De plus en plus de marques et de créateurs font appel aux chefs pour renforcer leur image. Cocorico, la Belgique s’est taillé une belle expertise en la matière.

A l’heure où l’on décrit la Haute cuisine dans des termes que ne renierait pas la Haute couture, où l’on qualifie certains chefs de  » créateurs  » culinaires, où l’on attend la dernière carte d’un restaurant avec la ferveur d’une nouvelle collection, la gastronomie entretient des relations de plus en plus étroites avec la mode. Les points communs ? A l’évidence, la saisonnalité, un goût prononcé pour la couleur et une facilité toute naturelle à incarner l’air du temps. Cela dit, les passerelles ne datent pas d’hier. Christian Dior est sans doute le couturier qui, le premier, s’est chargé de nouer ces deux facettes de l’art de vivre. Gourmet passionné, il avait coutume de servir des mets d’exception à sa table, notamment une Bécasse sautée au Dom Pérignon restée célèbre. Ses recettes fétiches ont été compilées dans un recueil paru en 1972 devenu collector depuis, La Cuisine cousu-main (Société Christian Dior). Autre styliste de renom réputé pour semer le bon autour de lui, Azzedine Alaïa (lire par ailleurs) signe depuis plusieurs années des dîners à quatre mains mémorables en compagnie du chef italien Fulvio Pierangelini. Il s’agit de véritables performances qui se déroulent entre les murs de son magnifique appartement-atelier du Marais, à Paris, où se retrouvent des convives venus des quatre coins du globe.

Ce qui change aujourd’hui, c’est le rapport de force entre la cuisine et les créateurs de mode. Avant, telles de bonnes fées, les seconds se penchaient sur la première, alors vilain petit canard du champ artistique, pour lui donner ses lettres de noblesse. Désormais, ce sont les chefs, surexposés médiatiquement, qui sont appelés à la rescousse des stylistes et des marques. But de la manoeuvre ? Se servir de la gastronomie comme d’un outil de communication à part entière, capable de transposer en goûts et en textures l’imaginaire à l’oeuvre dans les collections.

FÉCONDES SYNERGIES

Parmi les exemples significatifs de collaborations entre marques et chefs, impossible de ne pas évoquer le repas construit par Anne-Sophie Pic autour du N°5 à la demande de Chanel. Début mai dernier, la chef de Valence a concocté un menu 3 services d’anthologie dans le cadre du Palais de Tokyo : Caviar d’Aquitaine, crémeux de petits pois, blanc mousseux d’oignons cébettes à la bergamote pour évoquer les notes de tête du parfum ; Consommé de tomate légèrement ambré à la vanille de Tahiti grand cru Bora-Bora et au rhum vieux agricole de la Martinique sur un turbot côtier à la vapeur douce dans le but de suggérer les notes florales d’ylang-ylang, d’iris et de muguet ; sans oublier, en dessert, un Blanc- manger à l’amande, violette et fève Tonka en guise de contrepoint aux notes de fond dominées par le santal et le vétiver.

Toujours à Paris, Sergi Arola a créé la surprise en signant le Brunch Couture de l’hôtel W Paris-Opéra. Depuis mars dernier, chaque dimanche, entre 11 et 16 heures, les fashionistas peuvent découvrir les variations modeuses du chef espagnol. La direction artistique de l’événement a été confiée à  » deux acteurs de la mode aux univers complémentaires  » : Modissimo, blog masculin, et Babbler, plate-forme Internet génératrice de notoriété pour les jeunes créateurs. En cinq mois, Arola a pu donner la pleine mesure de son talent en épousant les univers variés de marques telles que Melinda Gloss, Unicity Clothing, Balibaris, La Comédie Humaine, ainsi que Forget me not.

EXCELLENCE BELGE

Loin d’être à la traîne, la Belgique s’est construit une réputation internationale en la matière, grâce tout d’abord à l’agence de communication Profirst, emmenée par Bruno Pani. Après avoir orchestré avec succès le mariage de la fille d’Amancio Ortega Gaona, créateur de la marque de vêtements Zara et fondateur du groupe textile mondial Inditex, cette société belge s’est vu confier l’inauguration d’un magasin Massimo Dutti sur la Fifth Avenue, à New York. Bruno Pani explique :  » Le défi était de taille, comment attirer l’attention sur l’ouverture d’une boutique d’une marque plus ou moins mass-market totalement inconnue aux Etats-Unis ? Il fallait frapper un grand coup.  » Pour y parvenir, ce spécialiste de l’événement fait appel à son réseau. Il connaît Albert Adrià, frère et associé de Ferran Adrià dans l’aventure El Bulli.  » Albert a une formation de pâtissier, c’est un véritable horloger de la gastronomie qui en démonte et remonte les mécanismes. De plus, il est très créatif, il a compris très tôt tout le potentiel de communication et d’émotion de la nourriture « , ajoute Pani. C’est donc à lui que Profirst fait appel pour lancer le nouveau point de vente. La logistique est colossale : une brigade de quinze chefs arrive dix jours avant l’événement et privatise la cuisine d’un traiteur local pour tout maîtriser de A à Z. Le 11 octobre 2012, c’est la folie. Bruno Pani se souvient :  » Nous avons transformé le rez-de-chaussée en une cuisine ouverte. Derrière une grande baie vitrée, on pouvait voir Albert Adrià sortir des mises en bouche de génie. L’intensité de la cuisine était relayée à travers tout le magasin par le biais de six caméras. L’inauguration s’est transformée en une performance culinaire.  » Le succès est total, le lendemain, toute la presse relate l’événement.  » L’audience était maximale, le New York Times, le Washington Post et plein d’autres journaux nous ont offert le plus beau des raccourcis en titrant : El Bulli à New York.  » Si Profirst a pu se hisser à ce niveau d’excellence, l’agence le doit à une personnalité bien précise du milieu de la mode. Bruno Pani confesse :  » C’est Giorgio Armani qui nous a ouvert les yeux. Lorsqu’il est devenu notre client, nous avons compris qu’il n’attendait pas seulement de nous une logistique, il voulait que l’événement entier ressemble à sa marque, que le moindre amuse-bouche soit digne de sa vision très « less is more » de la mode.  »

Autre compatriote à se distinguer dans ce rapprochement fashion/food : Jean-Michel Loriers, l’homme qui a révolutionné le métier de traiteur en Belgique. Souvent en tandem avec Etienne Russo, le Belge réputé pour scénographier les défilés des créateurs de mode, il est à la base d’une série d’événements mémorables tels que le 50e défilé de Dries Van Noten, soit 500 invités servis en même temps par 250 serveurs tout au long d’une table de 150 mètres de longueur, ou encore cette soirée Olivier Strelli lors de laquelle les mises en bouche en forme de tulipes comestibles avaient le calice garni de tartares et d’émulsions variées.

Profirst et Jean-Michel Loriers, dont la société s’appelle désormais JML, ont coutume de mêler leurs savoir-faire. L’un des exemples les plus marquants est le défilé de la collection automne-hiver 13-14 de Jean-Paul Lespagnard. L’ensemble du concept était à l’unisson de la simplicité propre à la personnalité du créateur liégeois. Ni champagne, ni petits fours sophistiqués en guise de grignotages mondains mais de très nationales croquettes aux crevettes, du vin blanc et de la bière Vedett. Le tout pour une manifestation qui a marqué la Fashion Week parisienne. Preuve de la grande latitude et de la force d’expression de la gastronomie quand elle se met au service de la mode.

PAR MICHEL VERLINDEN

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