Produit typique de l’hiver, le boudin connaît son apogée à Noël. Enrichi de crème, de raisins et de pommes, il fait le bonheur des gourmands.

 » La période des fêtes de fin d’année est celle où je travaille le plus, confie Roland Docquir. Coincé entre la fabrication et le comptoir, je n’arrête pas une seconde du 1er au 25 décembre. Mais, attention, pas un jour de plus. Je refuse de faire du boudin de Noël en dehors de ces dates. Je considère qu’il s’agit d’une véritable tradition qu’il faut respecter et pas d’un attrape- nigaud servant à vendre à tout prix. On ne me changera pas, je suis attaché à certaines valeurs.  » Le ton est donné. Roland ne transige pas sur la qualité et la fraîcheur. Deux  » règles  » qui, depuis ses débuts dans la profession, en 1971, fondent son credo. L’artisan charcutier parle de ses préparations et de ses  » inventions  » avec la passion d’un viticulteur vantant son dernier cru.  » Le boudin de Noël est vraiment ce qui se fait de mieux. Plus riche en viande noble et en crème, il fond sur la langue. Un délice pour bien terminer l’année. Il y en a pour tous les nez et tous les palais : aux échalotes, aux choux, aux fines herbes, aux poireaux, à la volaille aux amandes, au jus de truffe, aux ris de veau et champignons. « 

Dans son petit magasin, niché au coeur de Jambes, avec un étalage simple mais appétissant, Roland a su se bâtir une réputation qui a dépassé les frontières de sa ville. Nombreux sont les Bruxellois qui apprécient ses produits. La communauté japonaise de Belgique, elle, l’a élevé au rang de fournisseur officieux de viande persillée.

Lorsque l’on entre dans sa boutique, le nez est d’emblée flatté par une bonne odeur de fumé : un jambon de sanglier ainsi que de petites saucisses à l’échalote sèchent derrière lui à la manière de ces natures mortes alléchantes.  » Mes clients le savent, martèle Roland. Ils ne trouvent pas toujours tous les produits. Avec le temps, ils ont compris que c’était un gage de fraîcheur. Comme autrefois… Quand ma grand-mère voulait une langue de boeuf, elle devait la commander huit jours avant. « 

Depuis 1977, Roland confectionne patiemment du boudin, des plats préparés et d’autres charcuteries. Sa force ? Avoir su établir une relation de confiance avec le moins d’intermédiaires possible tant avec ses fournisseurs qu’avec ses clients. Roland se rend sur place, dans les fermes des environs, pour choisir lui-même ses bêtes. Il a ses exigences. Il sait que seuls des animaux ayant été élevés sans stress offriront une viande saine qui ne nécessitera aucune adjonction… Et il estime que le retour du grand public vers les produits artisanaux est un soulagement car il se souvient d’une  » époque pénible  » où seul un prix moindre décidait les clients.

Roland tente aussi de ne pas s’encombrer de produits finis achetés à des fournisseurs extérieurs. Cela, dans le but d’offrir à ses clients des produits préparés par ses soins. D’un naturel plutôt modeste, l’homme aime à préciser qu’il n’est pas le seul à travailler dans cet esprit-là et que l’important c’est  » qu’une certaine idée du métier d’artisan charcutier continue à exister « .

Une histoire obscure et millénaire

L’histoire du boudin ne regarde pas seulement la simple gastronomie, elle débouche sur quelque chose de plus grand qui lie l’homme au mystère de l’existence. Pour preuve, certains scientifiques font remonter cette saga aux hommes de Cro-Magnon. Ceux-ci auraient déjà utilisé le sang et les tripes des animaux pour en faire une nourriture sacrée. D’autres spécialistes considèrent que ce sont les peuples d’Assyrie et de Phénicie qui ont les premiers appliqué les principes de la boyauderie.

Dans la blancheur des campagnes d’antan, le jour où l’on abattait le cochon était une date importante du calendrier rural. Ce jour-là précédait d’une semaine les fêtes de Noël. Les historiens du monde paysan insistent beaucoup sur la haute signification symbolique de cette mise à mort. On peut y voir une sorte de moment charnière dans le cycle de la vie et de la mort. Procédant à ce rituel précis, la dégustation du boudin était vécue comme importante, voire sacrée.

Beaucoup de gastronomes s’accordent à dire que les recettes du boudin blanc et du boudin noir nous viendraient de France. Pour certains, le blanc serait l’oeuvre d’un cuisinier du cardinal Mazarin à l’imagination fertile. Pour d’autres, il résulterait de l’amélioration – au moyen d’oeufs, de viande hachée et de boyaux – d’une bouillie au lait que les fidèles du Moyen Age ingurgitaient le soir de Noël. Le noir, quant à lui, serait apparu en Belgique grâce au cuisinier d’un citoyen français ayant fui son pays au moment de la restauration des Bourbon. Celui-ci aurait diffusé les meilleures recettes de boudins aux charcutiers de la région de Charleroi.

 » Le boudin n’est pas à proprement parler un produit de terroir car on le retrouve un peu partout dans le pays, souligne Jacques Bouton, historien et gastronome averti. Rares sont les boudins qui appartiennent à une entité géographique claire. » Hainaut, Brabant, province de Liège, de Namur : il est vrai que la tradition du boudin s’est largement répandue à l’intérieur de nos frontières. Les régions affichent ce produit au menu de leurs terroirs en ayant chacune ses particularités et ses recettes.

Du côté de la Gaume, on confectionne un boudin noir en utilisant le sang, le foie, le coeur, la graisse et les bas morceaux. Le tout, mélangé avec de savoureux oignons rouges. Le  » noir  » liégeois s’élabore différemment. D’abord, on hache la viande de porc. Ensuite, on la cuit au court-bouillon et on ajoute des oignons rissolés, des lardons et des épices. On termine en remplissant les boyaux de porcs qui sont cuits à feu doux.

La région de Liège est également – et surtout – réputée pour son boudin blanc. C’est la marjolaine qui lui confère son goût si particulier. Autrefois, il ne fallait pas aller bien loin pour la trouver : elle poussait en quantité à flanc de coteaux le long de la Meuse. L’élaboration du boudin liégeois s’effectue selon une tradition assez précise. On mélange la viande hachée de porc avec du gras de joue. Ensuite, on ajoute les différents ingrédients : oignons crus, sel, poivre, lait, macis, marjolaine et persil. Le charcutier mélange le tout à la main afin de ne pas broyer la viande. Après, c’est le moment du bourrage : on fourre le mélange dans des boyaux ficelés à une extrémité. Dernière étape : les boudins mijotent dans un bouillon. Mais il existe aussi des variantes où l’on ajoute à la préparation de la mie de pain.

Il existe encore d’autres types de boudins. Dans le sud du Brabant et dans le nord du Hainaut, certains charcutiers préparent un boudin gris selon une recette assez ancienne. Sa teinte particulière lui vient du lard et des abats dont on a enlevé les vaisseaux sanguins. A Orp, dans le Brabant wallon, on trouve aussi le  » Vète Trêpe « , un boudin vert au chou que l’on peut déguster froid ou chaud. C’est peut-être la variété de boudin qui s’apparente le plus à la définition classique d’un produit de terroir. Il s’agit d’un boudin de viande mais pour lequel on n’utilise pas de sang. Son goût provient d’un mélange d’aromates qui est gardé secret.

A noter aussi : une curiosité venue des régions de Herve et de Verviers qui porte le nom de  » Lèg’vo « . D’un goût un peu sucré, cette spécialité s’élabore avec les abats du cochon, des oignons, des épices, une tête de porc cuite, des couennes, des raisins de Corinthe et du sucre.

Simple et roboratif, le boudin se savoure de plusieurs façons. Si certains le préfèrent froid avec de la moutarde et du pain, d’autres optent plutôt pour la trilogie consacrée : boudin chaud, compotes de pommes et purée. Il campe aussi fermement sur les assiettes de cochonnailles. Et là, également, c’est la tradition qui décide : du côté de Namur, boudins blancs et noirs n’occupent jamais la même assiette; à Charleroi, en revanche, ils vont par paire.

A la fois populaire et noble, le boudin mérite sa place sur le grand comptoir des produits de nos terroirs.  » Tout le monde peut confectionner du boudin, conclut Roland Docquir. Ce n’est pas qu’une question de savoir-faire et de pure technique. Mais un boudin de qualité exige une certaine morale : celle de l’honnêteté, du respect de la tradition et du bon sens. « 

Carnet d’adresses en page 85.

Michel Verlinden Photos: Philippe Saenen

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