Bas de gamme, le textile chinois ? Peut-être plus pour très longtemps. Uma Thurman, Angelina Jolie et Naomi Campbell se sont déjà laissées séduire par le label de luxe Shanghai Tang. En Chine aussi, une classe moyenne fortunée, fatiguée de la logomania, commence à plébisciter les jeunes créateurs locaux. La fashion révolution est en marche.

La plus grande manufacture du monde, avec ses 300 000 millionnaires et ses 60 millions d’habitants aisés (1) s’est ouverte au grand luxe depuis dix ans. Vuitton, grand pionnier de cette croisade, Hermès, Dior, Armani, Celine et Chanel pour n’en citer que quelques-uns n’ont pas hésité à s’y implanter, à y défiler, bien décidés à rafler leur part de la manne… céleste.

 » Cette passion de la Chine pour les labels de luxe est inextricablement liée au prestige et à l’image qu’ils véhiculent, précise Angelica Cheung, rédactrice en chef du tout nouveau  » Vogue Chine  » édité depuis le mois d’août 2005. La logomania est un phénomène propre aux nouveaux marchés, les gens veulent montrer qu’ils ont de l’argent, c’est le symbole de leur statut social. Ce n’est pas prês de s’arrêter mais certains commencent à prendre de la distance.  » (2) Ces  » nouveaux nouveaux riches  » se tournent alors en priorité vers les talents locaux mieux à même de réinterpréter un certain art de vivre chinois.

Il y a onze ans déjà, l’homme d’affaires hongkongais David Tang avait relevé le pari de créer une mode d’inspiration chinoise qui ne soit pas  » ethnique  » pour autant. La marque Shanghai Tang, aujourd’hui majoritairement détenue par le groupe Richemont, réunit  » le meilleur des deux mondes « , comme nous l’explique Raphaël le Masne de Chermont, président du label :  » Nous avons été les premiers à offrir les services de tailleurs impériaux, ces artisans d’exception qui avaient dû quitter la Chine communiste en 1949 pour trouver refuge à Hong Kong. Leur savoir-faire est comparable à de la haute couture.  » La recette séduit d’ailleurs de plus en plus d’Occidentaux.

 » La clientèle étrangère que nous visons n’a pas peur d’assumer une certaine fantaisie, elle a aussi un sens marqué de la mode, poursuit le sémillant businessman, confortablement installé dans le salon de thé de la Maison de la Chine, à Paris, où, sur deux étages, la marque est vendue pour la France en exclusivité. Parallèlement, en Chine, nous touchons ceux qui aujourd’hui revendiquent la richesse de leur culture, qui affirment leur identité tout en restant résolument moderne.  »

C’est d’ailleurs dans cet esprit que Joanne Ooi, la directrice artistique de Shanghai Tang, a conçu les modèles de l’été 2006, tous directement inspirés du travail d’artistes chinois contemporains. Le courant qui consiste à mélanger ancien et nouveau, Orient et Occident, explose sur les imprimés multicolores quand ils ne se couvrent pas de représentations de héros de mangas. Ainsi, les personnages créés par le dessinateur de bandes dessinées Ma Wing Shing se retrouvent non seulement dans la doublure d’une veste pour homme ou d’un sac pour femme mais ils s’affichent aussi sur deux pièces exclusives de la ligne  » couture  » Imperial Tailoring. Ce n’est pas la première fois que la marque, plébiscitée par des célébrités comme Jodie Foster, Angelina Jolie, Naomi Campbell ou Uma Thurman, s’associe à d’autres créateurs : en hiver 2004, c’est l’Irlandais Philip Tracey qui avait imaginé quatre chapeaux. Quelques mois plus tard, Puma lançait la série limitée  » Peony  » avec Shanghai Tanget et Swarovski proposait de recouvrir de 80 000 cristaux l’un des manteaux précieux de la collection hiver 2005.

 » Nous voulons être un ambassadeur de la Chine, comme Ralph Lauren a pu le devenir pour les Etats-Unis « , renchérit Raphael le Masne de Chermont qui pourtant a choisi une Américaine d’origine singapourienne pour diriger les collections. Ce qu’il justifie en affirmant qu’  » un créateur doit avoir voyagé, il doit sentir le monde et les différentes cultures. La plupart des jeunes qui sortent des écoles proposent encore une mode « trop chinoise », non exportable en Occident. Mais nous sommes en chasse, nous repérons les meilleurs éléments qui sortent chaque année.  » Pour ce Breton qui s’est expatrié à Hong Kong avec toute sa famille, il ne faut pas sous-estimer l’impact d’un demi-siècle de communisme.  » Les créateurs occidentaux ont l’£il car ils ont baigné dans un environnement sophistiqué. Pendant des années, la Chine a été un vrai désert culturel. Mais regardez ce qu’ils ont réussi à faire de leurs villes en quelques années. Ils ont une telle fringale !  »

A New York, la Chine a la cote

A New York, aussi, de nombreux créateurs d’origine chinoise qui ont fait le choix de s’expatrier, connaissent déjà un joli succès. C’est notamment le cas de Mary Ping dont la famille, fuyant le communisme, a émigré aux Etats-Unis. La jeune femme ne nie pas le potentiel de ses compatriotes. Mais elle pense qu’il faudra encore quelques années avant que les plus audacieux ne percent à l’étranger.  » Lorsque je regarde le travail des jeunes qui sortent des écoles chinoises, je le trouve souvent très ethnique, plus proche du costume de théâtre que du vêtement. Mais il y a aussi une vraie émulation qui passe d’abord par l’envie d’avoir l’air occidental. Là-bas, ce que l’on connaît de la mode, ce sont d’abord les gros labels, mais des créateurs plus intellectuels commencent néanmoins à avoir du succès.  » L’ancienne étudiante de Vassar – d’où sortit aussi Jackie Kennedy – s’envolera au printemps une nouvelle fois pour la Chine avec l’espoir d’y trouver des points de vente pour ses collections qu’elle ne rapproche en aucun cas de marques comme Shanghai Tang ou Blanc de Chine, le label de l’acteur Jackie Chan.  » Ce sont des attractions touristiques, mais il n’y a rien d’authentiquement chinois derrière tout cela, tranche-t-elle brutalement. C’est un peu comme si vous alliez dans un fast-food chinois tenu par des mexicains. Je ne crois pas que c’est en copiant les marques européennes, ni en mettant un mandarin coloré ou un dragon sur un morceau de soie qu’on arrive à être original. Il faut trouver son propre style.  » Mary, qui adore Raf Simons, Calvin Klein et Dries Van Noten, ne se sent pas directement influencée dans son travail par ses origines chinoises.  » Je suis plutôt formaliste, poursuit-elle. Mes vêtements sont à la fois classiques et modernes. Ce qui compte pour moi, c’est la réflexion sur le design lui-même.  »

Véritable modèle pour la jeune génération de créateurs chinois, Vivienne Tam est née à Canton et a fait ses études à Hong Kong avant de s’installer à New York. Sans cesse, elle a jeté des ponts entre les deux cultures qui l’ont façonnée. A son flagshipstore de Soho répond celui qu’elle a ouvert à Shanghai. Sur base de sa propre expérience, Vivienne Tam prône pour les jeunes créateurs de son pays d’origine une exposition à d’autres marchés et à d’autres cultures.  » Mais il faut surtout leur donner la place pour qu’ils puissent explorer leur propre histoire et leur identité, affirme-t-elle. La Chine développe ses capacités de fabrication mais elle doit aussi construire sa créativité. C’est juste une question de timing. Les Chinois ont de plus en plus de temps et d’argent à dépenser, ils sont en quête de choses qu’ils puissent apprécier et ils sont attirés par les marques. Mais une marque, ce n’est pas qu’un nom. C’est aussi synonyme de qualité et de bon design. Les jeunes créateurs chinois ont besoin de place et d’un marché pour leurs propres marques. Il est nécessaire que leurs compatriotes achètent et portent ce qu’ils créent. C’est en passant par là que se développeront la qualité et l’innovation.  »

A Shanghai et Beijing, la relève est en marche

Ils sont déjà quelques-uns à aller dans cette voie. Zhang Da, par exemple, a ouvert son studio en 2003 et applique les principes du tai-chi à ses collections.  » Mon design est le reflet d’une mentalité chinoise très différente de l’Occident, confiait récemment ce grand admirateur de Yohji Yamamoto et d’Issey Miyake à un hebdomadaire on line anglophone consacré à la ville de Shanghai. Je veux tester les limites du design et explorer de nouvelles manières de travailler. Il y a tellement de gens qui se retrouvent perdus au milieu de tous ces grands noms nourris de couverture médiatique ! Je ne crée pas pour la fashion victim mais pour ceux qui ont des goûts plus indépendants.  » (3) A l’inverse, Qi Gang, très clairement assimilé au design européen – ses maîtres à penser s’appellent Tom Ford, John Galliano ou Miuccia Prada, c’est tout dire -, sortira l’hiver prochain sa première collection de prêt-à-porter qu’il qualifie de  » sexy, féminine et enchanteresse « . Jusqu’ici confiné à ses défilés, il n’avait encore habillé  » que  » des stars, comme l’actrice Gao Yuanyuan qui portait l’une de ses créations au dernier festival de Cannes. Parmi les nouveaux créateurs chinois qui émergent sur les podiums de l’Empire du Milieu, citons également Wang Yiyang, qui se dit inspiré par Lanvin et Rei Kawakubo de Comme des Garçons et qui dirige déjà deux lignes depuis 2001. Zuczug, plus commerciale, s’adresse à la femme citadine et est déjà vendu dans toute la Chine tandis que Cha Gang est son laboratoire, nettement plus couture, qui se veut le  » reflet véritable de la vie quotidienne chinoise.  » Enfin, Cici Xi qui, après deux années passées à Paris, vient de lancer sa propre marque à Beijing il y a tout juste un an.  » Un mélange d’histoire chinoise et de tendances occidentales, élégantes et sexy « , détaille-t-elle sans hésiter. Comme son compatriote Zhang Da qui rêve de voir porter ses vêtements par… des Scandinaves, Cici ne limite pas son avenir à son immense pays.  » Je ne crée pas avec la Chine en tête, poursuit-elle. Les jolies choses doivent pouvoir se vendre partout, j’ai d’ailleurs très envie de m’exporter, c’est très stimulant.  » En tout cas, l’image peu reluisante qui colle à l’étiquette du textile chinois ne l’impressionne pas. Aux accusations de plagiat, elle réplique :  » Vous savez, des copies, il n’y en a pas qu’ici « , avant d’ajouter encore :  » Nous faisons aussi d’énormes efforts en Chine pour améliorer la qualité de nos produits. En tout cas, je fais tout ce que je peux à mon propre niveau.  » La jeune femme qui a étudié la mode durant quatre ans ne jure que par John Galliano, Kenzo, Dolce & Gabbana ou encore Gianfranco Ferré dont elle ne redoute pourtant pas la concurrence.  » C’est vrai que les grands noms de la mode sont présents dans les

flagship store de Soho répond celui qu’elle a ouvert à Shanghai. Sur base de sa propre expérience, Vivienne Tam prône pour les jeunes créateurs de son pays d’origine une exposition à d’autres marchés et à d’autres cultures.  » Mais il faut surtout leur donner la place pour qu’ils puissent explorer leur propre histoire et leur identité, affirme-t-elle. La Chine développe ses capacités de fabrication mais elle doit aussi construire sa créativité. C’est juste une question de timing. Les Chinois ont de plus en plus de temps et d’argent à dépenser, ils sont en quête de choses qu’ils puissent apprécier et ils sont attirés par les marques. Mais une marque, ce n’est pas qu’un nom. C’est aussi synonyme de qualité et de bon design. Les jeunes créateurs chinois ont besoin de place et d’un marché pour leurs propres marques. Il est nécessaire que leurs compatriotes achètent et portent ce qu’ils créent. C’est en passant par là que se développeront la qualité et l’innovation.  »

A Shanghai et Beijing, la relève est en marche

Ils sont déjà quelques-uns à aller dans cette voie. Zhang Da, par exemple, a ouvert son studio en 2003 et applique les principes du tai-chi à ses collections.  » Mon design est le reflet d’une mentalité chinoise très différente de l’Occident, confiait récemment ce grand admirateur de Yohji Yamamoto et d’Issey Miyake à un hebdomadaire on line anglophone consacré à la ville de Shanghai. Je veux tester les limites du design et explorer de nouvelles manières de travailler. Il y a tellement de gens qui se retrouvent perdus au milieu de tous ces grands noms nourris de couverture médiatique ! Je ne crée pas pour la fashion victim mais pour ceux qui ont des goûts plus indépendants.  » (3) A l’inverse, Qi Gang, très clairement assimilé au design européen – ses maîtres à penser s’appellent Tom Ford, John Galliano ou Miuccia Prada, c’est tout dire -, sortira l’hiver prochain sa première collection de prêt-à-porter qu’il qualifie de  » sexy, féminine et enchanteresse « . Jusqu’ici confiné à ses défilés, il n’avait encore habillé  » que  » des stars, comme l’actrice Gao Yuanyuan qui portait l’une de ses créations au dernier Festival de Cannes. Parmi les nouveaux créateurs chinois qui émergent sur les podiums de l’Empire du Milieu, citons également Wang Yiyang, qui se dit inspiré par Lanvin et Rei Kawakubo de Comme des Garçons et qui dirige déjà deux lignes depuis 2001. Zuczug, plus commerciale, s’adresse à la femme citadine et est déjà vendue dans toute la Chine tandis que Cha Gang est son laboratoire, nettement plus couture, qui se veut le  » reflet véritable de la vie quotidienne chinoise ». Enfin, Cici Xi qui, après deux années passées à Paris, vient de lancer sa propre marque à Beijing il y a tout juste un an.  » Un mélange d’histoire chinoise et de tendances occidentales, élégantes et sexy « , détaille-t-elle sans hésiter. Comme son compatriote Zhang Da qui rêve de voir porter ses vêtements par… des Scandinaves, Cici ne limite pas son avenir à son immense pays.  » Je ne crée pas avec la Chine en tête, poursuit-elle. Les jolies choses doivent pouvoir se vendre partout, j’ai d’ailleurs très envie de m’exporter, c’est très stimulant.  » En tout cas, l’image peu reluisante qui colle à l’étiquette du textile chinois ne l’impressionne pas. Aux accusations de plagiat, elle réplique :  » Vous savez, des copies, il n’y en a pas qu’ici « , avant d’ajouter encore :  » Nous faisons aussi d’énormes efforts en Chine pour améliorer la qualité de nos produits. En tout cas, je fais tout ce que je peux à mon propre niveau.  » La jeune femme qui a étudié la mode durant quatre ans ne jure que par John Galliano, Kenzo, Dolce & Gabbana ou encore Gianfranco Ferré dont elle ne redoute pourtant pas la concurrence.  » C’est vrai que les grands noms de la mode sont présents dans les grandes villes, mais ils ne touchent qu’une toute petite part du marché, à cause des prix et du décalage avec les goûts d’une majorité de la population locale. Et puis, le Chinois qui aime la mode est de plus en plus informé, il sait reconnaître désormais ce qui lui va vraiment bien.  » Ici, on peut même se plaire à rêver de ne toucher  » que 1 %  » du marché intérieur. Autant de consommateurs, finalement, que ceux de la Belgique toute entière.

(1)  » Fashion Daily News « , 10 novembre 2005.

(2)  » Logo Lust « , 31 août 2005. Internet : www.cityweekend.com.cn

(3)  » Shanghai’s Style Agents « . Internet : www.8days.sh

Isabelle Willot

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