L’esthétique garçonne, largement plébiscitée cette saison, fait bouger les lignes de la beauté traditionnelle. L’allure 2013 oscille vers le masculin, tout en subtilité.

Ses tempes sont rasées, ses cheveux courts, ses bras musclés. Un sourire contagieux barre sa mâchoire carrée. Elle, c’est Casey Legler, une ancienne championne de natation reconvertie mannequin. Sa particularité ? Elle ressemble plus à un joli minet qu’à une jeune fille en fleur et ne pose que pour des séries masculines. Repérée par le magazine Time l’hiver dernier, elle explique qu’elle  » se sent aussi puissante avec des talons qu’en complet veston « . Son androgynie a depuis été sublimée dans le Vogue Paris (habillée en femme, cette fois). Au même moment, le mannequin Saskia de Brauw, plus  » petit mec  » que jamais, pose devant l’objectif d’Hedi Slimane pour la dernière campagne Saint Laurent Paris. Ses cheveux à la garçonne, ses maxillaires affirmés et sa silhouette longiligne ont depuis séduit David Bowie, qui la met en scène – toujours en costume – dans son dernier clip, The Stars Are Out Tonight. Chez Vanessa Bruno, c’est le visage nu et la coupe ultracourte de Stella Tennant qui sèment le trouble. Vous en voulez encore ? En plein débat sur le mariage des homosexuels, le magazine français gay et lesbien Têtu titre sur sa couverture  » oui à l’ambiguïté  » et transforme Mylène Farmer en sosie de Julie Andrews dans Victor, Victoria, film où l’actrice campait une femme travestie en homme. Là encore, même topo : cheveux plaqués, allure de dandy raffiné et costume  » plus près  » du corps tu meurs.

Même la fast fashion a récupéré les codes du masculin/féminin : Wildfang, le premier e-shop spécialement destiné aux androgynes, vient d’ouvrir. Chez Zara, la collection printemps-été est incarnée par un mannequin en chemise et veste de tailleur, teint pâle, aucun maquillage et cheveux coiffés à la va-vite. Comme si la tendance n’était pas assez visible, elle s’affiche aussi en slogan sur les tee-shirts de la griffe Filles a Papa avec  » Tomboy  » en toutes lettres. Grâce au film éponyme de Céline Sciamma sorti en 2011, l’expression anglaise a désormais remplacé le  » garçon manqué  » français, porteur d’une connotation trop péjorative pour notre époque.

L’IMPORTANCE DES SOURCILS

La tendance au mélange des genres n’est pas nouvelle. On se souvient des silhouettes minimalistes des années 90, qui gommaient les courbes féminines. Au début de la décennie 2000, l’affolant top dominicain Omahyra Mota passait du bad boy testostéroné à la femme fatale au gré des shootings. Ces dernières années, la mode s’est entichée de plusieurs garçons filles : Lea T, chez Givenchy, depuis opérée pour changer de genre, et l’incontournable Andrej Pejic, jeune éphèbe aux cheveux blonds, qui défile régulièrement pour Jean Paul Gaultier.

Mais, cette saison, c’est bien des femmes qu’il s’agit. Les critères de beauté sont en train d’évoluer d’un glamour premier degré à une beauté légèrement masculinisée.  » C’est une manière d’humaniser les images de beauté, analyse Violette, make-up artist. Cette esthétique casse l’effet poupée ou l’excès de glamour.  » Le point d’orgue de ce look ? Les sourcils !  » Epais, avec quelques épis, mais toujours ultrasoignés, ils architecturent le maquillage.  » Cette touche wild n’exclut pas la féminité, elle la rend simplement plus subtile :  » Ces sourcils masculins légitiment, pourquoi pas, une belle bouche rouge, poursuit Violette. L’essentiel est d’éviter le total look de prédatrice fatale.  »

La modernité se cache dans les détails : par exemple, on recourbe ses cils, mais on fait l’impasse sur le mascara. Ce changement d’état d’esprit a même influencé l’industrie cosmétique. Les BB creams – la grande innovation des deux dernières années – et leurs cousines les CC creams ont révolutionné l’approche du teint : ces soins modulables se veulent plus techniques que glamour et prônent la facilité d’usage. Leur but : fusionner avec la peau et se faire oublier. Quant aux fonds de teint, ils deviennent plus nude que nude. Celui d’Armani, une huile ultrapigmentée baptisée Maestro, se veut l’équivalent d’un  » jeans de peau « .  » L’idée, c’est de piquer l’esthétique nature des hommes « , résume Violette. Le coiffeur de studio Anthony Turner renchérit :  » Les lignes deviennent de plus en plus floues entre les coiffures féminines et masculines. Pour les filles, ça frise la prise de pouvoir : on crée des looks très affirmés qui les font apparaître sûres d’elles.  » Ce n’est pas qu’une question de coupe courte.  » Sur cheveux longs et libres, des détails révèlent un côté androgyne : une raie basse sur le côté, par exemple, comme nous avons fait chez Kenzo pour le dernier défilé, ou une texture un peu brouillonne.  »

UNE ATTITUDE DE MEC

L’androgynie réside davantage dans l’attitude que dans un look particulier. Et la plus tomboy de toutes en 2013, c’est Cara Delevingne. La top britannique de 17 ans dont le charme enchante la planète mode depuis deux saisons. Incontestablement, c’est la fille du moment (plus de trente défilés cette saison, la couverture du Vogue UK…)  » Outre son visage, elle se tient comme un mec, s’enthousiasme Violette. Elle ressemble à un petit garçon malicieux et dévergondé.  » Anthony Turner est d’accord.  » Elle a un côté bad boy, comme si elle se fichait de son apparence.  » Pour Lizzie Garrett, auteure de l’ouvrage Tomboy Style et du blog du même nom, la référence absolue en la matière est sans aucun doute Katharine Hepburn. Aujourd’hui, ce pourrait être Clémence, alias Gabriel, la chanteuse du groupe français Théodore, Paul & Gabriel, constitué de trois jeunes filles. Cheveux longs et naturels, teint pâle et allure rock, elles ressemblent à celles de leur génération. Clémence se défend d’imiter les hommes :  » Ce n’est pas une question de sexe. Les femmes ont des envies différentes. Nous sommes en train de casser des barrières. Comme l’actrice Rooney Mara en Lisbeth Salander, ce personnage de la trilogie Millénium, notre génération fait fusionner son mode de vie avec son look, analyse-t-elle. La fille qui enlève ses talons pour courir, c’est très joli, mais c’est dépassé !  » Serions-nous entrés dans une ère de fluidité du genre, comme le suggère le mannequin Casey Legler ?  » Pas vraiment, tempère le sociologue Arnaud Alessandrin. L’iconographie ambiante – dans la publicité ou ailleurs – montre que la féminité ne passe plus forcément par les codes traditionnels. L’émergence des tatouages « agenrés » (mixtes), beaucoup vus ces dernières années, participe du même esprit. Malgré tout, ces images sont symptomatiques d’une mouvance queer ou transgenre, qui a peu de répercussions au niveau individuel. Aujourd’hui, les codes du genre sont encore hypermarqués et difficiles à transgresser.  » Pourtant, les derniers défilés parisiens, qui donnent le tempo de l’hiver prochain, ont à nouveau mis les beautés androgynes à l’honneur, chez Kenzo, Stella McCartney, Isabel Marant, Chloé, Rochas ou Dries Van Noten. La vague tomboy n’est décidément pas près de s’arrêter.

PAR VALENTINE PÉTRY

 » CETTE ESTHÉTIQUE CASSE L’EXCÈS DE GLAMOUR.  »

 » LA FILLE QUI ENLÈVE SES TALONS POUR COURIR, C’EST DÉPASSÉ !  »

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