Nous sommes fous de toutous. Pour eux, rien n’est trop beau: accessoires griffés, toilettage de star, aliments sur mesure et sophistiqués. Les marques de luxe, flairant la bonne aubaine, transforment la crème des chiens en « fashion victims ». Trop de bons soins finissent par donner le blues à l’animal… Vite un psy!

Le monde se divise en deux catégories: les humains avec chien et les autres. Impossible pour les seconds d’imaginer le quotidien des premiers. C’est tout un univers qui leur échappe, où gravitent granulés désodorisants pour aspirateur (contre l’odeur de poil mouillé), service d’assistance nutrition par téléphone (on estime que 1 chien sur 4 est obèse), CD d’aboiements à vertu antistress, horoscopes ( www.astrotoutou.com). Ils ignoreront à jamais l’existence de gamelles jetables autoadhésives, de ramasse-crottes « façon étui de cravate », de colliers à spray froid radiocommandés (pour pétrifier l’animal s’il fait une bêtise ou s’il aboie trop), de traducteurs importés du Japon pour décrypter n’importe quel « ouaf! », et même de système GPS pour pister les chiens chasseurs (chez le Finlandais Benefon)… Bref, fini, la vie plan-plan du chien-chien à sa mémère. Le canidé 2003 est branché. Et débordé.

Pour bien comprendre ce phénomène, deux analyses.D’abord: « Plus les gens ont l’impression que leur animal fait partie de la famille, plus ils ont envie de le traiter aussi bien qu’eux-mêmes », note le Dr Larry Hawk, président de l’ASPCA (équivalent de notre SPA), cité par « The Guardian ». Ensuite: plus le clébard est petit, plus le transfert affectif est fort. Et, même si les propriétaires de chiens n’ont heureusement pas tous cédé aux sirènes parfois délirantes de la « dog attitude », ces données en demeurent pertinentes. Selon Jean-Pierre Digard, chercheur au CNRS et auteur des « Français et leurs animaux » (Fayard), nos toutous sont parfois « traités comme des enfants, dont ils représentent, au fond, des substituts. Pour eux, on ne regarde pas à la dépense. »

« Ce que nous aimons surtout dans nos animaux de compagnie, c’est leur dépendance et l’image d’être supérieurs et tout-puissants qu’ils nous renvoient, poursuit Jean-Pierre Digard. Cette image nous est d’autant plus précieuse que la réalité quotidienne la bafoue. » La bête est devenue un faire-valoir , un prolongement narcissique de soi, un signe extérieur du paraître: si je peux m’offrir le meilleur, Médor y a droit aussi. D’où le développement d’un marché du luxe, où fleurissent parfums (Oh, My Dog!), accessoires siglés Hermès, Gucci, Burberry, Vuitton ou ceux vendus dans les temples de la branchitude parisienne, telle la boutique Colette… D’où, aussi, l’élaboration d’aliments de plus en plus pointus, qui veillent à préserver leur coeur, leurs dents, leur transit intestinal, leur ligne ( voir l’article en page 20). Henri Lagarde, PDG de Royal Canin, estime ainsi que le marché de la nutrition santé va se multiplier par cinq d’ici à 2010. Les toutous mieux nourris que les hommes? Chez le fabricant Husse – spécialiste de la livraison à domicile – on parle même aujourd’hui de « produits de qualité humaine ». Miam!

« Les gens n’hésitent plus à mettre en valeur l’importance de leur chien dans leur vie, remarque Daniel Noury, responsable de la communication de Masterfood (César, Pedigree…). Ils disent: « Je m’appelle Dupont, j’exerce tel métier, je possède tel modèle de voiture et j’ai un chien de telle race. »

Si caniches, labradors et bergers allemands demeurent des valeurs indétrônables, le marché a, bien entendu, ses modes: en tête des races prisées cette année, le jack russel terrier, le rottweiller, le bouledogue français, le carlin, le cane corso, le griffon d’arrêt korthals, le cavalier king charles. Pour les deux ans à venir, Philippe Coppé, fondateur et éditeur d’Edimag (« Atout chien », « Chiens magazine »), annonce le succès du berger australien et du teckel nain, ainsi que le retour du cocker. Les vraies fashion victims piochent, elles, dans le bizarre – shar-peï, chien nu mexicain, barzoï – et le raffiné – braque de Weimar, dalmatien, mâtin napolitain, bull-terrier.

Alors adieu sacs, ceintures, lunettes? Le chien serait-il devenu le dernier accessoire hype à exhiber dans les soirées ou au marché? »Non! s’insurge Philippe Coppé. Ne voyez pas tous les maîtres comme des détraqués! Au contraire, de plus en plus responsables dans l’ensemble, ils ont compris que c’étaient surtout eux, les humains, qu’il convenait d’éduquer! » Pour preuve, dans l’édition, les ouvrages permettant de comprendre la psychologie de son animal et la façon de bien l’élever fourmillent. De « Que veut dire mon chien? » de Gwen Bailey (Gründ), qui, en quatrième de couverture, interroge: « N’aimeriez-vous pas savoir ce que votre compagnon dirait s’il pouvait parler? », à « Comment parler chien », de Stanley Coren (Payot), et « Les chiens nous parlent », de Jan Fenell (éd.du Jour), tout est prévu pour devenir un pro de la traduction… « Les propriétaires, surtout les urbains, sont très demandeurs de manuels explicatifs sur le comportement de leur chien », explique Jean-Mathieu Gosselin, président du directoire de De Vecchi édition (dont le chiffre d’affaires du département animaux a augmenté de 8% en 2001). « Les gens ont pris conscience qu’il fallait vraiment s’occuper de lui, que son bien-être dépendait d’eux. » Et aussi que le chef de meute, c’était bien l’homme, sans discussion: le magazine « Psychologies » a ainsi consacré un dossier de cinq pages, en novembre 2001, au sujet. Son titre: « Ne laissez pas votre chien vous dominer! »

Après la vague de folies en tout genre des douze derniers mois, engendrée par la « Dog Attitude » la sagesse semble de nouveau l’emporter. Le designer Christian Ghion (auteur du canapé et de l’os César) ose dénoncer l’hypocrisie ambiante: « Le destinataire final du produit, c’est le maître. L’animal, lui, il s’en fout. » Dog Generation, la société qui a lancé le parfum Oh, My Dog! rajuste le tir: « Nous allons nous réorienter vers des produits plus fonctionnels (brosses, laisses…) et accessibles, explique Laurent Jugeau, l’un des associés. Nos prix vont baisser de 30% et nous allons désormais être présents dans la grande distribution. » La marque Burberry, si elle continue de proposer en boutique ses imperméables en Nylon à 175 euros et ses gamelles à 45 euros, ne veut absolument plus communiquer sur ce sujet sensible. Peur de galvauder la marque? « Cela a pris un tour qui n’est pas souhaitable », indique juste la prestigieuse maison.

Ouf! Le chien de salon verrait-il enfin son animalité reconnue? Grâce à un certain retour à la sagesse, et aussi parce que l’hystérie marketing semble se reporter sur l’ennemi juré: le chat. Vincent Grégoire, du bureau de tendance Nelly Rodi prévoit l’arrivée imminente de la cat pulsion… « Le côté trouble, raffiné, un peu fourbe et rebelle du chat devrait inspirer le monde de la pub, annonce-t-il. L’homme poilu, alangui, nu, voluptueux qui s’offre à la femme dans la campagne Saint Laurent pour le parfum M 7 en est un signe précurseur. » Le chien sauvé par le chat? La blague a déjà fait le tour des chenils…

Laurence Debril [{ssquf}],

« Montre-moi ton chien, je te dirai qui tu es… »

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