Le célèbre pâtissier parisien se livre à une interview 100 % cacao et a créé, spécialement pour nous, six recettes à fondre de plaisir.

De quand date votre première émotion chocolatée ?

C’était à l’âge de 4 ou 5 ans, dans la boulangerie-pâtisserie familiale de Colmar, quand mon père, pendant les dimanches qui précédaient les fêtes de Pâques, fondait dans son atelier oeufs, cloches, lapins, poules et fritures. Je prenais alors un malin plaisir à grattouiller avec mes doigts les coulures de chocolat au lait débordant inévitablement des moules. J’ai encore en mémoire les effluves enivrants qui envahissaient dans ces moments-là l’atmosphère…

Plutôt lait ou plutôt noir ?

Je suis noir pour la dégustation et lait pour la gourmandise. Le noir me procure une émotion plus cérébrale, tandis que je tire du chocolat au lait un plaisir immédiat. Et s’il y a des noisettes dans le lait, c’est encore mieux !

Et le blanc ?

Je me sens culturellement loin du chocolat blanc, que mon père n’employait pas dans sa pâtisserie. Aujourd’hui, je ne m’en sers jamais en tant que chocolat, mais uniquement comme support de goût dans la garniture de mes macarons. Ce qui fait quand même de moi le plus gros client de chocolat blanc de Valrhona !

Votre chocolat industriel préféré ?

J’ai un faible pour le Cresta, de Lindt, une tablette à l’emballage rouge, à base de chocolat au lait fondant et d’éclats de nougatine croustillants. Je ne la trouve pas partout, mais je m’en régale chaque fois !

Votre fève préférée ?

Je suis un inconditionnel de la porcelana de la plantation El Pedregal au Venezuela, commercialisée par Valrhona, pour son équilibre entre l’amertume et les notes profondes de tabac. Malheureusement, le domaine a été réquisitionné par le pouvoir de Chávez et on ne pourra plus se fournir à partir de janvier prochain. J’explore d’autres pistes au Brésil et à Madagascar.

Votre dernière création ?

Les galets, une façon de réinventer le bonbon de chocolat, un jeu d’équilibre entre une coque fragile de chocolat et une fine couche de ganache au yuzu, à la framboise ou au praliné noisette.

Le bonbon dont vous êtes le plus fier ?

L’Infiniment praliné noisette, que j’ai mis au point en 2007 : un bonbon de chocolat noir fourré d’un praliné maison entièrement à base de noisettes. Le secret de cette création, c’est le mélange au sein de cette préparation de deux moutures de praliné : une très fine, qui apporte l’onctuosité, et une autre, broyée grossièrement pour le croustillant… Certains clients ne viennent que pour lui !

Qu’est-ce que le chocolat a de plus que les autres matières sucrées ?

De l’envie première d’explorer des cacaos inconnus à celle plus aguerrie de mettre en valeur la spécificité d’une origine, d’une production, le travail autour du chocolat est une quête totale… et un métier à part entière. Je conçois la chocolaterie comme un don de soi.

Votre meilleure recette de gâteau au chocolat ?

Celle de mon amie Suzy Palatin, une cuisinière hors pair, qui a écrit de nombreux livres de recettes. Son  » gâteau de Suzy  » fut une révélation ! Je vous en donne la recette, avec son autorisation : vous mettez à fondre 250 g de chocolat au micro-ondes pendant trois minutes puis vous ajoutez 250 g de beurre dans le chocolat et vous mettez à nouveau à fondre le tout une minute. Vous rajoutez 250 g de sucre puis 70 g de farine tamisée, en mélangeant bien chaque fois. Vous battez quatre oeufs en omelette dans un bol et vous intégrez à la préparation au chocolat. Vous versez dans un moule de 24 cm de diamètre beurré et fariné et vous faites cuire le gâteau 25 minutes dans un four préchauffé à 150 °C. Vous m’en direz des nouvelles…

Le sel dans le chocolat ?

Je me méfie de la fleur de sel saupoudrée à tout va sur les bonbons de chocolat… En revanche, le sel bien dosé est un vrai révélateur de goût. Je mets par exemple 10 g de sel pour 1 kg de chocolat au lait : le sel est à peine perceptible, il agit dans l’ombre comme un support essentiel.

Le chocolat dans le salé ?

L’expérience est merveilleuse quand elle est bien maîtrisée. Je garde un souvenir ému d’un rouget accompagné d’une sauce au chocolat signée du pâtissier Frédéric Baud à l’occasion d’un dîner à Lyon, il y a quelques années. Le goût fort, presque giboyeux, du rouget se mariait très bien avec la sauce… Sébastien Gaudard préparait aussi au Délicabar (ancien restaurant-salon de thé du Bon Marché, à Paris) un étonnant foie gras au chocolat…

La création que vous aimeriez avoir signée ?

L’Anapurna, un bonbon bicouche à la pâte de marron et mousse de chocolat au lait, signé Jean-Paul Hévin. Une tuerie ! J’ai une grande amitié et une profonde admiration pour cet artisan, qui a réussi le pari de réconcilier avec subtilité le classicisme et la modernité. Et je l’apprécie aussi humainement : il cache son immense talent derrière une timidité touchante…

Le chocolatier qui a marqué l’Histoire ?

Robert Linxe, le fondateur de la Maison du chocolat. Un génie visionnaire qui a dédié sa vie au cacao et qui est à l’origine d’une nouvelle école française. Et puis l’association des ganaches avec les fruits frais comme la framboise, c’est quand même lui… Mais on doit aussi beaucoup à Gaston Lenôtre pour le style et Michel Chaudun pour son savoir-faire et son intransigeance.

Votre nouvelle création ?

La tarte fine. Je l’avais lancée il y a quelques mois, mais ce ne fut pas un franc succès : elle était trop petite et n’avait pas d’emballage adéquat. Je l’ai revue. C’est une tarte de moins de 1 centimètre d’épaisseur, avec une pâte sablée à la semoule de maïs particulièrement croustillante et une ganache fondante…

PAR FRANÇOIS-RÉGIS GAUDRY ET MINA SOUNDIRAM

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