Un label, mieux, une institution. L’épicerie fine Hédiard distille son savoir-faire depuis exactement 150 ans. Un anniversaire qui valait bien une échappée gourmande à Paris.

Carnet d’adresses en page 80.

Pour rien au monde, elle ne raterait son rendez-vous. Yumi, 33 ans, travaille dans une société d’animation à Tokyo qui l’envoie deux fois par an à Paris prospecter dans le secteur de la production… Et son rituel consiste, le dernier jour de son voyage, à se rendre chez Hédiard, la célèbre épicerie fine de la place de la Madeleine. Le panier en osier garni de boîtes de thé aromatisé à la bergamote, de confitures de coings épicés à la cannelle, la jeune femme hésite entre le pain d’épices maison et les petits-beurre conditionnés dans les fameuses boîtes en fer blanc.  » Bien sûr nous avons des points de vente Hédiard au Japon mais ce n’est pas pareil, dit-elle dans un français impeccable. Pourquoi croyez-vous que tant de Japonaises achètent les créations Louis Vuitton à Paris alors que nous avons le plus grand mégastore de la marque au monde à Tokyo ? Pas seulement parce que c’est moins cher en Europe mais parce qu’à Paris vous avez le sentiment d’acheter l’original. C’est une plus value, comme acheter Gucci à Milan plutôt que Francfort.  »

Hédiard serait donc à la gourmandise ce que Chanel ou Hermès est à la haute couture ; une sorte d’impeccable label  » made in France « , brodé d’or, synonyme de savoir-faire inégalable. La marque travaille depuis exactement 150 ans à entretenir et peaufiner cette image d’excellence qui est la sienne. Elle n’a pas le monopole en la matière, certes, mais Fauchon, l’autre épicerie fine de prestige, située sur le trottoir d’en face, a la faiblesse des cadets selon son rival ; 119 ans seulement, une broutille. Osons les rapprochements : tous deux ont un penchant pour le charme désuet des corbeilles de fruits confits, le goût des coffrets de liqueurs, chacun vous reçoit avec tact par un personnel en tablier (la marque de l’honnête artisan) au milieu d’un amoncellement savamment échafaudé de victuailles. Mais chacun à ses spécialités, et tant pis si se sont parfois les mêmes.

Les aficionados du label au H majuscule ont de quoi se réjouir puisqu’à l’occasion du 150e anniversaire une nouvelle gamme de produits vient de voir le jour, depuis une sélection de vins du pays d’oc aux foies gras de canard entier orange et gingembre. Le souci du conditionnement, habituel chez Hédiard, fait merveille avec les derniers  » mélange Hédiard  » et  » Feng Dai Hong  » (majestueuse montagne rouge, en chinois), deux thés présentés dans des boîtes métalliques rouges et vertes aux subtils motifs floraux. Pour les amateurs de  » rétro gourmandises « , les célèbres bâtons au sucre candy de la maison sont toujours au rendez-vous, au même titre que les tablettes de sucre blanc, sans parler des légendaires pâtes de fruits qui résument à elles seules l’histoire de la maison.

Un mondialisme des saveurs

C’est en 1900, en pleine Exposition universelle que Max Kusel, repreneur de l’affaire familiale créée par Ferdinand Hédiard, découvre les pâtes de fruits du Brésil. Une curiosité qu’il se met aussitôt en tête de reproduire et de peaufiner dans ses ateliers avant de les servir place de la Madeleine. Rien n’a changé depuis. Aujourd’hui encore, les pâtes de fruits Hédiard (du kiwi à la griotte, des dizaines de parfums débordent des étals) sont cuites et moulées une fois par semaine à l’atelier, voisin de la boutique, puis découpées et livrées chaque matin. La révélation gustative et exotique de Max Kusel s’inscrit parfaitement dans la volonté, en pleine époque des colonies, de l’ouverture du Japon, de bouleverser les habitudes alimentaires des Européens. Les comptoirs d’épices se multiplient un peu partout, semant à leur manière les graines d’un mondialisme des saveurs.

Cinquante ans auparavant, Ferdinand Hédiard, fils d’artisans bourreliers, tombe en arrêt, sur les quais du Havre, devant les barils de rhum et les sacs de cacao. Il comprend rapidement l’intérêt à faire commerce de ces cargaisons exotiques en imaginant une boutique aux allures de souk, regorgeant dans leurs emballages d’origine de curry de Pondichéry, de dattes de Tozeur ou de vins de palme. L’homme a du flair, à l’Expo universelle de 1867, il vendra plus de deux tonnes de vanille avant de jeter l’ancre au 21, place de la Madeleine, à proximité des nouveaux Grands Magasins. Aujourd’hui, la boutique, agrémentée d’un restaurant au premier étage, s’est fait v£u de conserver ce qui a bâti sa réputation de caverne chic d’Ali Baba. Son comptoir des cafés offre une trentaine de grands crus, dont le Domaine de Farfell, une appellation contrôlée du Zimbabwe, son comptoir des épices renferme 70 variétés et ses étals de fruits débordent de mangoustans et d’anones. Cette fenêtre ouverte sur le monde propre à Hédiard se perpétue aussi à travers sa belle sélection de vins du monde. Bien sûr, le label n’est plus le seul sur le marché de l’épicerie de luxe. Financièrement fragilisée pendant de longues années, la société a été rachetée en 1995 par l’homme d’affaires monégasque Michel Pastor qui en a confié la direction à Dominique Richard, un ingénieur en aéronautique. Un repositionnement de la marque et un développement intensif des points de vente à l’étranger ont redressé la barre pour atteindre un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros. Les fans sont soulagés, Hédiard peut déguster.

Antoine Moreno

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content