Héros de Populaire, une comédie romantique plantée à la fin des fifties, l’acteur français – symbole de la génération Erasmus – fait le bilan de deux décennies sur grand écran. Avec style.

Le temps a filé depuis Le Péril jeune, de Cédric Klapisch, qui révélait Romain Duris, choisi lors d’un casting sauvage, à 19 ans. Le comédien a pris des épaules mais gardé la même attitude cool et son sourire éclatant. Symbole de la génération Erasmus depuis son rôle de Xavier Rousseau, l’étudiant de L’Auberge espagnole, il a marqué les cinéphiles en entrant dans le cinéma d’Audiard ( De battre mon c£ur s’est arrêté). À 38 ans, l’âge de tous les possibles, le comédien, gracieux comme un danseur, au jeu dense et spontané, a prouvé qu’il était capable de glisser d’une comédie légère ( L’Arnac£ur) à un monologue social de Bernard-Marie Koltès, dirigé au théâtre par Patrice Chéreau ( La Nuit juste avant les forêts). La veille de son départ pour New York, où il tourne Casse-tête chinois, la suite des Poupées russes, Romain évoque, le sourire aux lèvres, son plaisir d’avoir joué dans Populaire, de Régis Roinsard. Une comédie romantique des années Bardot, où il interprète un agent d’assurances décidé à faire remporter les championnats du monde de dactylo à une jeune secrétaire (Déborah François). Amour, gloire et claviers (Azerty).

Mes (presque) 20 ans de cinéma

 » Au départ, j’étais étudiant dans une école d’art et je livrais des pizzas. J’aimais le cinéma en tant que spectateur, mais d’autres choses m’intéressaient. Faire l’acteur est venu d’une manière inattendue, c’est pourquoi j’ai du mal à regarder en arrière. De ces vingt années, je retiens surtout les souvenirs précieux de rencontres sur les tournages, je suis un passionné des rapports humains. Avec l’âge, on prend de l’épaisseur, les rides sont belles, je parle des rides intérieures. Le cinéma ne me fait pas progresser dans la vie personnelle. Le chemin pour arriver à un rôle, oui, parfois. J’ai avancé dans ce métier sur la pointe des pieds. Mon apprentissage se voit en direct, à l’écran ; cela peut paraître étrange, car mes prises de risque, mes recherches sont palpables. J’apprends sur le tas. Plus le spectre s’ouvre, plus il m’intéresse. Après, vient le choix des scénarios, des metteurs en scène. J’ai eu la chance de ne pas me tromper. J’ai tourné avec Cédric Klapisch, Olivier Dahan, Christophe Honoré, Jacques Audiard, Patrice Chéreau ; avec eux, il est facile de s’abandonner. Tout est une question d’instinct. À mes débuts, on me trouvait désinvolte. C’est une image, une jolie image, il ne faut pas l’enlever, cela signifie que le travail est masqué. J’ai du mal à définir ma technique. Je la ressens. J’aime la casser, l’éclater, la mettre en danger. Je ne veux pas connaître les ficelles du jeu : je ne dévore pas les biographies de comédiens pour les chercher. « 

Mon nouveau film : UN VOYAGE DANS LE TEMPS

 » Une comédie romantique est très agréable à jouer, évidemment ; encore faut-il qu’elle soit subtile. Populaire l’est. Régis Roinsard a insufflé au scénario des choses personnelles qui viennent de loin. Le cadre des années 50 est original, les vêtements, le design, la décoration sont très « filmogéniques », même si le réalisateur n’a pas voulu faire quelque chose de trop léché, ni glisser vers un Mad Men à la française. Cela m’a plu de faire resurgir des émotions avec les codes de l’époque, d’évoquer la pudeur, les débuts du féminisme. Les femmes ont leur mot à dire dans le film. Le personnage interprété par Déborah François est moderne, rentre-dedans, ambitieux. J’ai plongé dans des revues, regardé des photos pour retrouver les attitudes, les poses qui dessinent une posture graphique, plus droite sans être raide. J’avais en tête des images des films de Frank Capra, de Billy Wilder, et, pour la touche française, j’ai visionné Une femme est une femme (Jean-Luc Godard), Les Tricheurs (Marcel Carné) et Les Cousins (Claude Chabrol), avec Jean-Claude Brialy en Parisien déluré accueillant un provincial. Populaire est un voyage dans le temps. Lorsque je me suis vu rasé, avec une coupe de cheveux d’époque, je me suis découvert un air de famille avec mes grands-parents. Je ne l’avais jamais ressenti auparavant.  »

Mon rapport à la mode

 » La musique a été très importante dans ma manière de me saper. Quand j’étais branché reggae, j’avais la salopette et les dreadlocks. Durant ma période hiphop, je portais baskets et casquette sur le côté. C’était de petites touches, des accessoires, un peu comme lorsque l’on écrit le nom de ses groupes préférés sur sa trousse. Aujourd’hui, j’écoute ces musiques que je viens de citer, et aussi de l’électro, du jazz, du funk, les bons vieux Prince. Je suis davantage Hedi Slimane du temps où il collaborait avec Dior. Ça vient de Dylan, d’un esprit plus rock. Je suis ouvert à la mode depuis toujours : maman donnait des cours sur le textile et la couleur aux Arts décoratifs. Cela m’a rendu sensible aux matières et à la façon dont elles s’accordent plutôt qu’aux dégaines, aux looks et aux tendances. « 

Mes retrouvailles avec Xavier Rousseau

 » L’Auberge espagnole, Les Poupées russes, Casse-tête chinois aujourd’hui… C’est génial et rare de faire évoluer un tel héros. Le Xavier de L’Auberge espagnole m’a appris mon métier, ou presque. Je me suis d’abord demandé comment j’allais pouvoir l’aimer, il était si immature, banal, je ne comprenais pas ses problèmes. Pour ce rôle, j’ai dû faire ce que l’on apprend dans les écoles : me frotter aux bancs de la fac, m’installer discrètement au fond d’une salle, lui inventer une vie dans mes carnets. J’ai posé les bases du personnage comme on le ferait pour une maison. Après, il suffit de construire l’édifice. Dans L’Auberge espagnole, Xavier avait 25 ans, il se cherchait. À 30 ans, avec Les Poupées russes, c’est l’âge des désillusions, celui aussi où l’on tombe toujours amoureux, heureusement. En entrant dans la quarantaine avec Casse-tête chinois, Xavier aborde les problèmes du couple. Il est séparé de Wendy (Kelly Reilly), avec qui il a eu deux enfants, elle s’est installée à New York et il l’a suivie. Là, il va se confronter à l’administration américaine, galérer pour trouver un travail et faire des tas de conneries. Isabelle (Cécile de France) a un job à Manhattan. Martine (Audrey Tautou) passe le voir. En lisant le scénario, j’ai eu un vrai plaisir de spectateur. J’étais tellement content de renouer avec cet autre qui n’est pas moi ! J’ai laissé des émotions dans ce mec. Chaque fois que je le retrouve, je retrouve un c£ur.  »

Populaire, de Régis Roinsard. Avec Déborah François. Sortie le 28 novembre.

PAR GILLES MÉDIONI

 » Le cadre des années 50 (est) très « filmogénique ». « 

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