A Ixelles, une maison familiale presque exclusivement meublée de véritables pièces de collection rend un superbe hommage à Jules Wabbes et au design belge de l’après-guerre. Visite guidée

 » D’un point de vue strictement formel Jules Wabbes n’a peut-être jamais été un grand inventeur mais, en tout cas, il était un constructeur de génie « , affirme d’emblée la propriétaire de l’une des plus belles collections privées de meubles signés par ce designer belge qui exerça ses talents au cours de la période des Trente glorieuses. Injustement méconnu, cet ingénieux autodidacte qui conçut le mobilier de direction de prestigieuses entreprises telles que La Royale belge, la Banque Bruxelles Lambert, ou encore le Crédit communal et réalisa, entre autres commandes, des aménagements d’avions de ligne pour la Sabena dans les années 1950, compte quelques irréductibles aficionados entre Paris, New York, Berlin ou Bruxelles.

C’est derrière la façade d’une maison ixelloise, construite dans les années 1930 par les frères Pierre et Paul Hamesse, que l’on découvre plusieurs dizaines de pièces parmi les plus recherchées du créateur bruxellois, disparu prématurément en 1974.  » Celle-ci s’appelle la table  » Gérard Philipe « , explique la collectionneuse dans le bureau du rez-de-chaussée. De passage à Bruxelles, le comédien français en tomba amoureux et l’acheta sur un coup de tête.  » Comme nombre de meubles créés par le designer, la table  » Gérard Philipe  » allie un plateau en bois exotique à un piétement métallique. Les casiers de rangement, eux, sont exposés dans toute leur nudité: les rails et les rivets sont apparents. La beauté mécanique exprimée par les créations d’un artiste tel que Jean Prouvé n’est pas bien loin. Une autre table de travail qui jouxte la table  » Gérard Philipe  » est la première pièce acquise par la maîtresse des lieux.  » Je l’ai achetée sans connaître le nom de son auteur, précise-t-elle. J’avais tout simplement été séduite par sa beauté et sa simplicité. La rigueur du mobilier dessiné par Jules Wabbes me procure une certaine sérénité; un sentiment que ne m’inspirent absolument pas les créations plus contemporaines que je juge trop froides. « 

Mais cette maison bruxelloise typique, dont le rez-de-chaussée donne sur un jardin privatif, n’est pas exclusivement dédiée au créateur belge. La salle à manger comporte également quelques classiques indémodables tels qu’une table de Le Corbusier ainsi qu’un siège LC4 dessiné en 1928 avec Charlotte Perriand. Cette fameuse chaise longue, véritable manifeste du modernisme, est en fait une version rééditée par Cassina.  » J’admire toujours la perfection du modèle, poursuit la propriétaire mais, aujourd’hui, je préférerais posséder une édition originale, non pas pour la valeur de l’objet en elle-même mais plutôt pour sa mémoire.  » En revanche, la lampe métallique à transformateur apparent dessinée par Achille Castiglioni dans les années 1960 est d’époque. Ce n’est pourtant pas ce célèbre luminaire avant-gardiste qui retient l’attention mais bien un secrétaire de Jules Wabbes en stratifié noir et muténuyé, l’un des bois africains que le designer affectionnait tout particulièrement.

Côté jardin, c’est la chaise basse LCW de Charles et Ray Eames (1945), véritable sculpture en contreplaqué recouverte de bouleau, qui est à l’honneur dans le salon. Celle-ci a d’ailleurs été ramenée de New York dans une valise puisqu’elle présente l’avantage de se démonter intégralement ! Située à l’arrière de la maison, la cuisine n’a pas été oubliée non plus: une remarquable série de chaises de Christophe Gevers, ancien professeur à la Cambre et architecte de nombreux restaurants de la capitale dans les années 1960, imprime une petite touche délicieusement rétro à l’ensemble.

L’étage, lui, réserve quelques surprises de taille… Côté rue, la chambre à coucher est occupée par un vaste lit double dessiné, bien évidemment, par Jules Wabbes. Ce spécialiste du bois massif a imaginé un lit expérimental dont le rebord est garni d’une rampe d’escalier roulant en caoutchouc ! En face, le meuble de rangement taillé dans le padouck, une essence tropicale foncée, est nettement plus conforme à son style habituel. Sa couleur s’accorde à merveille au bois de rose du fauteuil n° 670 de Eames (1956), tout en rondeur. Les amateurs ne s’y tromperont pas, le petit tabouret de la chambre, lui aussi en padouck, est signé Charlotte Perriand. Le bureau, situé dans le prolongement de la chambre, témoigne d’une même passion pour le constructeur belge, considéré par l’architecte André Jacqmain comme l’un des plus exigeants de son époque. Devant la fenêtre, une rarissime bibliothèque en lattes de wengé massif condense la  » méthode Wabbes  » : une robustesse qui n’exclut pas la chaleur humaine.

Texte et photos : Antoine Moreno

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