Si certains designers accèdent à la célébrité par le biais de leurs créations déjantées, le créateur italien Rodolfo Dordoni, lui, séduit par la pureté et la rationalité de ses meubles et objets. Rencontre.

E n avril dernier, lors du Salon de Milan, le nom du designer Rodolfo Dordoni figurait, entre autres, au catalogue de Molteni. Une fois de plus, le créateur italien a réussi à séduire l’une des plus grandes marques de mobilier contemporain grâce à la justesse et à l’élégance des proportions de ses produits. Pour ce millésime 2003, il a signé le système de rangement  » Look « , la chaise  » Lean  » et la table  » Leaf « … Et ce ne sont que quelques exemples récents de sa carrière très prolifique. En effet, depuis 1979, date à laquelle il s’est lancé dans la production de mobilier, Rodolfo Dordoni peut s’enorgueillir d’avoir dessiné quelques très belles réalisations pour Artemide, Minotti, Driade, Flos, FontanaArte ou encore Cappellini. Mais son talent s’exprime également par le biais de ses créations architecturales. Rodolfo Dordoni a en effet pensé l’aménagement du siège central de Panasonic Italie, de Beiersdorf et de la Société Générale à Milan. Enfin, dans un registre plus fashion, il a imaginé le concept des boutiques et showrooms D& G, la deuxième ligne de Dolce & Gabbana, à travers le monde. Un parcours impressionnant pour un homme qui n’avait jamais imaginé qu’un jour il serait designer…

Weekend Le Vif/L’Express : Comment avez-vous été contaminé par le virus du design ?

Rodolfo Dordoni : Il faut savoir qu’à l’origine je n’ai pas étudié le design mais bien l’architecture, à l’Université Technique Politecnico di Milano. A cette époque je n’envisageais pas le moins du monde de faire un jour du design. J’ai passé mon diplôme en compagnie de Julio Cappellini (NDRL : le directeur général de la maison d’édition de meubles design hypertrendy Cappellini) et, en 1979, nous avons décidé de travailler ensemble pour créer une entreprise. Sa famille possédait une ancienne usine qui produisait des meubles classiques. Nous avons commencé à développer cette affaire en nous débrouillant tout seuls. Il n’y avait personne pour nous aider dans ce pari fou. Nous avons tout fait nous-mêmes de A à Z : élaborer les stratégies marketing, créer le design des meubles, composer les catalogues, etc. En fait, j’ai  » grandi  » dans le design mais en l’abordant sous différents angles. J’ai appris à comprendre et à penser en termes de design dans l’usine. C’est une approche très différente de celle des créateurs qui ont étudié le design dans une école, par exemple.

Quelle est votre méthode de travail ?

Actuellement, lorsque je crée je ne suis sans doute pas aussi libre que d’autres designers qui s’inspirent de tout et de rien. Je commence par raisonner en termes de production, d’enjeux commerciaux et de débouchés. Mon point de vue est, je pense, plus large que celui d’autres designers contemporains. Le design pur et dur n’est qu’un aspect de mon métier.

Quel type de meubles préférez-vous créer ?

Je n’ai pas vraiment de préférence. C’est tout aussi grisant de dessiner un canapé ou une table qu’un lit ou encore une lampe. Pour le moment, j’aime beaucoup travailler le verre. C’est un matériau fascinant que l’on redécouvre à chaque fois qu’on l’utilise. Il peut revêtir des formes et des aspects tellement différents. En tant que créateur, on ne peut s’en lasser.

Justement, n’est-ce pas lassant, à la longue, de réinterpréter à l’infini des meubles tels qu’un fauteuil, une table ou une armoire ?

C’est en effet très difficile de créer à chaque fois quelque chose de différent. Les designers contemporains ont déjà dessiné une telle quantité d’objets et de meubles originaux que c’est de plus en plus compliqué de se démarquer. Mais j’adore mon boulot et aussi me prendre la tête pour me dépasser et proposer de nouvelles solutions. Comme je vous l’ai expliqué, je ne pense pas uniquement en termes de meubles. J’envisage également l’approche marketing, les modes de production. Mon approche est globale et plutôt stratégique. Je ne me préoccupe pas de créer des objets  » trendy « .

Que pensez-vous du design contemporain en général ?

Le design d’aujourd’hui n’a plus rien de commun avec celui d’il y a vingt ou trente ans. Il fait désormais partie de notre quotidien et s’apparente plutôt à un style de vie. Je crois que plusieurs types de design se côtoient désormais : le design extravagant, le design créatif, le design technique, le design esthétique… Pour le moment l’écodesign a le vent en poupe et je pense sincèrement que c’est une bonne chose.

En tant qu’architecte, vous avez également signé des magasins pour Dolce & Gabbana, Panasonic et Beiersdorf. Quelle est votre démarche créative dans ces cas précis ?

Mon approche est la même qu’en design. Mon attitude est très carrée. Je suis très rationnel, voire même un peu chiant (rires). Je pense avoir un sens des proportions assez développé et j’essaie de le faire transparaître dans mon travail. Quand je travaille sur un espace, plutôt que de jouer gratuitement avec les formes, j’essaie toujours de créer une atmosphère particulière.

En général, les meubles design sont plutôt inabordables. Ce n’est pas frustrant de créer uniquement pour une élite ?

Je suis incapable de faire quelque chose de bon marché (rires). Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je dessine un projet, c’est trop cher !

Vos meubles et objets sont pourtant très purs, très sobres. N’est-ce pas un peu contradictoire ?

Ce sont souvent les matières premières et, surtout, les coûts de production qui font monter l’addition. Si vous créez des objets plutôt ethniques et artisanaux, il est sans doute possible de proposer des prix plus avantageux. Mais si vous voulez obtenir une qualité constante de vos produits et les commercialiser avec une bonne approche marketing, il n’y a malheureusement pas de formule magique : cela coûte très cher. En outre, de nos jours, le seul marché qui se maintienne en cette période économique instable, c’est celui du luxe.

Quelle est votre définition du luxe ?

Lorsque vous travaillez très dur, que vous arrivez à économiser de l’argent et à vous payer quelque chose que vous désirez très fort et qui n’est pas forcément utile, c’est du vrai luxe. C’est un extra absolument dispensable mais tellement agréable. Le luxe c’est une manière d’être. Acheter sans compter des objets ou des vêtements à des prix exorbitants, c’est une attitude très cheap qui n’a rien à voir avec le luxe. Le vrai luxe, c’est concrétiser un rêve que l’on caresse depuis très très longtemps.

Quelles sont les créations qui vous ont le plus marqué cette année au Salon du meuble de Milan ?

J’aime beaucoup les architectes et les designers qui travaillent sur des projets globaux. En fait, je partage leur approche. Ensuite, j’aime des objets bien précis qui n’ont pas vraiment de caractéristiques communes.

En général, qu’est-ce qui vous inspire dans votre travail ?

Parfois, ce sont mes rêves. Il y a des matins où je me réveille et j’ai vraiment l’impression d’avoir vu un objet pendant la nuit. Parfois aussi, ma simple curiosité. A force de travailler et de réfléchir, on a toujours des idées. Il faut aussi beaucoup observer, se balader, humer l’air du temps et les besoins des gens.

A propos de rêve, en avez-vous un qui soit particulièrement fou ?

Vous savez, même dans mes rêves je suis très rationnel. Je vous l’ai dit, je suis un peu chiant. Au contraire de Karim Rashid (NDLR : designer new-yorkais célèbre pour l’originalité débridée de ses créations) qui affirme qu’il veut changer le monde, moi je veux que le monde me change (rires).

Propos recueillis par

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content