Sony, Bang & Olufsen, Apple… chez les grandes marques, les designers ont pris le pouvoir pour mieux doper la technologie. Et la rendre plus évidente aux yeux des consommateurs.

Une brique à 4 000 dollars ? Vingt ans après, les  » early adopters  » en rigolent encore. Malgré ses allures de parpaing en plastoc et son prix pharaonique, le DynaTAC de Motorola allait marquer les débuts d’une révolution technologique. Conçu par Rudy Krolopp, directeur du design industriel chez Motorola, le premier téléphone portable au monde était né. 800 grammes, 33 centimètres et huit heures d’autonomie. C’était l’époque où les quadras de l’an 2000 étaient encore aux études. Difficile d’imaginer aujourd’hui ces cadres nomades se trimbaler dans les aéroports DynaTAC en bandoulière. Une génération de régime high-tech a suffi au mobile pour changer radicalement de look. Dix fois moins lourd, dix fois plus petit, vingt fois moins cher. Simple maturité technologique ? Pas seulement. Car, entre-temps, les designers ont pris le pouvoir. Partout. Du téléphone à l’ordinateur, de la télé à l’agenda électronique, ces nouveaux maîtres à innover ont envahi la planète high-tech.

 » Au début des années 1990, le design n’avait qu’une fonction d’habillage, la technologie restant le domaine réservé des ingénieurs « , rappelle Dominique Weizman, directrice générale de Dezineo, agence française de décryptage des tendances spécialisées dans ce secteur. Depuis, le rôle des artisans du look a beaucoup évolué. L’explosion numérique est passée par là. Et, avec elle, son cortège d’opacité. Pour familiariser le grand public avec le MP 3, le GPRS et les mégapixels, les marques high-tech ont appelé les designers à la rescousse. Apple, Sony, Philips, Nokia, Palm ou Toshiba, pas un constructeur qui n’ait aujourd’hui son équipe de pros. Leur mission : hisser le design au rang d’interface avec le consommateur pour lui faciliter l’utilisation des nouvelles technologies.  » Lui permettre de se sentir à l’aise avec le progrès « , revendique simplement Jonathan Ive, vice-président d’Apple, créateur du premier iMac, de l’iBook et de l’iPod. Voire l’autoriser à  » se passer du mode d’emploi « , professe David Whitfield Lewis, grand manitou du design chez Bang & Olufsen (voir encadré page 15).  » On attend désormais de la technologie qu’elle se fasse oublier « , confirme Dominique Weizman. Et, pour cela,  » les designers ont compris qu’ils devaient garder le contrôle sur l’objet « . Dans son rôle d’autocrate, Davis Whitfield Lewis a parfaitement gagné son pari. Depuis vingt ans, il dicte sa loi aux ingénieurs. Pour aboutir, au final, à des prouesses techniquement et esthétiquement innovantes, audacieuses, uniques. Mais Bang & Olufsen reste une exception.  » B & O, c’est la haute couture du high-tech « , estime Françoise Serralta, du cabinet de tendances Peclers. La marque s’adresse à un public d’amateurs fortunés avides de sophistication technologique et formelle, prêts à payer cher pour se l’offrir. Une clientèle acquise quasiment d’avance, donc.

Chez les confrères, on procède autrement. Ingénieurs, équipes de marketing et designers cogitent de concert dès le démarrage d’un projet. Ces derniers ont parfois, et même de plus en plus souvent, l’avantage.  » Chez Toshiba, le président, issu du service des ventes, a fait du design un atout stratégique. Une révolution pour le groupe japonais dont l’approche a toujours été industrielle et qui, il y a encore quatre ans, était dirigé par des ingénieurs « , explique Frédéric Lepière, responsable du marketing home cinéma en France. C’est ainsi qu’une cellule spécialisée de quatre designers, créée en 2001, a le pouvoir de bloquer le lancement d’un ordinateur ou d’une télé sans opérer le moindre bras de fer avec la direction. Certaines marques, dans cette triangulaire vertueuse, ont une longueur d’avance. Philips, depuis dix ans, assigne au design un rôle moteur, avec un seul mot d’ordre : innover pour se différencier. Le géant néerlandais a de la ressource : pas moins de 460 personnes sont employées dans ses 13 centres de design répartis dans le monde entier. On y trouve aussi bien des sociologues américains, chargés de décrypter les comportements et les attentes du consommateur, que les designers italiens, responsables in fine de l’élaboration du produit ad hoc.  » Vous en avez rêvé, Sony l’a fait  » : selon Kaz Ichikawa, directeur du design de Sony en Europe (voir encadré ci-dessus), il suffit tout simplement de  » se mettre à la place des consommateurs  » pour savoir comment coller un agenda communicant dans toutes les mains ou pour imposer un lecteur de DVD dans chaque foyer. Depuis six mois, une équipe de 15 designers du groupe est établie dans la City de Londres, là où tourbillonne la crème du microcosme trendy,  » là où l’on observe tous les styles de vie « , affirme Kaz Ichikawa. Et chez Motorola, à Milan, 17 personnes (stylistes, psychologues…) turbinent plein pot sur les tendances.

Il n’empêche. En dépit des efforts et des énormes moyens déployés (partout les budgets du design restent top secret), les clones se multiplient dans les rayons high-tech. Comment expliquer la troublante similitude des appareils photo numériques, des écrans plats, des téléphones de marques concurrentes ? Et l’omniprésence de l’argenté û le silver, comme disent les designers û sur les étals du numérique ?  » Il est toujours risqué de surprendre le consommateur par trop d’originalité. Or l’offensive technologique des marques doit être rentabilisé par des ventes massives. Il faut donc satisfaire le goût commun « , analyse Dominique Weizman. Sévère, Jonathan Ive ( voir encadré page 16) estime, lui, que,  » si les objets se ressemblent tant, c’est parce qu’ils ne sont pas innovants, qu’ils n’expriment rien, qu’ils ne subliment pas la technologie « . Le designer d’Apple parle d’or : son iMac aux rondeurs acidulées a révolutionné nos bureaux et fait des petits dans toutes les sphères de la consommation.

Face au risque de standardisation, chaque marque cherche à signer son territoire. C’est particulièrement sensible dans la téléphonie mobile, où sévit le produit  » fun « . Témoin le lancement, l’an dernier, de Xelibri, le mobile très  » looké  » de Siemens, façon bijou à porter en sautoir, dont la deuxième génération déferle dans les boutiques branchées.  » Nous voulons faire du téléphone un accessoire de mode. Pour susciter un achat d’impulsion, le design a été la priorité. Loin devant les bénéfices technologiques « , reconnaît sans complexe George Appling, président de Xelibri. La gadgétisation gagne du terrain, donc, dopée par la vague de la  » customisation « , une tendance lourde que Nokia, pionnier des coques interchangeables, a repérée très tôt.  » Le design signe un style de vie, assure Bill Sermon, designer en chef du groupe. Et, de la création de façades à celle de fonds d’écran uniques via notre site Internet, la personnalisation ne connaît pas de limites.  » A cela s’ajoute la multiplication des niches, ciblées excessivement : on ne compte pas moins de 12 lignes différentes chez le géant finlandais (créateur notamment de Vertu, mobile de luxe pour VIP) et Xelibri prépare des éditions limitées.

Quand le design high-tech joue ainsi la carte de la mode et de l’éphémère, c’est que la technologie est parvenue à maturité. Rudy Krolopp ne pouvait espérer plus belle récompense.

William Coop

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