Telle Shéhérazade dans les contes des Mille et Une Nuits, l’architecte-designer India Mahdavi raconte des histoires. Ses récits en trois dimensions prennent la forme de bâtiments et de meubles raffinés, sensuels et élégants. Rencontre.

Comme son nom ne l’indique pas, India Mahdavi est parisienne. Mais ses racines sont ailleurs. Sa mère égyptienne et son père iranien lui ont transmis toute la chaleur et la sensualité de l’Orient. Un héritage qu’elle partage généreusement avec ses contemporains par le biais de ses créations à l’élégance rare. Son style très personnel, qui vient du c£ur, séduit les amateurs de jolies choses du monde entier. Dans son travail, la pétillante créatrice mélange les styles et les influences. Aux Etats-Unis, où elle a étudié le design et l’architecture après avoir décroché son diplôme d’architecte DPLG à l’école des Beaux-Arts de Paris, elle a développé son sens pragmatique. Pendant ses six années à la tête de la direction artistique de l’agence de Christian Liaigre à Paris, elle a appris à raisonner en termes de raffinement et de simplicité. A son actif, elle compte déjà la réalisation de nombreux hôtels répartis aux quatre coins du globe, de Hongkong à Miami en passant par New York, et une impressionnante collection de meubles. Pour créer une atmosphère particulière et originale dans chacun de ses hôtels ou de ses restaurants, elle n’hésite pas à inventer une histoire ou un personnage qui imprègne les lieux de sa présence. Plongeon dans l’univers onirique d’India Mahdavi.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi avez-vous choisi de compléter votre formation en architecture aux Etats-Unis ?

India Mahdavi : Je tiens tout d’abord à préciser que j’ai entrepris des études d’architecture en sachant très bien que je ne voulais pas être architecte. Je me suis en effet aperçue que le style de vie d’un architecte qui travaille dans un grand bureau ne me convenait pas du tout. Il s’agit d’un mode de production extrêmement long et j’ai besoin d’action pour vivre. A l’origine, fascinée par l’univers du cinéma, je voulais créer des décors de film. L’architecture me semblait tout simplement un bon départ. Cela dit, en finissant mes études à l’école des Beaux-Arts à Paris, j’avais l’impression que l’architecture en France était réduite à la résolution de problèmes sociaux. Or c’est également un travail sur les espaces et les volumes dans un environnement parfois ingrat. Après sept années d’études, j’avais besoin de fraîcheur, de prendre le large. J’ai choisi les Etats-Unis parce que les méthodes d’enseignement y sont très différentes. Elles m’ont permis de me réconcilier avec l’architecture et le design. Aux Etats-Unis, l’enseignement est très pragmatique. Après sept ans d’intellectualisme pur, j’ai adoré me voir confrontée à du concret et du positif. La mentalité américaine est extrêmement positive et pousse l’individu à aller de l’avant. Là-bas, on vous montre point par point comment démarrer une carrière. On apprend à démarcher un client, à se présenter, à composer un press-book… Des choses fondamentales qui sont malheureusement tout à fait occultées dans l’enseignement en Europe.

Quelles sont les différences entre l’approche française et américaine du design ?

Je pense que le fait d’avoir bénéficié des deux types de formation constitue pour moi un atout formidable. Si les études aux Etats-Unis sont très pragmatiques, elles manquent néanmoins de fond. L’approche est très orientée vers le marketing mais il n’y pas grand-chose derrière. C’est pour cette raison que les Français ont vraiment la cote outre-Atlantique en matière d’architecture et de design. Derrière chaque projet, il y a, en effet, une réflexion en profondeur. Cette approche les séduits beaucoup. En outre, en France, nous cultivons beaucoup le sens critique. Avant d’entreprendre quoi que ce soit, nous procédons à une analyse pour arriver à un raisonnement et une conclusion. Ce processus est tellement intégré dans notre culture que nous n’y faisons même plus attention. Pourtant c’est un atout incroyable sur les marchés étrangers. Mes raisonnements sont en général extrêmement simples et mes conclusions aussi. Les Américains n’arrivent pas toujours à avoir le recul nécessaire pour simplifier les choses.

Vous avez été directeur artistique chez Christian Liaigre pendant six ans. Que vous a apporté cette expérience ?

Lorsque j’ai commencé à travailler avec Christian Liaigre, le bureau était encore tout petit. J’ai donc pu participer au développement de l’agence, ce qui était vraiment passionnant. Nous avons ainsi pu traiter de nombreux thèmes. Au début, nous avons créé beaucoup d’intérieurs dans le secteur résidentiel. Puis les choses se sont développées et nous avons réalisés de grands projets à l’étranger. La vision de Christian Liaigre était très différente de celle que j’avais apprise en architecture. En archi on part d’une toute petite échelle pour arriver à une échelle plus grande. Alors qu’en déco, nous options pour la démarche inverse. C’est parfois un simple objet ou un détail architectural qui inspire un lieu. C’est un exercice mental très agréable.

Comment caractériseriez-vous votre style ?

Franchement, je ne sais pas. Un jour, quelqu’un a qualifié mon travail de sexy-chic. Moi je trouve cela plutôt sympa. Je ne suis pas une adepte du minimaliste mais, en général, j’aime allier la rigueur à la sensualité. Sensualité qui se traduit par l’utilisation de la courbe.

Quels sont vos matériaux de prédilection ?

Je collabore exclusivement avec des artisans. Je choisis donc des matières qu’ils connaissent et peuvent travailler à la perfection. Quand on travaille de façon artisanale, il faut naturellement limiter l’utilisation de matériaux. Je ne peux pas faire réaliser un meuble mettant en £uvre trop de matières différentes. Mélanger le métal et le bois c’est possible. Mais y ajouter le laque, par exemple, c’est vraiment trop compliqué. Cela dit, je travaille beaucoup le mélange des bois et des laques. J’aime les cuirs et les similicuirs, les jeux de tons sur tons, les oppositions de matières, l’alternance de surfaces brillantes et mates, tout comme les aplats de couleur qui ponctuent l’espace.

Qui sont vos maîtres à penser ?

Sincèrement, je travaille au feeling. Cela ne veut pas dire que je n’apprécie pas le travail de mes collègues designers, au contraire. Mais je ne veux surtout pas que l’on dise qu’India Mahdavi travaille à la manière de… J’avoue cependant qu’il est très difficile, aujourd’hui, de réaliser des objets très personnels. Il y a énormément de produits sur le marché. Quand on examine les créations d’autres designers, on ne peut pas les gommer entièrement de son esprit. Il en subsiste toujours quelque chose. Certaines influences resurgissent parfois, simplement parce qu’elles sont dans l’air du temps et qu’on ne peut pas s’en abstraire. C’est à la fois un handicap et une richesse. J’ai parfois été inspirée par un objet chiné aux puces, par un simple galet ramassé sur une plage ou une carte postale…

Que pensez-vous du design actuel ?

Je trouve qu’il y a des choses formidables, très innovantes, très intelligentes… J’ai beaucoup de respect pour le travail de mes contemporains. Le tout c’est de savoir jusqu’où on peut aller dans le design. Récemment, au Designer’s Day à Paris ( NDLR : une journée portes ouvertes dans les principaux showrooms de design) j’ai été frappée de constater qu’on  » bouffait  » littéralement du design. Chez un des participants, la nourriture était présentée comme un objet design. Jusqu’où va-t-on et peut-on aller ? Il y a un moment où il faut pouvoir s’arrêter.

Quel est le concept de votre showroom galerie ?

J’ai tout récemment inauguré l’espace du 3 rue Las Caze dans le VIIe arrondissement tout simplement pour dire que je suis basée à Paris et que je dessine aussi du mobilier. Cependant, je n’avais pas du tout envie d’ouvrir le énième showroom parisien. Je voulais que cet endroit vive. Paris est une ville vivante où se déroulent de nombreux événements en matière de mode, de design, de musique, de photographie, d’art contemporain. L’idée, c’est qu’une fois que l’endroit sera rodé, j’inviterai des acteurs de la vie culturelle à animer mon showroom. Je ne veux pas vivre en univers clos, c’est étouffant. J’entends que les gens qui passent chez moi sachent à l’avance qu’ils vont découvrir quelque chose de neuf, de différent : un vieux meuble, une photo, un grand classique du design ou de la déco….

Voulez-vous nous expliquer la genèse du projet du Dragon Townhouse Hotel à Miami ?

La première fois que je me suis rendue à Miami, je n’y ai séjourné qu’une très courte période, trois jours à peine. De retour en France, je me suis demandé ce que représentait vraiment Miami. En fait, à mes yeux, cette ville est l’illustration parfaite du fameux concept  » sea, sex and sun « . Ces trois mots résument tout. Miami est un endroit un petit peu vulgaire mais heureux de l’être. Le superflu, la nonchalance et les beaux corps bronzés des vacanciers y règnent en maîtres absolus. Comme le budget dévolu à la décoration de cet hôtel était très serré, j’ai décidé de travailler le thème tout simple d’une plage très  » sea, sex and sun « . J’ai donc choisi trois couleurs qui, à mes yeux, symbolisent le mieux la plage : le bleu du ciel, le beige du sable et le rouge vif. J’ai construit un univers basé sur ces couleurs tout en ajoutant quelques touches d’un tissu à grosses fleurs, évocateur de la Nouvelle Angleterre, pour conférer un petit peu de noblesse à l’ensemble. J’ai également installé une grande terrasse assez amusante, entièrement peinte et meublée en rouge. Pour ajouter une pointe d’humour, j’y ai installé des grands matelas d’eau largement dimensionnés qui remplacent une piscine. Pour en évoquer l’atmosphère, nous avons également peint des personnages sur les bords.

Quels sont vos projets ?

Je planche actuellement sur la décoration d’un petit hôtel Art déco d’une quarantaine de chambres, situé à Mexico, dans l’ancien quartier urbain de la Condesa. Je compte y créer une ambiance très personnelle à l’aide d’une multitude de petits détails. Je vais également construire un tout petit hôtel de sept chambres à Khiwa, une oasis située en plein c£ur du désert égyptien à la frontière libyenne. C’est la première fois que je fais de l’architecture pure et que je travaille avec des matériaux locaux. C’est très excitant d’apporter une touche de modernité dans un univers si particulier.

Propos recueillis par Serge Lvoff

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