Lauréate des Prix Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, cette jeune styliste belge s’apprête à présenter sa toute première collection à Paris, en octobre prochain. Les imprimés sont au cour de ses créations qui revisitent architecture, art et histoire comme autant de sources de modernité. Attention, talent.

Carnet d’adresses en page 166.

C’est dans son tout nouvel atelier bruxellois, à deux pas de la rue Antoine Dansaert, que Cathy Pill nous accueille. Au deuxième étage d’un complexe industriel reconverti en bureaux, l’endroit est fraîchement installé. De multiples fenêtres illuminent la petite pièce dont les murs blancs et le grand miroir soulignent la modernité épurée. Vêtue d’un simple jean et d’une chemise évasée blanche brodée aux accents orientaux, la jeune créatrice esquisse un large sourire en guise de bonjour. Avec son regard généreux et ses traits tout en douceur, elle possède ce charme indiscutable qui accompagne souvent les beautés naturelles.

Mais Cathy Pill n’est pas seulement jolie, elle est aussi et surtout brillante. D’ailleurs, ses débuts laissent présager une  » succes story  » des plus prometteuses. C’est pourtant en toute simplicité qu’elle dresse l’inventaire de son palmarès, déjà bien rempli pour son jeune âge. Du haut de ses 24 ans, la lauréate 2005 de la bourse de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent et de la bourse de la société Yves Saint Laurent au sein de l’ANDAM (Association nationale pour le Développement des Arts de la Mode), n’en revient toujours pas de la tournure des événements.  » Les prix de l’ANDAM ne sont habituellement pas distribués à des débutants, s’étonne Cathy Pill. Car les candidats sont jugés sur l’ensemble de leur parcours ainsi que sur un plan de trésorerie qui doit démontrer leur capacité de gestion. Je ne m’attendais donc pas du tout à une telle récompense. Lorsque je me suis lancée dans cette aventure, c’était surtout dans l’optique d’acquérir une nouvelle expérience. Mais tout s’est si parfaitement combiné…  »

C’est vrai que la chance sourit à Cathy. Quelques semaines après avoir remporté les 32 000 euros de l’ANDAM, alors qu’elle fête sa victoire en buvant un verre avec une copine, son portable sonne :  » C’était Inghirami, le concours d’une marque de textile italienne, qui m’apprenait que j’avais également gagné son prix, se souvient-elle. Du coup, je disposais d’un montant de 25 000 euros supplémentaire qui me permettait d’envisager l’avenir sous un autre angle !  »

Et la jeune créatrice a toutes les raisons de croire en l’avenir. Déjà, en 2003, alors qu’elle est en avant-dernière année à La Cambre, elle remporte le prix de la meilleure collection du concours ITS#TWO à Trieste. Déjà, on pressent cette précieuse justesse qui caractérise souvent le talent. Dans une adroite démarche anachronique, elle parvient à faire rimer technologie et nostalgie.  » J’ai repris des motifs originaux datant des xviie et xviiie siècles et je les ai passés à la photocopie, explique Cathy Pill. J’ai aimé l’idée d’industrialiser le passé, de le replacer dans une perspective architecturale et décorative.  » Cette distanciation conceptuelle s’accompagne d’une recherche graphique. Coupes et motifs s’entremêlent puis se confondent pour ne former plus qu’un.  » J’ai voulu pousser l’imprimé au bout de ses capacités et le forcer à se couler dans le vêtement, poursuit la jeune créatrice. Pour souligner cette synergie, j’aime employer des matières qui tombent, qui bougent au rythme du corps.  »

Précieux, les 13 000 euros du concours ITS#TWO lui permettent de réaliser sa collection suivante, placée sous le thème de la célèbre espionne Mata Hari. Sa technique d’impression se précise, son concept se développe, les motifs se font plus abstraits, les couleurs et les modèles rappellent l’univers de Klimt.  » J’ai beaucoup appris grâce à certains de mes stages, se remémore Cathy Pill. Mon passage à Londres aux côtés de Vivienne Westwood m’a vraiment ouvert l’esprit et m’a permis d’élargir mes convictions. J’ai appris à me faire confiance, à aller au bout de ma démarche.  »

C’est naturellement avec la grande distinction qu’elle quitte La Cambre en juin 2004. Mais pas question de se reposer sur ses lauriers :  » Je ne voulais pas d’un stage supplémentaire, poursuit-elle. Je n’ai jamais arrêté de dessiner et j’ai accumulé un tas de croquis en sachant qu’un jour ou l’autre, ils se concrétiseraient. Avant même l’annonce des deux prix récents, je voulais déjà me lancer dans l’aventure commerciale. J’avais fait appel à des consultants pour établir un business plan et je m’apprêtais à faire un emprunt…  » Les deux bourses tombent évidemment comme un cadeau du ciel. Elles lui permettent aujourd’hui de monter sa propre société baptisée  » PICC « .

Forte de cette année de tous les succès, Cathy Pill s’apprête à présenter à Paris, en octobre prochain, sa toute première collection dédiée au printemps-été 2006.  » Elle sera placée sous le thème du vent, nous confie-t-elle. Je voudrais développer l’idée de voilages qui virevoltent au gré de la brise du soir.  » Tout en rondeur et en sensualité, les motifs abstraits sont toujours au centre de ses créations. Les impressions jouent sur les volumes qui, grâce à des effets de trompe-l’£il, sous-tendent plus que jamais l’architecture de la coupe. Les modèles, tout en sophistication et en féminité, affichent des lignes épurées. D’abord simplissimes, les silhouettes regorgent au second coup d’£il d’une multitude de détails subtils. Effets de drapé, modèles détournés et dos travaillé se mêlent aux coupes serrées et droites. Aux côtés des imprimés noir et blanc, les jerseys soulignent des lignes amples et chaloupées. Pour cette saison printemps-été 2006, Cathy introduit également des couleurs chatoyantes inspirées des vitraux.  » J’ai toujours aimé le moment où le soleil s’engouffre dans leurs motifs qui créent des lumières vives et changeantes « , lâche-t-elle, un brin romantique.

 » Il y a quelque chose de romain ou d’égyptien dans l’ambiance de cette collection, conclut Cathy. Mais chacun peut y reconnaître une origine ou une influence différentes.  » Une fois encore, la styliste excelle dans l’art du mélange. Mélange du passé et du présent, d’ici et d’ailleurs.  » J’y ai délibérément insufflé des accents multiculturels, poursuit-elle. Malgré une grande diversité, des contextes totalement hétéroclites peuvent s’accorder et se combiner pour former un tout cohérent.  »

Silhouettes d’une première collection à avoir été conçue pour être réellement portée et vendue, les créations de la jeune femme seront bientôt présentées à la presse internationale, avant de subir les aléas de la commercialisation.  » J’avoue que j’en suis assez fière et je commence même à vouloir porter mes modèles ! s’amuse Cathy. Mais je ne sais pas encore si je trouverai ma place sur le marché. Je me laisse trois ou quatre ans pour voir venir…  » Si certains lendemains sont incertains, ceux de la créatrice semblent plutôt bien engagés. Une histoire à suivre, assurément.

Myriam Banaï

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