Stefanie Van den Broeck Journaliste Knack

Pour la réalisatrice Anne Fontaine, Audrey Tautou était la seule à pouvoir incarner l’icône de la mode dans son dernier opus, Coco Avant Chanel. Récit d’un tournage riche en émotions et d’une rencontre pleine de grâce avec la nouvelle Mademoiselle.

Décembre 2008, dans un vieux théâtre parisien. Les 200 figurants sont prêts pour un retour en arrière de près d’un siècle : des hommes en smoking et des femmes en habits baroques, coiffées d’impressionnants chapeaux. Une silhouette dans la foule se distingue. Une jeune fille gracile, sobrement vêtue d’un deux-pièces gris et d’un chapeau masculin. Elle quitte la salle pour rejoindre les coulisses, gesticulant à l’encontre d’Emilienne, la diva comique sur scène. Elle lui demande de remettre son chapeau comme il se doit, et non comme le beau monde de Paris le voudrait. C’est la petite Coco, comme ressuscitée de son enfance orpheline, et devenue une modiste débutante.

« Coupez !  » La suite de la scène est diffusée sur un écran dans le hall. Retour abrupt au xxie siècle. L’attention de l’assistance est tout à coup détournée par Audrey Tautou pianotant sur son portable. Elle saisit un manteau, lui jette un regard furtif et le remet ingénument là où elle l’a pris :  » Il n’est pas à moi « , s’exclame-t-elle. Elle ne lève pas les yeux, tant elle est encore absorbée par son personnage.

« Incarner Coco Chanel ne fut pas une tâche aisée, nous révélera-t-elle plus tard. Après le tournage, ce fut un véritable soulagement de sortir de ce rôle. Même dans les scènes où la colère ne devait pas être exprimée, mon c£ur en était toujours chargé. La souffrance de Coco Chanel, sa fierté et son désir de réussite étaient très lourds à porter. « 

Pas un biopic

 » Coco Avant Chanel n’est pas destiné aux fashionistas, poursuit Audrey Tautou qui confie aussitôt ne pas beaucoup s’intéresser à la mode. Peut-être l’apprécieront-elles, mais il traite avant tout du mystère qui entoure la personnalité de Coco Chanel.  »

L’histoire se déroule avant les Années folles, avant que Coco (1883-1971) ne s’installe dans son illustre appartement de la rue Cambon, à Paris (lire aussi pages 28 à 33), avant la mythique petite robe noire et les innombrables succès qui suivront. Cette approche inédite a enthousiasmé Audrey Tautou.  » Ce rôle de Coco Chanel me poursuit depuis quelques années. Mais je ne voulais pas le jouer dans un grand biopic. J’étais, en revanche, ravie d’incarner cette icône de la mode dans un film qui lève le voile sur sa vie mystérieuse, et ainsi pouvoir vraiment comprendre d’où vient son style.  »

 » Je n’aurais pas voulu faire un film sur Christian Lacroix ou Yves Saint Laurent, précise quant à elle la réalisatrice Anne Fontaine. Yves Saint Laurent est un de mes créateurs préférés, mais Chanel avait bien plus d’énergie. Pour incarner la jeune Coco, il ne fallait pas imiter les traits archicélèbres et typiques de la créatrice qu’elle devint plus tard. Elle était alors plus humaine. En outre, ce film ne traite pas que de la mode, qui est, elle, dénuée de toute émotionà Pour moi, il n’y avait qu’une actrice française pour jouer ce rôle. Si Audrey Tautou n’en avait pas voulu, j’aurais tout arrêté. Je ne voulais pas d’une interprète qui imite Coco Chanel. Il fallait qu’elle allie à la fois cette silhouette gracile et cette force de caractère, ce côté main de fer dans un gant de velours. Et par la densité de son regard, Audrey exprime la même volonté, le même charisme que Coco. « 

Un film sur Coco Chanel implique, bien sûr, une esquisse de sa vie de créatrice car, chez elle, vie privée et vie professionnelle sont étroitement liées. Les profanes de la mode se laisseront emporter par le récit de sa vie amoureuse tourmentée tandis que les fans de la griffe au double C s’enthousiasmeront pour son infinie créativitéà et son sens de la répartie.

La jeune Coco adopte le pull marin, enfile des pantalons d’équitation, détend la jupe étroite de sa s£urà et lance des piques aux dames chics qui les toisent :  » Un jour, elles tueront pour pouvoir s’asseoir à mes côtés. « 

Coco Avant Chanel montre une âme féministe, une femme qui travaille pour gagner sa vie, qui refuse le mariage de raison, qui construit sa propre vie. Une manipulatrice, aussi. Son existence était marquée par les mensonges et elle était prête à tout pour arriver à ses fins, comme le souligne Anne Fontaine :  » Coco Chanel a instrumentalisé les hommes. Sans Balsan – son riche amant, chez qui elle vécut quelque temps – et les autres, elle ne serait jamais devenue celle qu’elle était.  » Son seul véritable amour fut le joueur de polo Boy Capel, mort prématurément dans un accident.

Qui qu’a vu Coco?

La scène finale de Coco Avant Chanel est éblouissante. Elle a été tournée sur le majestueux escalier Art déco de son QG parisien, rue Cambon, ceint d’innombrables miroirs. Tout en haut des marches, la créatrice observait sa clientèle tandis que ses modèles défilaient. Audrey Tatou a pris la place de Coco. Les pièces ? Authentiques, sorties tout droit du Conservatoire de la Maison Chanel.

Coco voit défiler son passé et se remémore les moments douloureux : son père qui ne vient pas la chercher à l’orphelinat, les chansons qu’elle interprétait dans des cabarets glauques pour gagner sa vie : Vous n’auriez pas vu Coco ? Coco dans l’Trocadéro. Co dans l’TroCo. Dans l’Tro. Coco dans l’Trocadéro. Qui qu’a, qui qu’a vu Coco ? Ces mêmes ritournelles que Balsan lui permit de chanter en meilleure compagnie.

Pour Audrey Tautou, c’est la scène la plus lugubre du film :  » Nous n’avions qu’un seul jour de tournage pour la boucler. J’étais très concentrée, je n’arrêtais pas de me dire que s’il y avait ne serait-ce qu’un soupçon de doute en moi, je serais perdue. J’étais donc assise là, à essayer de me convaincre qu’il s’agissait de ma Maison. Et que tout ce monde travaillait pour moi. « 

La tenue que porte Audrey Tautou dans cette scène a été réalisée sur mesure par Karl Lagerfeld, le directeur artistique de la griffe. Sa seule intervention puisque les costumes des autres scènes ne sont pas des originaux Chanel, mais des pièces signées du modiste britannique Stephen Jones et de la costumière Catherine Leterrier.

 » Karl Lagerfeld poursuit le style typique de Chanel dans des créations tournées vers l’avenir, épingle Catherine Leterrier. Mes modèles à moi devaient, eux, se situer dans la période avant que Coco ne commence à créer. Je voulais toutefois insérer les codes caractéristiques de la griffe.  » Le plus grand défi pour Catherine Leterrier était de convaincre que la simplicité de Chanel était plus belle que la mode de l’époque qui proposait des petites tailles, des matières fleuries et des diamants.

Difficile de dire si Coco Chanel aurait aimé l’interprétation d’Audrey Tautou. L’actrice voit pourtant dans les différents coups de chance lors du tournage des signaux positifs :  » Cela ne veut probablement rien dire maisà le 17 novembre, par exemple, nous devions tourner une scène avec 300 figurants et des chevaux età il a fait splendide ( rires). Le temps était à chaque fois celui dont nous rêvions. C’était incroyable ! Il y a également une scène en bord de mer où nous avons eu beaucoup de chance aussi : à cette époque, il neigeait partout en France, mais, là, il a fait 20 °C et le ciel était bleu azur. En novembre ! J’espère que Coco Chanel aurait aimé le film. Elle qui disait toujours qu’il ne faut rien ajouter mais enlever, enlever et enlever. Et c’est ce que nous avons fait.  »

Coco Avant Chanel, en salles à partir du 22 avril.

Stefanie Van den Broeck

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