Depuis trente ans, ce doux monsieur au look de biker électrise les podiums et bouscule les consciences à la faveur de défilés-performances aussi barrés que gorgés de sens. Consécration : cet automne, le MoMu d’Anvers lui consacre une rétrospective. Bienvenue dans sa galaxie.

Anvers, matin désert. La porte de l’ancienne fabrique de bougies qui lui sert de boutique s’est ouverte automatiquement. Pas âme ne semble y vivre. À pas feutrés, on s’avance. Sans prévenir, Walter Van Beirendonck se matérialise sous nos yeux, seul, assis dans un calme souverain, au bout d’une longue table, raccord avec sa barbe léopoldienne. Un MacBook et une bouteille de Spa Reine pour seule compagnie. Dans la scène du film à suspense qui nous effleure l’esprit il lâcherait un  » Je vous attendais  » menaçant, il brise le silence d’un  » Dag, ça va ?  » décontracté comme la combinaison de garagiste et les baskets qui lui servent aujourd’hui d’uniforme. Cet art du trompe-l’£il, WVB l’a érigé en mode opératoire. Le vernis délirant et bariolé qu’il applique soigneusement sur ses extravagantes collections ne serait en effet là que pour mieux révéler la profondeur de son propos. Car l’outsider de la mode anversoise a beaucoup de choses à dire et il ne s’en prive pas. Sans fausse modestie, il pense qu’en  » créant des objets somme toute assez banals comme des vêtements, vous devez quand même essayer d’ouvrir les yeux du public, le pousser à réfléchir. C’est une responsabilité pour tous ceux qui ont la chance de médiatiser leurs idées. « 

Depuis ses premières collections dans les années 80 à l’époque des Six d’Anvers, le Belge n’a en effet cessé de se pencher sur les problèmes et débats qui occupent notre société, du terrorisme au sida en passant par la virtualité galopante. Empreints de délires crypto-futuristes et de références ethniques, ses shows qui pourraient à première vue passer pour des pitreries de créateur sous ecstas dénotent en réalité une vision acérée du monde, à la fois lucide, mélancolique, cynique et sans tabous. Une illusion savamment entretenue par ce Diogène apaisé des années 2000 :  » J’utilise l’humour, la fantaisie et les couleurs optimistes pour alléger le message, sinon ce serait trop frontal, indigeste. Je sais que beaucoup s’arrêtent à l’emballage, c’est un problème, surtout en France, mais si vous grattez, que vous laissez décanter, vous tombez sur des fondations beaucoup plus sérieuses. « 

Pierre de touche entre la mode et l’art contemporain, le travail de Walter Van Beirendonck révèle par les sarcasmes et les incompréhensions qu’il génère parfois une polémique plus vaste et largement rebattue sur le rôle de la mode : le vêtement a-t-il le droit d’être un médium artistique au même titre que la peinture, le cinéma ou la photographie ? Si l’intéressé se considère  » avant tout comme un styliste qui dessine des pièces destinées à être produites, vendues et portées « , WVB défend en parallèle et avec un incontestable panache le principe de  » l’art pour l’art « .

À la faveur d’un artisanat qui fait sens, le directeur de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers – il occupe ce poste depuis 2006 – s’empare du catwalk comme d’un laboratoire créatif doublé d’une tribune politique, loin du classicisme des Maisons et de l’élégance bon teint auxquels il serait absurde de le comparer. Walter vit simplement sur une autre planète fashion sur laquelle nous vous proposons d’embarquer en prélude à la grande rétrospective que le Musée de la Mode d’Anvers s’apprête à lui consacrer.

PAR BAUDOUIN GALLER

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