Paris nous a offert trois jours de haute couture époustouflants, cousus de fil rouge par un Dior rouge sang et un Lacroix rouge sud. Retour sur les meilleurs moments des défilés du printemps-été 2006.

La peau hâlée et le sourire étincelant, l’allure parfaite dans un costume en velours noir cassé par des baskets, Monsieur Armani ouvre le bal. En trois temps. Deux sessions très privées pour les journalistes suivies d’une autre non moins privée pour les acheteurs. Des défilés qu’il veut intimes. A l’image de sa haute couture, baptisée Armani Privé, qu’il présente pour la troisième saison à Paris devant une rangée de privilégiés. L’occasion pour le maître italien de démontrer encore une fois sa virtuosité à sublimer le corps féminin, en le drapant de robes sirènes où dégoulinent des cristaux Swarovski, de robes à volants en charmeuse de soie, de robes-bustiers couleur mandarine, de fourreaux en tulle, de boléros d’inspiration flamenco, d’étoles incrustées de cristaux ou encore de beaux tailleurs-pantalons en crêpe de laine beige. Sous le regard attentif et fidèle de Sophia Loren, mais aussi des actrices Charlotte Rampling et Natacha Régnier, le coup d’envoi est magistral.

Autre lieu, autre ambiance, c’est au Palais de la Découverte que l’on découvre justement les talents du Portugais Felipe Oliveira Baptista, gagnant du Festival international de la mode à Hyères en 2003. Virage à 180 degrés. Ici, la haute couture est l’occasion pour un jeune créateur émergent de 31 ans de présenter une collection aux accents plus  » prêt-à-porter « . Ses filles aux cheveux coupés en forme de casque, chaussées de sabots argentés et de gilets inspirés des cuirasses, ressemblent à des héroïnes tout droit sorties des feuilletons des années 1960. L’ensemble, très expérimental, est cohérent et démontre une belle technique. Au premier rang, on reconnaît l’actrice Julie Gayet, superstylée dans un long manteau noir qui tombe sur une paire de baskets. Preuve que la haute couture intéresse aussi les icônes de mode.

Le mégashow nous attend dans l’après-midi avec un John Galliano pour Christian Dior révolutionnaire et sanguinolent. Eclairage rouge au Polo de Paris dans le XVIe arrondissement où les people sont aussi nombreux que les journalistes : Jean Reno, Monica Cruz (la s£ur de Penelope qui traîne à ses pieds une horde de photographes), l’actrice Marisa Berenson, Lou Doillon, sublime dans un ravissant manteau rouge court à la coupe sixties, les inséparables Claire Chazal et Philippe Torreton placés à côté d’Anne Sinclair. On est venu voir du Galliano et on n’est pas déçu. Son histoire de guillotine se lit comme un conte. A mi-chemin entre le chant révolutionnaire où 1789 est inscrit à l’encre noire sur la gorge des filles et l’histoire du Chat botté, Galliano crée une atmosphère de grand spectacle. Le résultat est magique : des capes en satin rouge brodées, des vestes en cuir portées sur des robes en organdi rouge, des robes de dentelle accessoirisées de grandes croix, des corsets, des laçages comme sous l’Ancien Régime, des cuissardes en peau de bête… C’est érotique et fantastique. Au final, John Galliano signe sa collection de la pointe de l’épée, mi-danseur andalou, mi-guerrier. Epoustouflant.

Dans un bus surchargé de journalistes où les habitués se demandent, amusés, si c’est jour de courses, on quitte le bois de Boulogne pour l’ambiance plus bobo du Marais. Rue de la Perle, c’est dans le centre d’art contemporain de l’hôtel Bruant qu’ Adeline André a choisi, cette fois, de montrer ses créations. En guise de mannequins, elle fait toujours appel à des femmes ordinaires, plus précisément à de jolies femmes ordinaires, choisies parmi ses amies qui ont en commun l’élégance naturelle. Un minimalisme de bon ton est à l’honneur dans cet espace blanc où le défilé semble improvisé, dégageant une impression de fausse décontraction, comme seul Paris en a le secret. Les mannequins défilent en claquettes dans de splendides robes couleur laitue, genêt et tilleul toutes simples, mais qui épousent tellement bien le corps que l’on se dit que la simplicité a un prix. C’est de la haute couture accessible. On attend avec impatience la collection prêt-à-porter annoncée pour l’hiver 2006-2007 par la créatrice parisienne.

La première journée (un sans-faute pour l’instant) se poursuit par le défilé de Maurizio Galante à l’hôtel Westin dans le ier arrondissement de Paris. L’Italien signe des manteaux courts en crêpe entièrement rebrodés de fleurs assortis à des petites robes à la coupe sixties (la tendance de la saison !), des robes crochetées en fil de soie rouge cerise, des robes ornées de miroirs en relief. La collection est d’un raffinement extrême.

Lendemain de rêve

Sous la voûte du Grand Palais, Chanel ouvre la deuxième journée du calendrier officiel par un défilé futuriste qui met en scène de jolies filles en fleurs. Chaussées de bottes plates et vêtues de robes à la coupe sixties (encore elles !), de tailleurs portés sur des leggings ou encore de robes blanches mousseuses à haut rebrodé, elles apparaissent telles des elfes. On est dans la féerie mais dans une féerie accessible. Par une subtilité de la mise en scène, les jeunes filles (une par silhouette, c’est désormais la règle chez Chanel) disparaissent à l’arrière d’un énorme cylindre blanc posé au milieu du Grand Palais pour resurgir, joliment disposées le long d’un escalier en colimaçon, au final du défilé. Majestueux. Pour cette collection haute couture, Karl Lagerfeld a visiblement voulu rajeunir encore un peu plus l’image de Chanel. A côté de l’égérie, l’actrice française Anna Mouglalis, les photographes se ruent sur la rockeuse Avril Lavigne. De l’autre côté du catwalk, la vieille garde (Bernadette Chirac en tête) côtoie la nouvelle génération représentée par Raphaël, la nouvelle coqueluche de la chanson française. Le coup de jeune est réussi.

On regagne le métro, avec sous le bras la couverture de survie griffée Chanel et le thermos affichant le double C rempli de thé fumé reçus pendant le défilé, pour rejoindre, telle une armée de clochards de luxe, le xie arrondissement de Paris. Changement de décor : dans son show room installé dans un ancien couvent, le Belge Martin Margiela présente ses lignes artisanales pour homme et femme. Petite lampe de poche à la main, Patrick Scallon, le responsable de la communication, procède à une visite guidée à la précision chirurgicale. La lampe se pose sur des silhouettes dissimulées derrière des fenêtres et dont on n’aperçoit jamais les têtes. Il détaille le travail de Martin. Des gilets en colliers de perles vintage cousus sur une structure en baleine qui ont demandé quarante heures de travail ou encore des vestes sans manches entièrement confectionnées pendant trente heures à l’aide de sangles de chaussures. Renversant. Les petites mains ont également travaillé sur des vestes ou des ceintures totalement réalisées avec un jeu de cartes teintes, repassées, chiffonnées et enfin doublées de cuir beige. Des colliers ont été confectionnés à partir d’objets ramassés sur la plage, des vestes taillées dans des coussins de différentes époques ou encore des chemises d’homme découpées dans des mouchoirs des années 1930. La lumière éclaire enfin un pantalon pour homme cousu dans de la toile de sacs militaires de l’armée suisse. Chez Margiela, l’apparente originalité dépasse l’anecdote, tout est assemblé avec une rigueur extrême directement sur le corps, sans patron. On est dans la haute couture vintage, dans le grand art du recyclage. Ces pièces uniques seront livrées chaque mois dans chacune des onze boutiques de la marque et seront disponibles pendant un mois seulement, prévient Patrick Scallon. D’un geste sûr, il éteint la lumière qui éclaire le dernier mannequin, la visite s’achève, clinique, comme il se doit.

Déesses affranchies

On quitte l’ambiance monacale de blouses blanches de Margiela pour s’acheminer dans le viiie arrondissement de Paris où nous attend une mise en scène tout autant conceptuelle. Elle est signée Rick Owens pour Revillon : sa collection de fourrures portées sur des leggings, de robes en maille assorties de bottes et de cuissardes en daim souple soulignant une silhouette à dominante beige est d’une telle sobriété qu’elle pourrait avoir été dessinée par un Belge… La presse, essentiellement anglo-saxonne et présente ce jour-là à l’hôtel Salomon de Rothschild dans le xviiie arrondissement – encore un lieu superbe comme nous en réserve un grand nombre de défilés -, est conquise.

Retour dans le ier arrondissement où se déroule le show de Dominique Sirop. Changement complet de public. Au premier plan, des clientes en veste de vison ont remplacé les journalistes trendy. Ici, pendant l’attente, l’exercice consiste à repérer les têtes connues. Entre les rangs, des cartes de visite s’échangent. Mais dans le luxueux salon de l’hôtel Westin, le défilé Dominique Sirop est décevant et apparaît davantage comme de la haute couture de l’ancienne école. L’exception qui confirme la règle de trois journées de haute couture riches et exaltantes. Heureusement, Christian Lacroix nous replonge dans la féerie en nous présentant, dans l’Ecole nationale des Beaux-Arts baignée d’une lumière rouge, un spectacle flamboyant aux accents très hispanisants. Une fleur rouge distribuée à tous les invités est le fil conducteur de ce défilé de jabots, de robes aux manches ballons, d’imprimés toile de Jouy, de fleurs de Provence, de manteaux rouges rebrodés de noir, de boléros et de costumes inspirés des toréadors qui nous invitent à entrer dans l’arène. Pour contrebalancer ce tableau  » goyesque « , des jeunes filles à la chevelure rousse, coiffées de diadèmes, apparaissent vêtues d’une grande robe bouillonnée en organdi blanc recouvert de crêpeline à bustier feuilleté ou encore d’une longue robe fourreau en tulle et chiffon écrus pailletés d’or. La mariée en robe longue xviiie siècle, fluide en crêpeline écrue et parsemée de pâquerettes, vaut au créateur une standing ovation. Ses racines méridionales transparaissent à chaque passage, nous réchauffant à chaque fois un peu plus le c£ur. Et nous promettent une nuit étoilée. Le lendemain, la magie se poursuit avec le somptueux défilé de Jean Paul Gaultier et ses robes orientales rebrodées de fil d’or, ses plissés et ses drapés pour déesses affranchies déclinés dans des bleu pétrole, des rouge orangé ou des jaune acide, où une autre princesse, l’actrice Madonna, se fait attendre pendant plus d’une heure. Mais pour nous, il est temps de rentrer car le carrosse va bientôt se transformer en citrouille…

Agnès Trémoulet

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