Guerrières intergalactiques chez Balenciaga, pin-up cybernétiques chez Dolce & Gabbana, princesses postatomiques chez Hussein Chalayan… La planète fashion structure les silhouettes et (ré)invente l’avenir.

A grands coups de tissus métallisés, de vinyle et de plexi, les collections de l’été 2007 nous projettent dans l’anticipation. D’un pas décidé, les silhouettes androïdes, plongées dans un sommeil artificiel depuis les années 1960 et 1980, arpentent à nouveau les podiums. On y a vu des tuniques de vestales or ou argent chez D&G et MaxMara, de courtes cottes de mailles chez Versace, Stella McCartney et Pucci, des mini-robes d’hôtesses de nef spatiale chez Celine, Chanel, Barbara Bui et Fendi, des maillots de bain à épaulettes en lurex chez Paule K, des manteaux métalliques et mêmes des masques de Dark Vador chez le déjanté Gareth Pugh. Pas un point de la galaxie mode qui n’ait été touché par l’onde de choc de la météorite futuriste…

Fer de lance de ce courant : Hussein Chalayan, dont les hallucinantes robes animées ont fortement marqué les défilés. Cela se passait à Paris-Bercy : sur un tapis de cristaux Swarovski, une top avance lentement. Puis se fige, aérienne, le regard au loin. Le parterre de journalistes mode attend dans un silence monacal. Jusqu’au moment où la tenue du mannequin semble s’animer. Faisant écho au froissement d’un col qui se rétracte, au frémissement d’une manche qui se recroqueville, la salle émet alors un murmure ébahi, qui s’achève en une exclamation étouffée lorsque les pans du pourpoint s’ouvrent brusquement, laissant apparaître une jupe qui remonte pour s’arrêter au genou. Applaudissements tonitruants et, une fois encore, consécration pour Hussein Chalayan, trublion avisé de la mode.

La seconde partie du défilé printemps-été 2007 de cet empêcheur de créer en rond a ainsi offert cinq animations féeriques, dont une petite robe happée par une capeline en plexi ou une crinoline de métal mutant en corolle de miroirs. Des vêtements mus de l’intérieur par des microprocesseurs qui les rendent étrangement vivants.  » A travers mon travail, j’essaie de capturer le  » gap  » entre le monde imaginaire et le réel, explique à Weekend l’Anglo-Chypriote toujours en quête d’expérimentation. Je suis définitivement inspiré par la réalité, mais on peut dire que mes créations sont à la frontière du réel et de l’imaginaire. En présentant ces modèles, j’ai voulu suggérer une réflexion sur le temps qui passe et sur l’évolution de la mode.  »

Flash-back…

Au rayon des expériences, on se souvient de ses femmes nues, progressivement voilées et finissant sous un tchador, présentées lors des défilés printemps-été 1998. D’autres délires créatifs hantent régulièrement Hussein Chalayan, qui a été jusqu’à enterrer des vêtements pour voir comment ils se décomposeraient…  » Le projet de la collection été 2007 dans son ensemble est basé sur la manière dont les événements sociopolitiques peuvent influencer le vêtement, poursuit-il. Je me suis plongé dans 111 ans (NDLR : l’âge de Swarowski, son sponsor) de mode et j’ai cherché à comprendre comment l’histoire, durant toute cette période, a affecté notre perception du corps, qui est la clé de mon approche. Mon ambition est de voir comment parvenir à en projeter une autre vision.  »

Démarche différente mais réflexion sur le corps également chez Dolce & Gabbana, autres hérauts du courant futuriste qui traverse la saison comme un cyclone. Très attendue lors de la semaine de la mode à Milan, la collection des deux Italiens friands de métissages associe les tissus luxueux, comme le satin, le jersey de soie ou l’organza, aux matières high-tech, parmi lesquelles on retrouve le vinyle et le latex. Toujours ce goût du contraste et de la complémentarité…

Le défilé de Dolce & Gabbana mettait en scène des héroïnes de mangas japonais, conjuguées au futur. Le corps tantôt comprimé dans le vinyle, tantôt  » gonflé  » dans un corset à coques métalliques, ces cyber-pin-up oscillent entre toute-puissance et sensualité.  » Cette saison, nous avons voulu présenter une femme sûre d’elle, dominatrice, parfaite, nous confirme Stefano Gabbana. Le corset, un de nos vêtements préférés avec le soutien-gorge, a été dessiné dans le but d’accentuer les formes, de les exagérer, mais toujours dans l’idée de mettre la féminité en valeur.  »  » La silhouette est nouvelle, la puissance soulignée par les couleurs métallisées, futuristes, ponctue Domenico Dolce. Mais la féminité, elle, n’est ni d’hier ni de demain. Elle est éternelle et on la retrouvera toujours dans nos collections.  »

L’influence de l’omniprésente chirurgie esthétique serait-elle passée par là ? Cette quête de perfection s’apparente-t-elle à celle d’un autre duo, non moins fameux, McNamara & Troy (Nip/Tuck) ? Même si leur dernière pub, mettant en scène des plastic girls dans un décor à l’interface de la salle d’op’ et du vaisseau spatial pourrait le laisser penser, Dolce & Gabbana s’en défendent.  » Il faut trouver un équilibre entre la mode et le corps, soulignent-ils en ch£ur. Une belle mode rend le corps encore plus beau, sans nécessité de passer par la chirurgie !  » Et de rappeler que  » la femme Dolce & Gabbana n’a jamais eu peur de montrer sa sensualité. Pensez, par exemple, à Monica Bellucci, qui a commencé sa carrière en défilant chez nous.  »

… et back to the future

S’il faut trouver une source d’inspiration aux deux Italiens, c’est donc loin des scalpels qu’il faut chercher. Dans les années 1960, par exemple ? Si Hussein Chalayan rejette énergiquement toute référence au passé ( » Pourquoi regarder vers quelque chose qui a déjà été fait ?  » déclare-t-il), les Dolce & Gabbana ne sont pas aussi catégoriques :  » Le passé est le passé, mais on peut toujours en tirer des leçons intéressantes.  » Stefano Gabbana décrit ainsi les sixties comme  » une période à la fois charmante et intéressante : l’exploration de l’espace, d’une part, et la vision optimiste de l’avenir, d’autre part, se sont traduites par une mode géométrique, en rupture avec ce qui s’était fait jusqu’alors. C’est aussi l’époque où les concepts et les créations sont devenus très techniques.  »

Se plonger dans le passé pour en faire ressortir l’hypermodernité, c’est aussi, en un sens, ce qu’a fait Nicolas Ghesquière, directeur artistique de Balenciaga. En 2001, et suite à l’ouverture des archives de la grande maison, l’enfant prodigue de la mode réinterprète des créations originales de Cristobal Balenciaga. Depuis, une demi-douzaine de ces pièces sont rééditées chaque année. Pudique et volontairement à l’écart du star system, le créateur refuse pourtant de voir une filiation entre son travail et celui du grand Cristobal, même s’il reconnaît  » un parallèle entre la rigueur architecturale et le jeu décalé sur les volumes  » de ce dernier et ses propres créations. Au-delà de cela, la collection été 2007 de Balenciaga s’inscrit en droite ligne dans le style visionnaire et futuriste cher à Nicolas Ghesquière. L’autodidacte de génie réussit ainsi, une fois encore, la prouesse d’être fidèle à ce que l’on attend de lui, tout en suscitant la surprise. Sur les catwalks de la rue Cassette, à Paris, des silhouettes fuselées, hybrides, entre le C-3PO de  » Star Wars  » et une version hautement féminine de Terminator. A côté de la soie, les matières, nylon ultrabrillant, vinyle, lurex, semblent, elles aussi, issues de la science-fiction d’hier, dont se nourrit le créateur. Côté coupes, enfin, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre ses pantalons-étuis, cottes de mailles, vestes à épaulettes hyperstructurées et leggings bronze et les pièces imaginées par Thierry Mugler dans les années 1980.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : le futurisme d’hier n’a pas simplement ressuscité. Il s’est réincarné afin d’atteindre une dimension plus aboutie. Les cyberfashionistas se laisseront entraîner avec délectation dans ce vortex de modernité.

Delphine Kindermans

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content